Détention provisoire : « Le Conseil constitutionnel ne va pas au bout de sa démarche » déplore Me Matthieu Quinquis

Publié le 29/01/2021

Le Conseil constitutionnel, dans une décision rendue ce vendredi, déclare non-conformes à la Constitution les dispositions qui prévoyaient, durant le premier confinement, la prolongation automatique des détentions provisoires. Mais la décision ne permet pas pour autant de remettre en cause les décisions prises sur la base d’un texte contraire à la Constitution.  Les explications de Me Matthieu Quinquis, avocat au Barreau de Paris, membre de l’Observatoire international des prisons (OIP), du Syndicat des avocats de France  (SAF) et de l’association des Avocats pour la Défense des Droits des Détenus (A3D). 

Détention provisoire : "Le Conseil constitutionnel ne va pas au bout de sa démarche" déplore Me Matthieu Quinquis
Photo : ©Aquatarkus/AdobeStock

Actu-Juridique : Le Conseil constitutionnel vient de sanctionner les dispositions de l’ordonnance du 25 mars dernier qui prévoyaient la possibilité de prolonger les détentions provisoires sans que les personnes ne voient un juge. Etes-vous satisfait de cette décision ? 

Matthieu Quinquis : Sur le fond bien sûr car le Conseil constitutionnel rappelle la nécessité de l’intervention d’un juge judiciaire en matière de détention provisoire. C’est ce que nous ne cessons de répéter depuis la publication de cette ordonnance ! En revanche, le Conseil ne va pas jusqu’au bout de la démarche dès lors qu’il décide qu’il sera impossible d’invoquer cette censure dans des dossiers individuels.

Actu-Juridique : Cela signifie que les détenus qui ont subi ces prolongations automatiques contraires à la Constitution ne pourront pas les contester  ?

MQ. : En effet, le Conseil constitutionnel dit au pouvoir « ne refaites pas un texte comme celui-ci », mais il prive immédiatement sa décision de toute portée pratique et donc de toute force puisqu’on ne peut pas l’invoquer. C’est un mauvais signal adressé aux pouvoirs publics. Il a fallu en effet  10 mois pour obtenir une déclaration d’inconstitutionnalité. Si le gouvernement fait preuve de cynisme, il peut parfaitement décider sur ce sujet ou un autre touchant aux libertés fondamentales de prendre de nouvelles dispositions ouvertement contraires à la Constitution en estimant qu’il a une fenêtre de tir de plusieurs mois à sa disposition. 

Actu-Juridique : Ce n’est pas la première juridiction qui se prononce sur ces dispositions….

MQ : Plusieurs syndicats d’avocats et de magistrats ont en effet saisi le Conseil d’Etat dans le cadre d’un référé-liberté durant le premier confinement. Dans sa décision du 3 avril le Conseil d’Etat juge que ni l’ordonnance ni la circulaire étendant les dispositions non pas seulement aux détentions provisoires en bout de délai mais à toutes les détentions provisoires  ne portaient pas  «  une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales ». En revanche, la Cour de cassation, par plusieurs arrêts de la chambre criminelle du 26 mai 2020, a considéré que ces dispositions étaient contraires à la Convention européenne des droits de l’homme.

Actu-Juridique : Quelle va être la suite dans cette affaire ? 

MQ : Les requérants à l’origine du recours devant le Conseil constitutionnel ou d’autres peuvent décider de saisir la CEDH. Il ne fait pas de doute que le prolongement automatique de la détention provisoire est contraire à la Convention européenne des droits de l’homme, mais la question se pose aussi de savoir si l’impossibilité de se prévaloir de la décision du Conseil constitutionnel est conforme à la convention. On peut fortement en douter. 

Actu-Juridique : Avez-vous un idée du nombre de détenus concernés  ?

MQ : C’est très difficile à évaluer car les juridictions n’ont pas réagi de la même façon. Certains magistrats ont admis le renouvellement automatique pour les détenus en fin de délai, d’autres pour tous les détenus et d’autres enfin, minoritaires, ont accepté d’examiner les dossiers et de rendre des décisions. Ce qui est sûr, c’est qu’on les empêche à la fois d’effectuer des demandes de remise en liberté sur ce fondement et de demander une indemnisation à l’Etat pour faute. 

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