Écologie, féminisme, cause LGBT+ : les marques, toutes engagées ?

Publié le 16/05/2019

À l’heure où l’engagement sociétal s’affiche partout sur les réseaux sociaux, les entreprises aussi sont obligées de se positionner. Écologie, féminisme, droits des LGBTQ+, autant de thématiques qui apparaissent dans des campagnes de pub ou lors de déclarations audacieuses. À l’occasion d’un petit déjeuner débat organisé le 6 avril dernier par l’association Sorbonne Communication, des acteurs du monde économiques ont pu échanger à ce propos et convaincre en quoi leur engagement est sincère… et payant.

De plus en plus visible, l’engagement des marques pose question, car toujours, en toile de fond, se pose la question de leur sincérité ou de leur opportunisme. Alors que la loi Pacte instaure officiellement le principe d’entreprises à mission plus responsable, l’idée d’afficher son engagement fait du chemin. Pour certaines, après les prises de position viennent les actes. Ainsi aux États-Unis, la marque Patagonia a récemment déclaré qu’elle allait boycotter ses clients non écologiques et ne plus vendre désormais ses gilets sans manches qu’à des entreprises responsables sur le plan de l’écologie. La marque ne souhaite plus se voir, par exemple, associée aux jeunes loups de Wall Street qui avaient adopté cette veste comme uniforme branché.

En France, l’espoir suscité par les prises de position fortes de la part des entreprises s’est traduit par l’exemple de la marque d’eau Évian (groupe Danone) : elle prévoit des émissions carbone neutre d’ici 2050, se voulant exemplaire sur les émissions carbone issues de l’usine d’embouteillage, sur l’embouteillage, le transport, la préservation de sa source…

Si les premiers préceptes de la RSE ont été posés dès la déclaration tripartite de l’OIT sur les entreprises multinationales et leur politique sociale en 1977, c’est au début des années 2000 qu’elle prend de l’ampleur. Développée dans le contexte anglo-américain de la « soft law », où les pratiques volontaires des entreprises se développent dans une situation historique de faiblesse du droit social, la RSE dépend du bon vouloir des entreprises. Et sont-elles réellement parties prenantes sur ces sujets sociétaux ?

Quand les entreprises ont-elles commencé à se positionner socialement ? Donner une date précise est difficile, estime Pierre Baussier, meaning advisor chez WeMean, un cabinet de conseil en leadership communication convaincu de l’importance d’avoir une « vision ». Mais pour l’expert, une chose est sûre : la crise de 2008 a été éminemment révélatrice et a provoqué une « immense rupture, à plusieurs titres : financier, commercial ainsi qu’une remise en question totale du sens des organisations comme les entreprises ». Car à quoi serviraient donc les entreprises si elles n’avaient pas de prise de position publique ? Ce sont ces questions que se sont posées les entreprises a  une résonance très nette chez les consommateurs. D’après l’étude Denjean & Associés (mars 2019), 67 % des consommateurs attendent des marques un engagement non-profit.

Les entreprises, acteurs sociaux ?

Céline Bonnaire, déléguée générale de la Fondation Kering qui lutte contre les violences faites aux femmes, estime que son activité se positionne « très loin du business du groupe Kering » (groupe de luxe possédant Gucci, Yves Saint Laurent, Boucheron ou encore Alexander Mc Queen). « En 2006-2007, le groupe était en train de passer d’un groupe européen, français, de retail, en un groupe de luxe international, dont 60 % des employé.e.s étaient des femmes, et 80 % des clients des clientes. Nous cherchions un sujet sociétal sur lequel Kering pouvait avoir une plus-value, au-delà de ses engagements assez classiques, sur l’éducation, par exemple ». Devant les chiffres édifiants des violences dont sont victimes les femmes à travers le monde (1/3 des femmes victimes de violences physiques ou sexuelles), le président du groupe a jugé la thématique de première nécessité. « Kering, grâce à sa visibilité et à sa clientèle, peut s’engager sur ces sujets-là », confirme-t-elle, et propager efficacement un message. Son engagement n’est pas seulement de surface, mais concerne aussi la politique interne du groupe, avec une politique femmes-hommes en faveur de l’égalité au niveau des RH, lancement du programme « Women in motion », qui consiste à mettre en valeur la contribution des femmes au cinéma grâce à un partenariat avec le festival de Cannes, etc. Avec 35 000 collaborateurs dans 45 pays, Kering se positionne comme un acteur du changement, que ce soit en faveur du développement durable (le textile est la deuxième industrie la plus polluante au monde) ou, comme vu précédemment, en faveur des droits des femmes. « Nous pouvons contribuer à lever un tabou mais aussi sensibiliser nos collaborateurs. Si nous nous fions aux chiffres, cela signifie qu’une proportion non négligeable de nos collaboratrices sont également des survivantes. Ainsi, si elles connaissent des problèmes d’hébergement, dans leurs démarches juridiques, elles peuvent plus facilement en référer à leurs managers, afin de bénéficier d’une plus grande flexibilité dans leur travail, et éventuellement être référencées par rapport aux associations partenaires ».

Lever le soupçon de l’insincérité ?

Du côté de SOS Homophobie, association nationale de lutte contre les violences faites aux personnes LGBT+, la recherche de financement reste un sujet déterminant pour pérenniser les actions déjà mises en place, comme l’écoute et le soutien des victimes, la prévention (en intervenant dans les collèges et lycées) ou encore le militantisme en faveur d’un droit réellement égal pour tous (puisque les discriminations persistent, et ne s’arrêtent d’ailleurs pas à la porte de l’entreprise où SOS Homophobie tente de créer un « safe space »).

Jérémy Faledam, membre du bureau de l’association, a ainsi évoqué la question des partenaires issus du monde de l’entreprise. « Au sein de l’association, c’est un vrai débat. Pour moi le dialogue ne doit jamais être rompu et les marques sont des partenaires comme un autre », a-t-il reconnu. « Mais certains militants sont contre le mélange des genres et s’affirment contre le sponsoring et veulent rester absolument indépendants », en s’affranchissant du soupçon de « pinkwashing » et ainsi redorer leur image. Pour lever ce soupçon, l’idéal est « de construire certaines choses ensemble. Primark, en juin 2018, avait créé une collection Pride arc-en-ciel. Sauf que les t-shirts étaient fabriqués dans des pays qui criminalisent l’homosexualité ! », regrette-t-il. « Dans cas cas-là, quel est l’engagement réel ? ».

Pour Romain Costa, architecte mais aussi influenceur, il est toujours d’une grande violence de sentir que des marques ne vous contactent que comme « caution » gay. Cet écueil, Mastercard y a déjà été confronté. « Quand vous avons décidé de soutenir comme sponsor la marche des fiertés, certains militants ont été choqués : était-ce une façon de faire de la pub ? », se rappelle, lucide, Solveig Honoré-Hatton, directrice générale de Mastercard. Mais on ne vendait pas de moyens de paiement ! », assure-t-elle, en plaisantant à moitié.

Des effets positifs indirects pour les entreprises

À ses yeux, les soupçons d’insincérité feraient un mauvais procès à l’initiative. « Chez Mastercard, forte de ses 14 000 collaborateurs dans 200 pays, notre identité, c’est la diversité. Notre CEO Monde a voulu aller un cran plus loin en mettant en place une vraie politique de diversité et d’inclusion, avec également, la volonté d’avoir des collaborateurs heureux, car l’entreprise est un lieu de vie avant tout ». Les études prouvent par ailleurs que des collaborateurs « heureux » sont plus efficaces. « Chez Mastercard, nous avons moins de 1 % de turn over, les collaborateurs se sentent bien chez nous et nous bénéficions d’effets positifs indirects ». En effet, si Mastercard est innovante du point de vue technologique, c’est qu’elle tire des avantages de la créativité et de la diversité de ses collaborateurs. « C’est d’autant plus important quand on sait que le sexisme des algorithmes est dû au sexisme de leurs créateurs, qui sont des ingénieurs avec le même profil », poursuit Solveig Honoré-Hatton. Pour elle, l’entreprise a le devoir de provoquer des débats internes. La deuxième étape se produit lorsque les collaborateurs deviennent les ambassadeurs de la marque ». Anecdote intéressante : Solveig Honoré-Hatton évoque un collaborateur, qui, gay, n’osait pas parler de son week-end passé avec son compagnon, comme tous les autres employés. Le lancement du réseau interne « Pride » lui aura sans doute permis de s’affirmer et de ne plus craindre le regard des autres.

Mais les entreprises ne peuvent se contenter de sensibiliser leurs collaborateurs. Il leur faut se positionner en externe également si elles veulent réellement apparaître comme des actrices du changement. Aux yeux de Pierre Baussier, il est clair que « si l’entreprise peut facilement s’engager, l’engagement opérationnel est beaucoup plus dur à mettre en place ». Pour la fondation Kering, « l’important est d’avoir un impact social. On a commencé à travailler en interne puis nous avons mis en place des partenariats avec des associations extérieures. Notre but ce n’est pas « je fais un chèque et tu mets mon logo », mais des engagements sur 3 à 5 ans auprès de nos associations partenaires », a rappelé Céline Bonnaire. Dans tous les cas, pour Pierre Baussier, « la communication ne consiste plus à faire signe, mais c’est devenu un outil exécutif efficace, cohérent, engagé et militant ».

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