Seine-Saint-Denis (93)

« Notre région pourrait être un laboratoire très inspirant »

Publié le 26/09/2020

Depuis de nombreuses années, Marie-Monique Robin installée à Pierrefitte-sur-Seine (93), documente le monde dans lequel on vit. Après avoir consacré un reportage à la construction du Stade de France, elle s’est engagée contre EuropaCity au Triangle de Gonnesse et travaille aujourd’hui sur un documentaire et un livre sur la crise du Covid-19, La fabrique des pandémies.

Les Petites Affiches : Comment avez-vous réagi devant la fameuse « vague verte » des municipales ?

Marie-Monique Robin : Je suis satisfaite de cette vague verte : il faut que l’écologie devienne la matrice essentielle pour la politique publique. Les enjeux actuels sont majeurs entre les inégalités dans le monde et les risques sanitaires qui caractérisent l’anthropocène, le fait que l’humanité soit responsable des changements environnementaux. Si on veut éviter que ces phénomènes deviennent exponentiels et ne déclenchent des crises et des effondrements progressifs, il y a des tipping points à respecter. Ils s’approchent et il ne faut pas qu’on les dépasse. Il faut prendre conscience des choses et la crise du Covid-19 peut nous y aider : en déforestant massivement, en faisant du trafic d’animaux sauvages, en préférant la monoculture et l’élevage intensif, nous déséquilibrons tout. Pour mon prochain film, qui s’appellera La fabrique des pandémies, j’ai interrogé 62 scientifiques. Ils disent tous que si on ne s’attaque pas aux causes des pandémies, on va se trouver dans une ère de confinement chronique. Et pour s’attaquer aux causes, rien ne vaut le niveau local, et la vague verte est un signe positif. Il faut que l’on revoie le logiciel politique, que l’on conçoive de nouvelles façons de changer les choses. Bordeaux, Lyon, Besançon et Paris, c’est bien mais il faut que le rassemblement soit très large.

LPA : Dans votre carrière de documentariste, vous avez beaucoup scruté l’Île-de-France. Est-ce un laboratoire pour le monde d’après ?

M.-M.R. : Le monde d’après devra se penser avec l’écologie, qui va de pair avec une politique sociale et solidaire. Bien évidemment, l’Île-de-France est un territoire important, car elle représente 1/5e de la population. Mais il se trouve que la politique de la région y est relativement opposée… pour le Triangle de Gonesse et le projet EuropaCity, le gouvernement a fait machine arrière, tout comme il l’a fait pour Notre-Dame-des-Landes. Mais la région poursuit toujours un agenda de bétonnage massif et continu. J’attends un grand plan d’agriculture urbaine, comme le propose le projet alternatif à EuropaCity pour nourrir la population au niveau local, j’attends que des décisions et des mesures claires soient prises à l’échelle de la région. J’ai observé ce qui s’est passé à Toronto, par exemple, qui a élaboré une vraie production agricole à l’intérieur de la ville. Ce pourrait être possible chez nous, avec une véritable volonté politique et une collaboration avec les habitants. Notre région pourrait alors être un laboratoire très inspirant, ce pourrait être un espace de formation, de transmission… mais nous n’en sommes pas là.

LPA : Pensez-vous que des projets comme EuropaCity, un projet ambitieux et énergivore qui devait remplacer une zone agricole du Triangle de Gonesse, pourraient encore être imaginés aujourd’hui ? Ou sont-ils définitivement relégués dans le passé ?

M.-M.R. : Je pense que nous ne sommes pas à l’abri de cela. Je suis toujours sollicitée partout en France pour m’engager contre des projets de cet ordre, où l’on arrache des arbres pour faire des parkings ou des villages de vacances sous bulle. Quand je parle de changement de logiciel, je parle surtout de remettre en cause le productivisme qui n’a pas de carte politique d’ailleurs. Le projet d’EuropaCity était soutenu par un élu PS… cela montre que même les classifications politiques sont dépassées.

À l’époque de l’anthropocène, il faut penser ses projets comme le fait le CARMA (Coopération pour une ambition agricole rurale et métropolitaine d’avenir) qui est le projet alternatif proposé par les opposants à EuropaCity et qui constitue pour moi un modèle de développement du futur : les décideurs doivent préserver les terres agricoles, ouvrir des jardins partagés ou des fermes urbaines et non construire un énième terrain de sport. Mais beaucoup d’élus du XXe siècle continuent de croire que pour avoir un bon bilan, il faut avoir inauguré un parking ou un centre commercial. On a changé d’air, le vieux monde balbutie : l’avenir ce sont les liens locaux, les circuits courts, on est à la croisée des chemins. D’ailleurs, les jeunes le montrent en s’emparant des rues, ils montrent qu’on est dans une urgence, rappellent que l’on fonce vers le mur.

J’ai interrogé pour mon prochain film Anne Larigauderie de l’IPBES, qui m’a dit que l’état de la biodiversité est dramatique et que c’est irréversible. Trop de pesticides, donc plus d’insectes donc plus d’oiseaux. Quelles actions doivent être imaginées par les activistes pour contrer l’imparable ? On est obligés de se retrancher dans l’histoire, pour se souvenir que des actions à l’époque jugées illégales ont depuis semblé légitimes. Il faut conquérir les conseils municipaux, les listes citoyennes mais aussi inventer de nouveaux types d’action pour lutter contre l’inertie et ne pas laisser le monde s’effondrer.

LPA : La transition écologique au niveau de la région, vous y croyez, vous qui avez traité le sujet des villes en transition dans le documentaire Qu’est-ce qu’on attend ?

M.-M.R. : Comme je le montre dans le documentaire, ça ne fonctionne que quand les élus locaux encouragent la démarche. Il faut que la région considère qu’il s’agit d’une priorité, autant que le transport ou l’immobilier. Il faut que ce soit une démarche transversale, que toutes les décisions prises, toutes, s’inscrivent dans cette perspective. Pour l’instant le Conseil régional ne s’inscrit pas dans cette démarche.

LPA : Dans votre dernier documentaire Nouvelle cordée, vous racontez les territoires zéro chômage longue durée. Ces projets, lancés en 2016 et dont une dizaine existe en Île-de-France, semblent être d’une logique d’avenir. Quelles ont été les réactions à votre documentaire ? Pensez-vous que cette initiative sera pérennisée ?

M.-M.R. : Je suis allée présenter le film un peu partout, et ça a donné lieu à pas mal de débats car cela fait le lien entre deux problématiques très actuelles : la fin du monde et la fin du mois. Ce sont des projets positifs : à travers eux, on voit que des hommes et des femmes marginalisés par la société ont créé de vrais laboratoires sociaux économiques et écologiques. On apprend que personne n’est inemployable. On attend la deuxième loi qui est dans les tuyaux (le projet de loi a été déposé en juin, NDLR) pour permettre à d’autres territoires, dont plusieurs en Île-de-France, de continuer cette expérimentation. Le plus vite possible serait le mieux.

LPA : Vous vivez à Pierrefitte-sur-Seine, en Seine-Saint-Denis, un département qui a été très touché par le Covid-19. Vous vous attendiez à cette ampleur ?

M.-M.R. : Cela montre que le virus a frappé d’abord les populations les plus précaires. Le 93, ce sont les plus hauts taux de pauvreté de l’Île-de-France. Mais cela a aussi montré combien la solidarité et l’associatif a pallié les manques du service public en subvenant au besoin le plus fondamental : manger. À travers cet exemple on le voit bien, les gens touchés par les crises à venir sont les plus précaires, que ce soit à l’intérieur du territoire ou ailleurs sur la planète. Les défis dont je parle dans mon travail sont tous liés à un mode de fonctionnement : on épuise les ressources naturelles pour le profit de quelques-uns. C’est ce que je vais démontrer dans mon projet, La Fabrique des pandémies (le financement participatif est disponible en ligne). C’est clair qu’au lieu d’investir pour relancer Air France et la production automobile, il faudrait écouter les scientifiques car ils peuvent éclairer notre chandelle. J’espère que nos hommes et femmes politiques vont vouloir remonter à la racine des pandémies et comprendre qu’il y a urgence à les résoudre.

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