« Une ZFE efficace pour la métropole du Grand Paris dépend aussi de décisions prises par l’État »

Publié le 08/04/2021

La Métropole du Grand Paris poursuit sa politique de lutte contre la pollution de l’air. La phase 2 du dispositif zone à faibles émissions (ZFE) entre en vigueur le 1er juin 2021, dans 79 communes métropolitaines. Les véhicules Crit’Air 4, 5 et non classés seront interdits à la circulation dans ces villes situées à l’intérieur du périmètre de l’A86. Dans ce contexte, le conseil métropolitain a engagé une consultation publique sur internet. Elle s’est achevée le 31 mars 2021. Daniel Guiraud, vice-président délégué à la transition écologique, à la qualité de l’air et au développement des réseaux énergétiques à la Métropole du Grand Paris, explique les enjeux de lutte contre la pollution sur le territoire métropolitain parisien. 

Actu-Juridique : Qu’est-ce qu’une zone à faibles émissions (ZFE) ?

Vignettes CRIT'Air
Onidji / AdobeStock

Daniel Guiraud : C’est un outil qui procède du constat de la très mauvaise qualité de l’air dans les zones urbaines denses et plus particulièrement au cœur de l’Île-de-France. Ce dispositif existe depuis plusieurs années à travers plusieurs acronymes : ZAPA (zones d’action prioritaire pour l’air), ZBE (zones basses émissions), ZCR (zones de circulation restreinte) et enfin les ZFE (zones à faibles émissions). La loi d’orientation des mobilités (LOM) de décembre 2019 a modifié l’appellation en ZFE mobilité (ZFE-m). Le principe c’est l’interdiction de rouler, dans la ZFE, aux véhicules anciens qui ne répondent pas aux conditions requises, en fonction de leur vignette Crit’Air. Cette vignette certificat qualité de l’air permet de classer les véhicules en fonction de leurs émissions polluantes. Les plus polluants sont « non-classés » ou Crit’Air 5 et la classification du niveau de pollution descend jusqu’au niveau le plus propre avec le Crit’Air 1. Avant de lancer ce dispositif dans la métropole, on avait regardé l’expérience parisienne et dans d’autres villes européennes. La ZFE est créée dans une démarche conjointe. La métropole du Grand Paris a travaillé avec les communes qui la composent et l’État pour avoir cette démarche de création d’une ZFE à partir de juillet 2019.

AJ : Pourquoi avez-vous mis en place ce dispositif dans la métropole du Grand Paris ?

D. G. : À côté de mes fonctions à la métropole, je suis membre d’Airparif, un organisme qui mesure au quotidien la teneur dans l’atmosphère des particules fines, ultrafines, dioxyde d’azote. Évidemment, nous sommes confrontés à un grave problème sanitaire. Toutes les études convergent concernant les décès liés à la pollution : en moyenne, environ 6 000 dans la métropole du Grand Paris et plus de 50 000 en France métropolitaine, chaque année. Au-delà des particules PM10, c’est-à-dire inférieures à 10 microns, et des particules inférieures à 2,5 microns, nous travaillons beaucoup à Airparif sur les particules ultrafines, inférieures à 1 micron, qui sont extrêmement néfastes car elles passent directement dans le sang. On collabore par exemple avec le professeur Jocelyne Just de l’hôpital Armand-Trousseau à Paris, spécialiste en allergologie pédiatrique. Elle travaille sur les infections respiratoires des nourrissons et des nouveaux nés. C’est un véritable sujet. Ensuite, il y aussi les objectifs de limitation du réchauffement climatique de la Cop21 de Paris en 2015. En luttant contre la pollution dans la métropole du Grand Paris, on participe à la lutte contre le réchauffement climatique. Enfin, on a aussi une considération juridique : la France se fait régulièrement condamner pour dépassement des valeurs limites dans les zones urbaines denses. Le pays a été condamné le 24 octobre 2019 par la Cour de justice de l’Union européenne. Puis, le Conseil d’État a ordonné le 10 juillet 2020 au gouvernement de prendre des mesures pour réduire la pollution. La pollution est multifactorielle mais dans les variables explicatives majeures, il y a le trafic routier dans les zones très densément peuplées comme la métropole du Grand Paris.

AJ : Qu’est-ce qui est déjà mis en place sur le territoire de la métropole du Grand Paris ?

D. G. : Paris avait déjà de l’avance. La ville est déjà classée en « non classés, Crit’Air 5 et Crit’Air 4 ». Les véhicules classés dans ces catégories ne peuvent pas circuler dans Paris. La métropole rattrape le wagon parisien. En plus des « non-classés » et Crit’Air 5, 79 communes métropolitaines passeront en Crit’Air 4, au 1er juin 2021. La philosophie de la ZFE est une ambition par paliers, qui va jusqu’à la neutralité thermique des véhicules en ville à l’horizon 2030. L’ambition est forte et j’espère qu’on s’approchera au plus près de l’objectif. On a pris un périmètre, qui correspond à la zone rouge foncé indiquée par les mesures de la pollution. Il correspond au périmètre infra-A86. En gros vous partez de place de la Concorde à Paris, vous tracez un cercle d’un rayon d’une douzaine de kilomètres. Au nord, vous arrivez à Gennevilliers, au sud vers Fresnes, à l’ouest vers Rueil Malmaison et à l’est vers Rosny-sous-Bois. C’est le périmètre de la zone à faibles émissions de la métropole du Grand Paris.  Les véhicules « non-classés », Crit’Air 5 ou 4 n’auront pas le droit de circuler dans ce périmètre sur les plages horaires déterminées du lundi au vendredi de 8h à 20h pour les véhicules particuliers et tous les jours de la semaine pour les poids lourds et autobus.

AJ : Pourquoi avez-vous lancé une concertation citoyenne à propos de la zone à faibles émissions de la métropole du Grand Paris ?

D. G. : C’est dans le règlement de la ZFE puis on vit une époque actuellement où on peut difficilement avancer sans consultation et concertation avec les citoyens. C’est une consultation sur internet. Nous n’avons pas encore les résultats puisqu’elle se terminait le 31 mars. Généralement, ce type de consultation est le réceptacle des mécontentements. Des personnes peuvent être pénalisées par le fait qu’elles ont un véhicule ancien et qu’elles n’ont pas les moyens de le changer.

AJ : Comment allez-vous accompagner la mise en œuvre de la phase 2 de la ZFE ?

D. G. : On a déjà commencé. Quand on s’est posé la question avec les partenaires parisiens de la mise en place de la ZFE métropolitaine, on a tout de suite vu qu’il y avait une problématique d’ordre social. Pour les professionnels, un dispositif d’aide de la région et de la ville de Paris est en place. Seules les régions sont chef de file dans l’aide direct ou indirect aux entreprises. Les autres collectivités peuvent venir en complément. Nous n’avons pas eu de retour de la région concernant l’aide aux professionnels. La métropole du Grand Paris s’est donc concentrée sur les particuliers avec le dispositif « Métropole roule propre », qui peut permettre d’avoir 5 000 € d’aides. Mis bout à bout, ce dispositif avec la prime à la conversion et le bonus écologique, cela permet aux familles les plus modestes un total d’aides qui peut monter jusqu’à 19 000 €. Une somme assez importante mais pas suffisante pour couvrir totalement les frais d’acquisition d’un véhicule neuf. On a donc préconisé auprès de l’État un prêt à taux zéro avec garanties d’emprunt par l’État pour les familles les plus modestes. Jusqu’à présent, nous n’avons pas reçu de réponse favorable à cette proposition. Actuellement, il y a un système d’aide d’État qui s’achemine vers le microcrédit, avec une garantie d’emprunt partielle de la part de l’État. La question de l’aide sociale sur ce sujet demeure donc vraiment posée.

AJ : Avec le contexte sanitaire actuel avec les nouvelles restrictions, pourrait-il y avoir un report de la phase 2 de la ZFE ?

D. G. : Non, on reste sur la date du 1er juin 2021. Il est bien évident toutefois que d’ici le 1er juin, on n’aura pas réglé tous les problèmes. Avec la problématique sociale, il y a aussi celle du contrôle et de la sanction automatisée qui n’est pas réglée. Si on passe un an et demi après la mise en place de cette phase 2 et qu’il n’y a pas l’accompagnement social nécessaire, les contrôles et les sanctions automatisés et qu’on n’est pas clair sur la gestion des dérogations, on n’ira pas très loin. On a averti l’État là-dessus pour aller plus vite sur ces sujets.

AJ : Comment la métropole du Grand Paris travaille-t-elle avec l’État et les différents échelons des collectivités territoriales ?

D. G. : La métropole du Grand Paris est un établissement public de maires qui regroupe 131 communes, dont 79 sont dans le périmètre de la zone à faibles émissions. Le périmètre ZFE ne concerne pas la totalité du territoire métropolitain. On travaille avec les communes de la métropole. Par exemple sur la consultation, dans la commune des Lilas, où j’ai été maire durant 20 ans avant de passer la main, on a veillé avec mon successeur à informer les habitants pour qu’ils puissent s’exprimer sur internet à propos de la ZFE. Majoritairement, les communes adhérent à la ZFE, chacun comprenant l’enjeu. Il y a quelques communes réticentes pour des bonnes raisons notamment la question de l’aide sociale. De son côté, la région s’occupe des aides aux professionnels et aux entreprises. Ce qu’on souhaiterait, c’est que le conseil régional nous confie la possibilité d’accorder aussi des aides aux professionnels. Mais globalement la ZFE est une gestion de dimension métropolitaine. La loi a déterminé la MGP comme chef de file sur ce sujet. En revanche, pour une mise en place efficace de la ZFE, nous dépendons de décisions venant de l’État. C’est le cas sur le sujet des contrôles et sanctions, l’État n’a toujours pas tranché. Le ministre des Transports Jean-Baptiste Djebarri a récemment suggéré que les communes prennent en charge le dispositif de façon provisoire. Le problème c’est que les communes n’ont pas les outils de vidéosurveillance dédiés à la lecture des plaques d’immatriculation des véhicules. Il y a aussi la question des dérogations qui n’est pas clair à savoir quels véhicules seront exonérés de la règle. Il faut une liste précise, cohérente et rationnelle pour que le système soit stable, sans susciter d’appel d’air. Cette règle doit être prise avec l’État. Ce n’est pas à nous métropole de déterminer cela.

AJ : Au-delà de la ZFE, quelles sont les politiques et autres dispositifs en cours d’élaboration par la métropole du Grand Paris ?

D. G. : La ZFE est un outil efficient car elle réduit la pollution par le renouvellement du parc automobile : il y a moins de véhicules polluants et plus de véhicules propres. Ceci étant dit, un véhicule non-polluant n’existe pas. Même un véhicule électrique, ne serait-ce que par l’effet abrasif des pneumatiques au moment du freinage, produit des particules dans l’air. Le véhicule parfaitement propre n’existe pas. La ZFE ne dispense en aucune manière de travailler sur des nouvelles mobilités en zones urbaines denses. C’est le cas du covoiturage, de la restructuration des autoroutes urbaines avec des boulevards ou des avenues urbaines avec des circulations pacifiées, des franchissements, des emplacements pour les circulations douces… Je pense qu’il faut traiter tout cela de façon concomitante. La métropole a aussi un plan vélo et on travaille sur les mobilités futures. Nous sommes aussi engagés dans la transformation thermique des logements. Nous adhérons totalement au programme SARE (Service d’accompagnement à la rénovation énergétique) pour accompagner les particuliers sur les travaux d’isolation pour résorber les passoires thermiques. C’est un sujet consensuel entre les collectivités locales pour essayer d’améliorer les choses. La rénovation énergétique est aussi un enjeu majeur pour les années à venir concernant la lutte contre le réchauffement climatique.

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