« La déclaration universelle des droits de l’Homme est un texte d’une incroyable modernité »

Publié le 17/01/2019

Pour la première fois, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) organisait cette année un festival pour mettre la Déclaration universelle des droits de l’Homme à l’honneur. Un cycle de conférences, de films et d’expositions a ainsi eu lieu à Montreuil du 7 au 12 décembre dernier. Laurène Nicolas, présidente de la section de la ligue de Montreuil-Romainville de la LDH, revient pour les Petites Affiches sur cette première édition.

Les Petites Affiches

Pourquoi avoir organisé ce festival ?

Laurène Nicolas

Nous avons voulu organiser ce festival tout d’abord pour fêter l’anniversaire des 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, qui a eu lieu le 10 décembre dernier. Cela nous semblait important de commémorer cet événement et de sensibiliser sur l’importance de ce texte finalement peu connu hors du sérail des juristes. Il fallait le dépoussiérer et montrer son actualité extraordinaire ! Nous fêtons aussi cette année les 120 ans de la Ligue des droits de l’Homme, qui fut créée en 1898 après l’affaire Dreyfus. Cela faisait donc deux occasions à commémorer.

LPA

En quoi consistait ce festival ?

L. N.

Nous avons travaillé en partenariat avec différents partenaires montreuillois, en particulier la bibliothèque Robert Desnos, à côté de la mairie, et le cinéma Georges Méliès.

Nous avions prévu, à la bibliothèque, d’organiser une table ronde sur le thème : « Les droits de l’Homme, un combat pour aujourd’hui et pour demain ». L’idée était de croiser sur ce sujet les regards de juristes et d’historiens. Nous avons malheureusement dû l’annuler, en raison des nombreuses manifestations qui ont émaillé les week-end de décembre. L’essentiel du festival a heureusement pu être maintenu. Au cinéma le Méliès, nous avons organisé la projection de 3 films suivis de débats, ainsi qu’une séance pour les scolaires. Nous avons également travaillé avec une personne qui organise des ateliers d’écriture dans un lieu associatif, la maison ouverte, chaque dimanche. Pendant deux semaines, ces ateliers se sont inspirés d’articles de la Déclaration et les textes produits ont été affichés à la bibliothèque. Enfin, nous avons installé des panneaux expliquant des articles de la Déclaration de manière pédagogique sur les grilles du square patriarche, qui longe la bibliothèque. Pour chacun des articles sélectionnés, nous avons suivi la même démarche : montrer avec des exemples précis les progrès faits depuis 1948, mais aussi montrer ce qui ne fonctionne toujours pas.

LPA

Pourquoi organiser cette commémoration à Montreuil, en plus des différentes actions qui ont lieu à Paris ?

L. N.

La Ligue a une double approche : elle travaille d’une part sur un plan global et conceptuel, analyse des textes de lois… mais la Ligue croit aussi beaucoup au pouvoir des actions locales. Elle est d’ailleurs divisée en sections, qui lui permettent d’intervenir sur toute la France. Réunir dix personnes dans un café, pour nous, c’est important. Ce sont des petits pas qui comptent pour mobiliser autour de ce combat.

LPA

Quel bilan faites-vous de cette première édition du festival ?

L. N.

C’est plutôt positif. Nous aurions aimé faire encore plus, mais nous n’étions que cinq militants actifs pour organiser toutes ces manifestations. Malgré ce week-end riches en sollicitations, entre Noël, la Marche du climat et celles des Gilets jaunes, nous avons eu du monde. Nous sommes très contents des séances de cinémas avec les scolaires. Nous allons renouveler cette démarche, en choisissant peut-être une période plus calme. Nous aimerions surtout, lorsque nous renouvellerons l’expérience, aller vers d’autres lieux. Même si nous aimons beaucoup le cinéma Le Méliès, nous aimerions aussi toucher un autre public. Il nous faudrait pour cela penser des animations en lien avec des centres sociaux, réfléchir à travailler avec des jeunes publics… Nous aimerions voir les centres sociaux, les lieux de vie dans des quartiers plus excentrés, les écoles, organiser d’eux-mêmes des discussions sur les droits de l’Homme. Si de tels endroits s’en saisissaient, alors nous pourrions considérer que nous avons fait avancer les choses…

LPA

Le cinéma a eu une place importante dans ce festival…

L. N.

Nous avons un partenariat avec le cinéma Le Méliès depuis plusieurs années. C’est un lieu engagé et ouvert qui accueille de nombreuses rencontres. Nous savons que c’est un soutien sur lequel on peut compter. Nous vivons dans une société d’image et de visuel et le cinéma est une bonne manière d’amorcer le débat. Montreuil est en outre une ville qui a participé aux débuts du cinéma, et cela reste une tradition importante pour les habitants.

LPA

Pourquoi une séance pour les scolaires ?

L. N.

C’est pour nous particulièrement important de sensibiliser les nouvelles générations. Les droits de l’Homme restent à écrire : il faut formaliser et compléter ce qui a été fait en 1948.

Nous avons accueilli 200 enfants autour du film d’animation Pavana, qui traite des droits des enfants, garçons et filles, sous le régime des Talibans. Cela a été une des réussites du festival. Nous avons également organisé une rencontre un mercredi après-midi à la bibliothèque Robert Desnos, à côté de la mairie de Montreuil. Des jeunes en centre de loisirs sont venus assister à un exposé sur les droits de l’Homme. De manière générale, nous intervenons beaucoup dans les établissements scolaires, sur des sujets tels que la lutte contre les discriminations, contre l’homophobie, et pour l’égalité entre filles et garçons.

LPA

Vous aviez également fait venir des invités…

L. N.

Oui, les séances de cinéma ont été suivies de débats auxquels participaient des invités connaissant très bien le sujet traité. Pour le débat sur les droits des migrants, nous avons eu la présence de Maël Galisson, membre du Groupe d’information et de soutien aux immigrés (Gisti), qui a coordonné l’action d’une association dans la jungle de Calais pendant plusieurs années. Pour le débat sur les droits des femmes, qui suivait la projection du film iranien La permission, nous avons en eu la visite de Challah Chafiq, écrivaine et sociologue iranienne. Nous avons pu avoir grâce à elle un échange très riche et nuancé sur l’Iran, qui par certains côtés est très modernes – nouvelles technologies, femmes participant à des compétitions sportives – et de l’autre maintient une tradition patriarcale obscurantiste…

LPA

Comment avez-vous déterminé les sujets des manifestations ?

L. N.

Nous avons commencé par reprendre ensemble le texte de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Cela a été un moyen de se le réapproprier. Nous l’avons redécouvert avec enthousiasme, surpris de sa modernité. Chaque personne de la section de la LDH de Montreuil-Romainville a préparé un exposé sur les deux articles du texte qui l’avaient le plus interpellé. Ensuite, nous avons discuté avec nos partenaires et affiné ensemble la sélection. Le thème des migrants s’est imposé, car il est incontournable dans l’actualité, et également présent dans la vie des Montreuillois. Nous tenions également à parler des prisons, car la privation de liberté est un thème qui nous mobilise depuis toujours, et de la cause des femmes, d’autant plus que notre nom, « ligue des droits de l’Homme », prête parfois à confusion.

LPA

Qu’est-ce qui, dans votre nom, prête à confusion ?

L. N.

Aujourd’hui, de plus en plus de personnes préfèrent l’expression « droits humains » à celle de droits de l’Homme. Nous avons beaucoup de débats à ce sujet au sein de la Ligue. Il est évident pour tous nos militants que les droits de l’Homme concernent aussi les femmes, et qu’il y a, en plus, des enjeux particuliers qui concernent uniquement les femmes. Nous avons en notre sein beaucoup d’historiens qui sont très attachés à la référence à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et tiennent à ce qu’on la retrouve dans le nom de notre association. J’ai l’habitude, lorsque j’interviens dans certains quartiers, d’être prise à partie sur cette question. J’explique que la majuscule du mot « Homme » vient signifier que ce terme est à entendre au sens d’humain…

LPA

Qu’est-ce qui, dans le texte de la Déclaration universelle, vous semble le plus puissant ?

L. N.

Tout ! Commencer un texte par l’affirmation de l’égalité en droit et en dignité est en soi très fort. C’est aussi un texte qui met sur le même plan les libertés individuelles et les droits économiques et sociaux. Les uns ne vont pas sans les autres. Cette indivisibilité du droit, nous y sommes, à la LDH, particulièrement attachés. La Déclaration est certes un texte symbolique et non contraignant, mais il a servi de base à l’adoption d’un grand nombre de conventions contraignantes… C’est un texte qui est plus que jamais d’actualité aujourd’hui. La difficulté à obtenir le droit d’asile, à garantir la libre circulation des personnes montre qu’il reste encore bien des choses à faire. Les droits de l’Homme sont un chemin, leur défense est un processus dynamique. On pourrait aussi réfléchir à étoffer cette déclaration des droits de l’Homme car le monde contemporain pose de nouvelles problématiques : les nouvelles technologies de l’information, les enjeux liés au corps et à la bioéthique, le droit à vivre dans un environnement sain et durable.

LPA

Qui peut rejoindre la LDH ?

L. N.

Cela implique de partager nos valeurs. Cela semble évident, mais l’expérience nous a montré que cela valait le coup de le rappeler. Nous sommes une association généraliste. Nous pouvons donc traiter de tous les thèmes. Ensuite, chaque section fonctionne librement. Certaines vont privilégier le travail sur les violences policières, d’autres celui de la situation des femmes, d’autres encore une réflexion sur ce que vivent les migrants. Cette diversité nous fait parfois perdre en visibilité. L’avantage est que nous pouvons choisir nos thèmes de prédilection en fonction du contexte local, du travail mené par les autres associations, de la sensibilité des militants. À Montreuil-Romainville, nous avons ainsi plusieurs personnes très intéressées par les sujets de bioéthiques. Il est donc possible que nous produisions des réflexions sur cette thématique dans les mois à venir.

LPA

Les droits de l’Homme sont-ils encore à la mode, en ce soixante-dixième anniversaire ?

L. N.

Il semble en effet que les droits de l’Homme n’aient plus le vent en poupe. Aujourd’hui, être traité de droit-de-lhommiste est presque une insulte. Seulement, les droits de l’Homme sont plus qu’un effet de mode. Ce sont des valeurs intemporelles, qui doivent constituer un socle. Il faut les voir comme une chance extraordinaire pour le vivre ensemble.

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