L’anonymat du donneur de gamètes face au droit d’accès aux archives (CE, 12 nov. 2015)

Publié le 22/07/2016

En l’espèce, le Conseil d’État apprécie si le refus de communiquer des informations et documents concernant un donneur de gamètes porte atteinte au droit d’accès aux archives invoqué par la personne conçue grâce à ce don. Le juge considère que le refus, fondé sur le respect du principe d’anonymat, ne fait pas obstacle à son droit d’accès dans la mesure où le délai de communicabilité n’a pas expiré.

CE, 12 nov. 2015, no 372121, Mme B

Dans l’espèce soumise au Conseil d’État, une femme conçue par procréation médicalement assistée avec tiers donneur conteste le refus opposé par le Centre de conservation des œufs et du sperme (CECOS) de lui communiquer des informations et des documents concernant le donneur à l’origine de sa conception. Déboutée par le tribunal administratif de Montreuil1 et par la cour administrative d’appel de Versailles2, elle se pourvoit en cassation devant le Conseil d’État. Ce dernier rejette le pourvoi au motif que le refus de communication de ces informations ne méconnait ni la Convention européenne des droits de l’Homme ni l’article L. 213-2 du Code du patrimoine. Saisi de la question de la compatibilité de l’anonymat du don de gamètes avec les articles 8 et 14 de la Convention EDH, le Conseil d’État admet sans surprise la conventionnalité du droit français dans la continuité de la position qu’il avait adoptée dans un avis contentieux rendu sur le sujet3. Déjà commenté sous l’angle de la compatibilité de l’anonymat du don de gamètes avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales4, l’arrêt du Conseil d’État du 12 novembre 2015, mérite aussi d’être analysé au regard du droit interne. Car, il pose la question du respect du droit d’accès aux archives.

I – Le rejet du pourvoi, en raison de la légalité de la décision au regard du droit des archives

La règle de l’anonymat du donneur de gamètes est posée à l’article 16-8 du Code civil, à l’article L. 1211-5 du Code de la santé publique, et la divulgation d’information permettant d’identifier un donneur de gamètes est pénalement sanctionnée par l’article 511-10 du Code pénal. La règle de l’anonymat fait obstacle à la communication des données non identifiantes et identifiantes concernant le donneur. Toutefois, à titre dérogatoire, la loi prévoit en cas de nécessité thérapeutique que seul un médecin peut accéder aux informations médicales non identifiantes. C’est la raison pour laquelle, il a été refusé à la requérante de lui communiquer la date de naissance du donneur de gamètes à l’origine de sa conception. Cette dernière estime que le refus de lui communiquer la date de naissance porte atteinte à son droit d’accès aux archives. En vertu de la loi du 17 juillet 1978, « Les documents administratifs non communicables (…) deviennent consultables au terme des délais et dans les conditions fixés par les articles L. 213-1 et L. 213-2 du Code du patrimoine ». Depuis la réforme du droit des archives en 2008, l’article L. 213-1 du Code du patrimoine, pose le principe selon lequel les archives publiques sont communicables de plein droit. Le régime d’accès aux archives a été calqué sur le principe de libre communicabilité des documents administratifs. Toutefois, par dérogation à ce principe, certains documents ne peuvent être consultés qu’après l’expiration de délais spéciaux afin de garantir certains secrets notamment le secret de la vie privée et le secret médical. En vertu de l’article L. 213-2 du Code du patrimoine, la communication ne peut intervenir qu’à l’expiration d’un délai de vingt-cinq ans à compter de la date du décès de l’intéressé, pour les documents dont la communication porte atteinte au secret médical. Si la date du décès n’est pas connue, le délai est de 120 ans à compter de la date de naissance de la personne en cause. Et le délai est fixé à 50 ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier, pour les documents dont la communication porte atteinte à la protection de la vie privée. Avant l’expiration de ces délais, le dossier du donneur demeure soumis à la règle énoncée à l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978, selon laquelle ne sont communicables qu’à l’intéressé, soit au seul donneur de gamètes, les documents administratifs dont la communication porterait atteinte à la protection de sa vie privée ou au secret médical.

Ne pouvant pas connaître la date de naissance du donneur, la requérante estime qu’elle n’est pas en mesure d’apprécier si les délais applicables pour préserver le secret médical ont expiré. Par conséquent, ce défaut d’information fait obstacle selon elle à son droit d’accès aux archives.

II – Le rejet du pourvoi, conséquence d’une substitution de motifs en cassation

Le Conseil d’État rejette le moyen tiré de l’atteinte portée au droit d’accès aux archives car « compte tenu de son âge, les documents relatifs au donneur de gamètes à l’origine de sa conception dont elle demande communication ont été élaborés il y a moins de cinquante ans et que cette communication porterait atteinte à la vie privée des personnes qu’ils concernent ; qu’ainsi, le délai prévu au 3° de l’article L. 213-2 du Code du patrimoine au terme duquel, si aucun autre texte n’y fait obstacle, leur communication devient possible n’était, en tout état de cause, pas expiré lors de la demande ».

Puisqu’il y a plusieurs délais susceptibles de s’appliquer, le délai spécial destiné à protéger le secret médical et le délai spécial destiné à garantir le respect de la vie privée, le Conseil d’État relève qu’en tout état de cause le délai garantissant la vie privée ne peut être écoulé. Le Conseil d’État a substitué ce motif à celui par lequel la cour administrative d’appel avait écarté le moyen tiré de ce que le refus de communication opposé à la requérante faisait obstacle à l’exercice de son droit d’accès aux archives. En effet, pour écarter le moyen, la Cour avait considéré que la requérante se bornait à alléguer qu’en ignorant la date de l’éventuel décès de son géniteur ainsi que sa date de naissance, il n’était pas exclu qu’elle entre dans le champ d’application des dispositions du Code du patrimoine. Elle ne soutenait qu’à titre hypothétique que pourrait être intervenu le terme de l’un des délais spéciaux, mettant fin à la protection des secrets prévue par l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978. Dans l’hypothèse où la décision attaquée est juridiquement correcte mais fondée sur un motif erroné en droit, le juge de cassation peut opérer une substitution de motifs. Toutefois, pour que la substitution de motifs soit possible en cassation deux conditions doivent être remplies. Il faut que le motif substitué corresponde ou à un moyen d’ordre public ou à un moyen invoqué devant les juges du fond, ce qui était le cas en l’espèce. Et elle ne doit pas obliger le juge de cassation à se livrer à une appréciation des faits5.

Au-delà de la solution de l’espèce, on peut se demander si un tel droit d’accès aux archives n’est pas rendu impossible. En effet, la règle de l’anonymat empêche d’apprécier si le délai applicable au secret médical est écoulé, puisque la date de naissance ou de décès du donneur ne peut être connue. Certes, il reste la possibilité d’invoquer le terme du délai protégeant la vie privée. Mais compte tenu de l’incohérence existant entre l’obligation de conserver le dossier du donneur sous forme anonyme pour une durée minimale de 40 ans (CSP, art. R. 1244-5) et le délai fixé par le Code du patrimoine, le droit d’accès semble compromis. La durée minimale de conservation étant fixée à 40 ans, cela autorise la destruction des dossiers au-delà de ce délai, si bien que l’expiration du délai de 50 ans qui conditionne la consultation ne pourra pas être atteint dans bien des cas.

Notes de bas de pages

  • 1.
    TA Montreuil, 14 juin 2012, n° 1009924 : AJDA 2012, p. 2115, note Hennette-Vauchez S. ; D. 2012, p. 1618, obs. Mirkovic A. ; RTD civ. 2012, p. 520, obs. Hauser J.
  • 2.
    CAA Versailles, 2 juill. 2013, n° 12VE02857.
  • 3.
    CE, avis, 13 juin 2013, n° 362981 : JCP G 2013, act. 744, obs. Mirkovic A. ; AJDA 2013, p. 1246, obs. Grand R. ; RFDA 2013, p. 1051, concl. Crépey E.
  • 4.
    Mirkovic A., « L’anonymat du don de gamètes validé au regard de la Convention EDH », note sous CE, 12 nov. 2015, n° 372121, JCP G, 2016, 62 ; Guyomar M., « Chronique de jurisprudence du Conseil d’État, contentieux administratif et Convention européenne des droits de l’Homme », Gaz. Pal., 26 nov. 2015, n° 246h5, p. 26.
  • 5.
    Massot J. et Fouquet O., Le Conseil d’État, juge de cassation, 1993, Paris, Berger-Levrault, p. 114 et s.
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