La notion d’abornement au regard de l’article 646 du Code civil et de l’ancien article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme

Publié le 27/10/2016

La cour d’appel a pu déduire, à bon droit, que l’action en nullité devait être rejetée dès lors que, conformément à l’article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme, le vendeur déclarait que le descriptif du terrain résultait d’un piquetage effectué le 28 novembre 2011, et relevé que les documents d’arpentage et de piquetage avaient été annexés à l’acte qui comportait la description des limites du terrain.

Cass. 3e civ., 30 juin 2016, no 15-20623, FS–PB

1. L’article 646 du Code civil dispose de manière lapidaire que « Tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës. Le bornage se fait à frais communs »1. On retrouve cette notion de bornage dans l’article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme2 issu de la loi SRU du 13 décembre 20003, abrogé par l’ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015 en son article 12 et codifié aux articles L. 115-4 et L. 115-5 du Code de l’urbanisme. En l’espèce, Mme X a signé avec M. Y et Mme Z une promesse synallagmatique de vente portant sur un terrain constituant un lot de lotissement et destiné à la construction d’un immeuble à usage d’habitation4. La vente a été réitérée par acte authentique du 5 septembre 2012, dressée par M. A. Il a été remis au notaire un piquetage déterminant les limites des parcelles concernées. L’entreprise chargée d’effectuer les travaux sur le lot acquis a découvert un trottoir grevant de plusieurs mètres carrés la parcelle acquise. Les acquéreurs ont assigné les vendeurs en nullité de la vente pour non-respect des dispositions de l’article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme et en résolution des contrats de prêt conclus auprès de Crédit Foncier de France pour financer les travaux. La cour d’appel de Toulouse a rejeté la demande de nullité de l’acte de vente motifs pris que s’agissant d’un terrain qui constitue un lot de lotissement, que l’article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme n’imposerait pas de manière formelle au vendeur de faire réaliser un bornage, mais seulement d’indiquer si ce bornage a été effectué et de fournir une information sur le descriptif du terrain. La Cour de cassation rejette le pourvoi. Cette décision est l’occasion pour la haute juridiction de revenir sur la notion ambiguë de bornage prévue à l’article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme (I). La troisième chambre civile de la Cour de cassation apprécie de manière pragmatique cette notion de bornage contenue dans l’article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme (II).

I – Le sens de la notion de bornage issue de l’article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme

2. En rejetant le pourvoi, la Cour de cassation considère, semble-t-il, que la notion d’abornement (A) doit recevoir une application particulière en matière de lotissement (B).

A – La notion civile d’abornement

3. Il est loisible de constater qu’en matière de bornage, la ligne divisoire est matérialisée au sol par des bornes5. Pour la Cour de cassation, un accord antérieur des parties sur la délimitation de leurs propriétés avec implantation de bornes sur le terrain matérialisant cette limite divisoire rend irrecevable toute action en bornage judiciaire de ces mêmes propriétés6. Pour autant, le bornage étant un simple acte déclaratif visant à délimiter la ligne divisoire entre deux fonds, tant et si bien que le bornage, quoique définitif, est dépourvu de tout effet translatif de nature à figer le droit de propriété sur cette ligne7. C’est ainsi que la haute juridiction considère : « Attendu que pour débouter M. René Raoul Z de ses demandes, l’arrêt retient qu’un document d’arpentage établi le 12 février 1984, dont les données correspondent au terrain vendu, a été signé par M. Martial Z agissant en qualité de mandataire apparent de son frère, M. René Raoul Z, et que la “limite d’occupation” a été acceptée à ce moment-là ; Qu’en statuant ainsi, alors que l’accord des parties sur la délimitation des fonds, n’implique pas, à lui seul, leur accord sur la propriété des parcelles litigieuses, la cour d’appel a violé les textes susvisés »8. Sous réserve de l’accord des deux parties, cette délimitation fait l’objet d’un procès-verbal de bornage, appelé également procès-verbal d’abornement ou procès-verbal de délimitation9.

4. Ceci étant, le bornage se retrouve également en matière de ZAC et de lotissement. En effet, l’article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme, qui ne peut pas être la notion issue de l’article 646 du Code civil, envisage le cas du lotisseur ou l’aménageur qui procède à la division du terrain et à la création de parcelles qui ne sont pas contiguës à la limite périmétrale de l’opération de lotissement ou de ZAC10. Il en résulte que le bornage est contradictoire puisqu’il y a la présence d’une propriété contiguë. A contrario, le bornage ne peut pas être contradictoire puisqu’il n’y a pas d’autre propriétaire que l’aménageur11. Au cas d’espèce, l’article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme pose un problème d’interprétation, quant au fait de savoir s’il s’agit d’un vrai bornage contradictoire ou non12.

B – Les contours flous de la notion d’abornement issue de l’article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme

5. La Cour de cassation maintînt l’arrêt de la cour d’appel, consacrant à nouveau qu’il y aurait désormais en droit positif au moins deux conceptions du bornage13. Comme l’a affirmé avec force une partie de la doctrine autorisée : « le bornage défini par le nouvel article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme correspondrait à une opération non contradictoire, qui ne relèverait pas de l’article 646 du Code civil puisqu’au moment de la pose des bornes matérialisant la future limite il n’y a pas de fonds distincts appartenant à des propriétaires différents »14.

6. Et quand bien même le vendeur d’un lot de lotissement doit respecter le formalisme imposé par l’article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme, il n’est nullement tenu de respecter la réalisation d’un bornage formel15. On a pu tenir pour acquis que « ce texte impose de mentionner si le descriptif du terrain résulte du bornage lorsque pour les terrains à bâtir ordinaires (c’est-à-dire, extérieurs à un lotissement, à une ZAC ou à une AFU) »16. Pour autant, cela ne peut conduire à lisser toutes les différences entre la notion de bornage. Une réponse ministérielle a précisé qu’« il convient d’abord de rappeler que le Code civil fait du bornage un droit : tout propriétaire peut obliger son voisin à borner leurs propriétés contiguës (C. civ., art. 646). En cas de refus, une action en bornage devant le juge judiciaire peut être engagée et c’est alors une décision de justice qui détermine la limite séparative des fonds. Quant au Code de l’urbanisme, il ne fait que garantir le bénéfice de ce droit à tout acquéreur de terrain à bâtir issu d’une division foncière. On soulignera que le plan de bornage, qui définit les limites d’un terrain et sa contenance, est annexé à l’acte de vente et servira donc de référence pour établir le plan de masse de la construction et assurer, ainsi, une implantation réglementaire de la construction »17. Il y a tout lieu de penser que ce principe a seulement vocation à s’appliquer aux hypothèses particulières de la vente d’un lot de lotissement. Pour autant ce principe ne s’applique que sous réserve de l’appréciation des tribunaux. L’arrêt annoté se situe dans la droite ligne de cette réponse ministérielle.

II – La portée de l’article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme

7. À tout le moins, la troisième chambre de la Cour de cassation procède à une appréciation relativement souple de l’article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme (A). Cependant, la portée de cette décision n’aura, semble-t-il, que peu d’incidence sur la nécessaire harmonisation entre le descriptif du terrain vendu et la protection de l’acquéreur (B).

A – Une jurisprudence pragmatique et relativement souple

8. Au demeurant, les juges de la troisième chambre civile font une interprétation souple18 de ce qu’il faut entendre par la notion de bornage au regard de l’article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme, puisqu’au cas d’espèce, ils se contentent de relever que le vendeur déclarait que le descriptif du terrain résultait d’un piquetage effectué le 28 novembre 2011, et que les documents d’arpentage et de piquetage avaient été annexés à l’acte qui comportait la description des limites du terrain. On remarquera par ailleurs, que bien qu’elles relèvent des actions pétitoires, l’action en bornage se distingue parfaitement de l’action en revendication19. En dépit de cela, les distinctions entre l’action en bornage et l’action en revendication paraissent en effet prêter le flanc à la critique, de sorte que bien souvent « l’un des voisins peut toujours intenter une action en revendication postérieurement au bornage, sans se voir opposer l’autorité de la chose jugée »20.

9. On ne reviendra pas longuement sur le fait que le bornage n’emporte pas transfert de propriété21, dont on ose à peine ressasser ici les références rebattues sur cette question22. Cette jurisprudence a depuis été reprise et notamment confirmée par la Cour de cassation dans les termes suivants : « Attendu que pour écarter le procès-verbal de bornage du 28 octobre 1966 signé par les auteurs respectifs des parties et incluant le passage litigieux dans la parcelle de M. et Mme X, l’arrêt retient que ce procès-verbal n’a pas été publié à la conservation des hypothèques et n’est pas mentionné dans l’acte d’acquisition de M. Y, de sorte qu’il ne lui est pas opposable, qu’en effet la création d’un droit immobilier n’est opposable que si la convention qui le crée est publiée ou si elle est mentionnée dans le titre de propriété, étant donné que l’ayant cause à titre particulier est un tiers au sens de l’article 30-1 du décret du 4 janvier 1955 ; Qu’en statuant ainsi, alors qu’un procès-verbal de bornage n’est pas un acte constitutif ou translatif de propriété et n’est pas soumis à publicité, la cour d’appel a violé le texte susvisé »23.

10. On observe, en effet, que la Cour de cassation se montre particulièrement pragmatique, s’intéressant davantage aux finalités exigées par l’article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme plutôt qu’au bornage formel de l’article 646 du Code civil24. Les magistrats de la troisième chambre civile ont ici adopté un raisonnement téléologique en s’interrogeant sur les finalités de l’article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme prévoyant une information préalable à la vente du lot de lotissement.

B – Vers une harmonisation relative au descriptif du terrain vendu et de la protection de l’acquéreur ?

11. Cette analyse téléologique opérée par la Cour de cassation à l’égard de l’article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme n’est pas une vraie surprise, car ce devoir d’information était souhaité depuis longtemps par le notariat qui à l’occasion du 103e Congrès des notaires de France proposait que « (..) le contenu de l’article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme soit inséré dans le Code de la construction et de l’habitation, dans le chapitre unique régissant la protection de l’acquéreur immobilier (art. L. 271-1 et s.) ; qu’il soit inséré à la fin de l’alinéa premier dudit article, la phrase suivante : “par exception, pour les terrains issus d’une division soumise à déclaration préalable, et pour ceux qui ne sont pas issus de division, le descriptif du terrain devra résulter, pour la ou les limites non bornées, d’un plan de délimitation établi par un géomètre expert, indiquant que cette ou ces limites ne sont pas établies contradictoirement. La mention du descriptif du terrain résultant d’un bornage, et/ou d’un plan de délimitation est inscrite dans l’avant contrat ou le contrat” »25.

12. La solution s’autorise sans doute de l’article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme car les faits permettaient d’exclure la nullité de la vente. La solution repose autant sur sa fonction informative que sur sa fonction d’abornement à laquelle la Cour fait pourtant référence.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Atias C. et Grimonprez B., « Bornage », Rép. civ. Dalloz, op cit.
  • 2.
    L’article L. 111-5-3 du Code de l’urbanisme (ancien) disposait : « Toute promesse unilatérale de vente ou d’achat, tout contrat réalisant ou constatant la vente d’un terrain indiquant l’intention de l’acquéreur de construire un immeuble à usage d’habitation ou à usage mixte d’habitation et professionnel sur ce terrain mentionne si le descriptif dudit terrain résulte d’un bornage. Lorsque le terrain est un lot de lotissement, est issu d’une division effectuée à l’intérieur d’une zone d’aménagement concerté par la personne publique ou privée chargée de l’aménagement ou est issu d’un remembrement réalisé par une association foncière urbaine, la mention du descriptif du terrain résultant du bornage est inscrite dans la promesse ou le contrat. Le bénéficiaire en cas de promesse de vente, le promettant en cas de promesse d’achat ou l’acquéreur du terrain peut intenter l’action en nullité sur le fondement de l’absence de l’une ou l’autre mention visée au premier alinéa selon le cas, avant l’expiration du délai d’un mois à compter de l’acte authentique constatant la réalisation de la vente. La signature de cet acte authentique comportant ladite mention entraîne la déchéance du droit à engager ou à poursuivre l’action en nullité de la promesse ou du contrat qui l’a précédé, fondée sur l’absence de cette mention ».
  • 3.
    Périnet-Marquet H., « Droit des biens », JCP G 2003, n° 43, 172 ; Lesergent M.-C., « Précisions sur l’obligation de bornage », Dalloz actualité, 21 juill. 2016 (loi SRU ; relative à la solidarité et au renouvellement urbains).
  • 4.
    Lesergent M.-C., « Précisions sur l’obligation de bornage », op. cit. ; JCP E 2016, 1432.
  • 5.
    Pérignon S., « Le bornage des terrains à bâtir », Defrénois 30 janv. 2002, n° 2, p. 80.
  • 6.
    Cass. 3e civ., 9 avr. 2013, n° 12-14454, D.
  • 7.
    Streiff V., « Le bornage : un droit aux contours incertains », Dr. & patr. 2016, p. 257.
  • 8.
    Cass. 3e civ., 27 nov. 2002, n° 01-03936, PB.
  • 9.
    Pérignon S., « Le bornage des terrains à bâtir », op. cit.
  • 10.
    Pérignon S., « Le bornage des terrains à bâtir », op. cit. ; Gil G., « Servitudes. – Servitudes dérivant de la situation des lieux. – Bornage », JCl. Civil Code, art. 646.
  • 11.
    Chevreux, « Le Bornage », http://www.cheuvreux-notaires.fr.
  • 12.
    Périnet-Marquet H., « Droit des biens », op. cit.
  • 13.
    Cornille P., « Il y aurait-il bornage et bornage ? », JCl. Construction - Urbanisme, Fasc. 11, 274.
  • 14.
    Ibid.
  • 15.
    Lesergent M.-C., « Précisions sur l’obligation de bornage », op. cit.
  • 16.
    Périnet-Marquet H., « Les difficultés de délimitation du champ d’application des droits de rétractation et de réflexion offerts à l’acquéreur immobilier. – Article L. 271-1 du Code de la construction », JCP G 2002, doctr. 129.
  • 17.
    QE n° 41204 « Logement et urbanisme – Urbanisme – Lotissements – Bornage. Réglementation » : JOAN, 6 avr. 2010.
  • 18.
    Lesergent M.-C., « Précisions sur l’obligation de bornage », op. cit.
  • 19.
    Seube J.-B. et Revet T., « Novembre 2009 – mars 2010 : concilier les droits fondamentaux », Dr. & patr., n° 193. TGI Brignoles, 6 déc. 1983, n° 157/80.
  • 20.
    Ibid.
  • 21.
    L’action en bornage n’emporte pas transfert de propriété, Dalloz actualité, 9 sept. 2013.
  • 22.
    Ibid.
  • 23.
    Cass. 3e civ., 9 avr. 2013, n° 12-13516, D.
  • 24.
    Lesergent M.-C., « Précisions sur l’obligation de bornage », op. cit.
  • 25.
    Propositions sur le thème de la division de l’immeuble (le sol, l’espace et le bâti) du 103e congrès des notaires de France, Lyon 23-26 septembre 2007 ; JCP A 2007 n° 40, act. 870.
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