Grand Paris

« La pandémie a mis nos architectures et nos villes au banc d’essai »

Publié le 18/05/2021

Fabien Gantois a été élu, en mars dernier, président du Conseil régional de l’ordre des architectes d’Île-de-France. Il succède dans ses fonctions à Christine Leconte. À la tête d’un organisme qui regroupe 10 000 architectes, soit un tiers des professionnels exerçant en France, Fabien Gantois veut développer, notamment, « une architecture d’utilité sociale ». Il revient sur le programme de son mandat.

Les Petites Affiches : Votre élection à la présidence du Conseil régional de l’ordre des architectes d’Île-de-France représente-t-elle une suite logique après votre mandat en qualité de vice-président ?

Fabien Gantois : C’est un engagement plutôt récent de ma part. Je ne pensais pas à la présidence avant la période Covid qui a eu un impact évident sur l’organisation de tous les professionnels et bien sûr de l’ordre. Je me suis engagé dans cette élection par conviction. Au-delà de la mission « régalienne » de l’ordre, très importante, et qui vise à contrôler la profession, en s’assurant par exemple du respect des règles de déontologie ou de la protection du titre d’architecte, je souhaite défendre une réflexion sur la place de l’architecture et des architectes dans la société. C’est surtout sur ce volet-là que je me suis essentiellement engagé.

LPA : C’est-à-dire ? Quel est votre programme pour vos trois ans de mandat ?

F.G. : J’ai ciblé trois axes centraux pour ces prochaines années. Le premier concerne la transition écologique. Ce sujet inonde toute la société et de nombreuses propositions sont faites en ce moment dans ce domaine. Je pense bien sûr à la loi Climat et résilience, au rapport Sichel ou au plan de relance qui prévoit d’injecter plusieurs milliards d’euros dans la filière du bâtiment et notamment dans la rénovation énergétique des bâtiments.

Si avec le Conseil régional de l’ordre des architectes que je représente, nous partageons, dans les grandes lignes, les ambitions du gouvernement et notamment la stratégie nationale bas carbone qui s’inscrit dans l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, nous sommes en revanche critiques quant aux moyens pour y parvenir. Le plan de relance est ainsi pensé qu’il va se traduire par la passation de contrats-cadres avec quelques acteurs seulement, et ce pour investir massivement et rapidement de l’argent. Or restreindre le nombre d’acteurs représente selon nous un risque d’homogénéisation des projets architecturaux et des réhabilitations. Et donc du patrimoine. De nombreux bâtiments publics sont issus de concours architecturaux des années 80 et 90, période très riche en la matière. Ces bâtiments ne peuvent pas être recouverts, sans réflexion, d’isolations thermiques par l’extérieur sous prétexte d’une course contre la montre. Aussi, en ne faisant appel qu’à certains acteurs, les investissements seront concentrés et non diffus. Nous sommes préoccupés quant aux déséquilibres qui pourraient être créés dans le tissu économique des agences d’architecture, des bureaux d’étude et des entreprises. Concrètement, les plus gros pourront profiter de cette nouvelle manne financière au détriment des plus petites structures qui sont tout aussi vitales pour notre écosystème. Ainsi, le plan de relance ne peut uniquement s’axer sur le seul prisme énergétique, bien qu’il soit évidemment essentiel. Il doit aussi embarquer des enjeux sociétaux et valeurs inhérentes à l’architecture comme le vieillissement de la population ou la question du handicap. Le bâti ne peut être résumé à une question technique qu’il serait bon de régler rapidement.

LPA : Autre point de votre programme, vous souhaitez « répondre à l’attente des habitants ». Vous évoquez « une architecture d’utilité sociale ». Qu’entendez-vous par là concrètement ?

F.G. : Il est important de rappeler que l’ordre a une mission d’utilité publique qui lui a été confiée en 1977 par l’État. Il garantit à la société le respect de l’intérêt public de l’architecture.

La pandémie a mis nos architectures et nos villes au banc d’essai. Et nous nous sommes aperçus notamment, en dépit de nombreuses autres qualités, que nos logements étaient trop petits. La crise Covid a révélé de façon criante quelques injustices déjà connues selon la ville, le quartier ou le bâtiment que l’on habitait. Je pense aussi à la problématique du télétravail qui a chamboulé la vision de nos logements. Concernant l’acoustique nous avons fait l’expérience, pour beaucoup d’entre nous, de l’impossibilité de travailler tout en ayant des enfants dans le même logement. Cela doit nous interroger sur les espaces communs qui sont aujourd’hui inexistants dans nos immeubles, ou les espaces extérieurs type balcons. Nous nous sommes aussi rendus compte de la solitude des personnes âgées dans leurs logements. Ou encore que les citadins souhaitent quitter la ville. Les attentes des citoyens quant à l’architecture changent. Plus de lien social, plus de verdure, plus d’espace, plus de confort. À nous de nous saisir de tous ces enjeux.

N’oublions pas qu’à l’horizon 2050, l’Île-de-France comptera 1,5 million d’habitants supplémentaires. Cela ajoute une contrainte dans un contexte environnemental exigeant, notamment pour respecter l’objectif de zéro artificialisation nette. Ainsi, peu ou prou, l’emprise au sol de la métropole parisienne ne changera pas d’ici 30 ans alors que la population augmentera. La métropole va donc devoir se densifier. Mais cela ne pourra pas se faire sans qualité et sans attention portée à l’aménagement urbain, en lien évidemment avec les nouvelles attentes que je mentionnais. Les nouveaux espaces se faisant rares, nous allons donc devoir améliorer la qualité de l’existant. Faire du neuf avec de l’ancien en quelque sorte. La tâche de l’architecture est là très importante.

LPA : Vous ambitionnez de fédérer l’écosystème architectural. Pouvez-vous nous en dire plus à ce propos ?

F.G. : L’écosystème architectural regroupe à la fois les décideurs, qu’ils soient publics ou privés, les concepteurs (architectes, ingénieurs, géomètres, etc.) et les réalisateurs, c’est-à-dire les entreprises. L’ensemble de ces parties, bien que différentes a priori, partagent des ambitions et projets communs: la transformation écologique et le bien-être des usagers des lieux bâtis. Il nous semble donc essentiel de fortifier les canaux d’échanges afin que l’on puisse avancer et travailler sur ces sujets.

LPA : Le contexte de la crise sanitaire a-t-il transformé certaines de vos convictions ?

F.G. : J’ai été davantage renforcé dans mes convictions. Et notamment dans mon souhait de travailler « ensemble ». Les défis auxquels nous faisons face sont tellement importants que nous devons dépasser nos querelles passées et avancer ensemble, entre acteurs de l’aménagement urbain. Les citoyens réclament cela. Nous devons leur répondre vite et bien.

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