Quel équilibre entre l’obligation de notification du recours et les conditions d’affichage du permis de construire ?

Publié le 25/05/2016

Les exigences particulières du contentieux de l’urbanisme, notamment celles relatives, d’un côté, à la notification du recours et, de l’autre côté, à la régularité de l’affichage du permis de construire, continuent à susciter l’intérêt. Afin de remédier aux difficultés pratiques qui surgissent régulièrement, l’œuvre jurisprudentielle est en mouvement permanent. Il en ressort que l’équilibre recherché entre les exigences prescrites aux articles R. 600-1 et R. 424-15 du Code de l’urbanisme est toujours d’actualité. La décision commentée en date du 4 novembre 2015, en présente la parfaite illustration.

CE, 4 nov. 2015, no 387074, MM. A et D c/ commune de Saint-Chaffrey

Les faits de l’espèce sont simples. Par un arrêté en date du 4 juin 2010, le maire de Saint-Chaffrey a délivré à la SCI Le Verger un permis de construire deux immeubles à usage d’habitation. Plusieurs propriétaires des parcelles mitoyennes ont formé un recours gracieux auprès de la commune Saint-Chaffrey afin qu’elle retire le permis accordé. N’ayant pas obtenu satisfaction, les intéressés ont saisi le tribunal administratif de Marseille d’une demande d’annulation de l’arrêté du 4 juin 2010. Devant cette juridiction, l’auteur du permis – le maire de Saint-Chaffrey – a opposé le défaut de justification par les requérants de l’accomplissement de la notification du recours contentieux prescrite à l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme. Les requérants n’ayant pas démontré qu’ils avaient bien accompli cette formalité, le tribunal a, le 24 décembre 2012, rejeté leur requête pour irrecevabilité. Saisie de l’affaire, la cour administrative d’appel de Marseille a, le 3 novembre 2014, rejeté l’appel formé contre le jugement de première instance.

Les requérants ont alors saisi le Conseil d’État qui a statué le 4 novembre 2015. À la lecture de cet arrêt, on constate que nombreux étaient les moyens soulevés. Il a notamment été question d’irrégularité de la procédure devant le juge d’appel. À ce titre, les avocats des parties ne semblaient pas avoir été invités à prendre la parole après le rapporteur public et ce, en méconnaissance des dispositions de l’article R. 732-1 du Code de justice administrative. Il s’agit du premier moyen retenu et jugé fondé par le Conseil d’État. Ensuite, ce qui nous intéresse plus particulièrement dans cette étude, les requérants faisaient valoir que le juge d’appel avait commis une erreur de droit en ne vérifiant pas, alors qu’il avait été saisi de moyens en ce sens, si l’obligation de notification de l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme pouvait leur être opposée au regard des exigences de l’article R. 424-15 du même code. Le juge de cassation leur a également donné raison. La solution retenue est le fruit d’une évolution en cours depuis de nombreuses années.

Pour mieux comprendre le raisonnement du juge de cassation dans la présente affaire et son apport, il est utile de rappeler qu’alors que l’article R. 600-1 impose l’obligation, prévue à peine d’irrecevabilité, de notifier tout recours administratif ou contentieux à l’auteur de la décision et au bénéficiaire du permis, l’article R. 424-15 dispose que l’affichage du permis de construire, sur le terrain d’assiette, doit mentionner l’obligation pour les requérants de notifier leur recours en application de l’article R. 600-1 précité. La première obligation a été instituée par la loi du 9 février 1994, tandis que la seconde l’a été plus récemment par le décret n° 2007-18 du 5 janvier 2007. Il s’agit des dispositions qui n’ont pas la même finalité ou le même objectif. Elles ne visent pas à protéger les droits de la même partie. Ce qui ressort d’ailleurs de la jurisprudence administrative elle-même, selon laquelle l’exigence procédurale de l’article R. 600-1 est « instituée par un texte particulier dans un souci de bonne administration de la justice et de sécurité juridique »1. Elle a pour but « d’alerter tant l’auteur d’une décision d’urbanisme que son bénéficiaire de l’existence d’un recours contentieux formé contre cette décision »2. Quant à elle, l’exigence procédurale de l’article R. 424-15 « est destinée à mieux informer les éventuels requérants de leur obligation de notification et des risques d’irrecevabilité qu’ils encourent à ne pas l’accomplir »3. À ce titre, il est précisé que l’auteur de la décision d’urbanisme qui introduit un recours contre un jugement annulant le retrait d’une décision de non-opposition à une déclaration de travaux ne peut, pour justifier le défaut d’accomplissement des obligations de notification, invoquer le caractère incomplet de l’affichage de cette décision en méconnaissance de l’article R. 424-15, puisque celles-ci ne sont destinées qu’« à informer les tiers »4.

La question qui se pose est de savoir comment concilier entre ces deux impératifs indispensables à la protection des droits des parties antagonistes. Si l’équilibre recherché entre les exigences des articles R. 424-15 et R. 600-1 du Code de l’urbanisme semble être apparemment garanti (I), il n’en demeure pas moins fragile, en réalité (II).

I – L’obligation de notification du recours et les conditions d’affichage du permis : un équilibre apparemment garanti

Depuis quelques années, le juge administratif est à la recherche d’un meilleur équilibre entre les exigences procédurales des articles R. 424-15 et R. 600-1 précités. Certains principes jurisprudentiels, telles que la subordination de l’irrecevabilité pour défaut de notification du recours à la régularité de l’affichage du permis (A) et la fixation de la date à laquelle la preuve de la notification doit être apportée (B), semblent garantir un tel équilibre, du moins, en apparence.

A – La subordination de l’irrecevabilité pour défaut de notification à la régularité d’affichage

La première question, qui n’était pas nouvelle, à laquelle le juge du Palais-Royal a répondu le 4 novembre 2015, était de savoir si l’omission de l’indication, sur le panneau d’affichage, de l’obligation de notification du recours a pour effet de rendre inopposable une telle fin de non-recevoir. La réponse positive apportée en l’espèce n’est qu’une transposition d’une jurisprudence désormais bien établie.

En effet, depuis l’avis contentieux Société Sahelac et Mme Juventin du 19 novembre 2008, aucune irrecevabilité pour défaut de notification ne peut être encourue lorsque le panneau d’affichage n’en fait pas référence5. Autrement dit, « il résulte de la combinaison de ces dispositions que la fin de non-recevoir tirée de l’absence d’accomplissement des formalités de notification requises par l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme ne peut être opposée qu’à la condition que l’affichage du permis de construire, prévu à l’article R. 424-15 du même code, ait fait mention de cette obligation »6. Ce principe a été jugé applicable non seulement en première instance, mais également en appel et en cassation7.

Il s’ensuit que l’indication, sur le panneau d’affichage, de l’article R. 600-1 constitue un élément essentiel et une obligation qui doit être parfaitement respectée. Il s’agit de la première exigence à être respectée. Sans elle, la fin de non-recevoir tirée du défaut d’accomplissement de la formalité de notification ne peut être opposée. Une telle fin de non-recevoir a été logiquement écartée en cas d’absence totale8 ou même incomplète de l’affichage du permis9.

À cet égard, certains ont très justement pu souligner que « l’équilibre de la sécurité du bénéficiaire et du droit de critique du requérant impose que le premier informe le second de l’obligation de notifier s’imposant à lui, par un panneau d’affichage scrupuleusement renseigné, conformément au texte applicable »10. Rien d’anormal, d’autant que, pour ne suivre que le raisonnement de la cour administrative d’appel de Marseille elle-même, mais dans une autre affaire, « l’introduction récente des articles R. 424-15 et A. 424-17 dans le Code de l’urbanisme a justement pour finalité de minorer les effets de l’application directe de l’article R. 600-1 dans le régime antérieur »11.

Ainsi, l’avis Société Sahelac et Mme Juventin et ses suites ont, dans une certaine mesure, équilibré la balance trop penchée, jusque-là, en faveur de l’auteur de la décision et du titulaire de l’autorisation. La décision du 4 novembre 2015 s’inscrit dans ce mouvement. Elle a réaffirmé l’œuvre prétorienne antérieure. Il en va de même de l’impossibilité d’apporter les justificatifs de la notification du recours après la clôture de l’instruction.

B – La fixation de la date à laquelle la preuve de la notification doit être apportée

On sait que la preuve de la notification du recours doit être apportée par le requérant, tant à l’auteur de l’autorisation du permis de construire qu’à son bénéficiaire12. Et lorsque le requérant ne produit pas spontanément cette preuve, le juge doit l’y inviter13. Si l’invitation n’est pas suivie d’effets, le recours sera rejeté pour irrecevabilité14.

En 2008, le juge administratif a, à deux reprises, précisé le délai dont le requérant disposait afin de fournir les justificatifs de la notification : ces derniers ne peuvent être apportés ni après la clôture de l’instruction, sauf si les requérants n’étaient pas en mesure d’en faire état avant la clôture15, ni pour la première fois en appel, dès lors que l’irrecevabilité a été régulièrement opposée16.

Sur ce point, le Conseil d’État a, en l’espèce, réitéré la même position. Il en résulte que le requérant est mis à même de justifier de l’accomplissement des formalités de notification par deux voies distinctes, soit sur invitation à régulariser adressée par le tribunal, soit sur une fin de non-recevoir opposée par le défendeur. Il en résulte également que lorsque le requérant s’abstient, bien que l’invitation lui en ait été faite, de produire la justification de la notification de son recours contre une autorisation d’urbanisme en première instance, il n’est pas recevable à produire cette justification pour la première fois en appel. Sans oublier que le juge n’a pas l’obligation d’inviter le requérant à justifier de l’accomplissement de ces formalités lorsqu’une fin de non-recevoir lui en a été opposée dans un mémoire en défense dont il a eu communication17.

Force est de constater que, depuis quelques années, le juge administratif tente d’assouplir le formalisme prescrit à l’article 600-1. Deux exemples l’illustrent. D’abord, il a été considéré que lorsque le requérant a été invité à produire la preuve de la notification et qu’il a répondu à l’invitation qui lui a été faite en indiquant l’avoir fait, à la fois, à l’auteur de l’acte et à son bénéficiaire, mais en n’en apportant la preuve que pour le premier, le juge ne pouvait rejeter le recours pour défaut de notification sans que le greffe l’en ait préalablement avisé18. Ensuite, plus significatif encore, il a été jugé que la production du certificat de dépôt d’une lettre recommandée informant de l’instance suffisait à justifier de l’accomplissement d’une telle formalité19. Nous allons voir que ces assouplissements sont loin d’être suffisants.

De ce qui précède, on constate que les principes jurisprudentiels, subordonnant l’irrecevabilité pour défaut de notification à la régularité d’affichage du permis de construire et fixant la date à laquelle le requérant peut apporter la preuve de cette notification, garantissent un certain équilibre entre les exigences imposées par les articles R. 424-15 et R. 600-1. Cet équilibre, garanti en apparence, semble toutefois être fragile en réalité.

II – L’obligation de notification du recours et les conditions d’affichage du permis : un équilibre réellement fragile

Dans l’affaire MM. A et D c/ Commune de Saint-Chaffrey, l’erreur de droit commise par la cour administrative d’appel de Marseille, dans son arrêt du 3 novembre 2014, ne pouvait pas passer inaperçue. Alors que les requérants lui demandaient de vérifier la régularité de l’affichage et d’en tirer toutes les conséquences et ce, sur la base de l’ensemble des éléments dont elle a été saisie, la cour s’est contentée d’observer qu’« il ne ressort pas des pièces du dossier et des écritures des parties devant le tribunal administratif que les dispositions de l’article R. 424-15 auraient été méconnues, que le permis litigieux n’aurait pas été affiché sur le terrain ou même que la réalité et les mentions de l’affichage auraient été contestées ».

Ce rejet expéditif du recours et des moyens dont la cour a été saisie va être sanctionné par le juge de cassation. Si la position retenue est salutaire, elle ne paraît pas garantir parfaitement l’équilibre nécessaire entre l’obligation de notification du recours et les conditions d’affichage du permis de construire. Or deux exigences fondamentales l’imposaient : le respect du principe de l’effet dévolutif de l’appel (A) et le principe du droit à un recours effectif (B).

A – Le respect du principe de l’effet dévolutif de l’appel

La nature de l’office du juge d’appel est désormais établie. Il ne faut, à aucun moment, confondre l’appel et la cassation. Si dans le dernier cas, le juge saisi est juge de la décision juridictionnelle, il est, en appel, juge du litige. Ce qui n’est guère la même chose. En appel, le juge est en effet saisi de l’ensemble du litige. C’est là où réside l’apport principal de l’arrêt MM. A et D c/ Commune de Saint-Chaffrey du 4 novembre 2015.

En l’espèce, le Conseil d’État a considéré que le juge d’appel devait, s’il est saisi de moyens en ce sens, tenir compte des éléments de nature à établir que l’obligation de notification était bien opposable aux requérants. Par conséquent, la cour administrative d’appel ne pouvait pas s’abstenir de prendre en considération l’ensemble des éléments, produits tant en appel qu’en première instance, de nature à établir si, au vu des conditions d’affichage du permis de construire, la fin de non-recevoir opposée par l’auteur du permis litigieux devant les premiers juges et tirée du défaut de notification pouvait être opposée à la demande des requérants de première instance. Avant de conclure très justement qu’« en écartant les pièces produites devant elle par les appelants et relatives aux conditions d’affichage du permis litigieux, au seul motif qu’ils n’avaient pas allégué l’irrégularité de cet affichage devant les premiers juges, la cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit »20.

Ce faisant, le Conseil d’État rappelle plus généralement le principe de l’effet dévolutif de l’appel. À ce titre d’ailleurs, il avait déjà estimé qu’il appartenait au juge d’appel, saisi « par l’effet dévolutif de l’appel, de répondre à l’ensemble de moyens opérants invoqués par le défendeur en première instance alors même que ce dernier, sans pour autant les abandonner, ne les avait pas expressément repris devant elle »21. De la même manière, il avait admis que le requérant pouvait, pour la première fois en appel, faire état d’une qualité lui donnant intérêt à agir22, justifier de la recevabilité de sa demande23, ou même, plus généralement, présenter des justifications nouvelles sur des points de fait ou de droit qui étaient en cause en première instance24 ; il avait été également admis qu’un candidat, dont le compte de campagne avait été rejeté par le juge de première instance au motif qu’il n’avait pas justifié une recette y figurant, pouvait utilement produire pour la première fois en appel les justificatifs de cette recette25.

Pour revenir au cas de l’espèce, statuant comme il l’a fait, le Conseil d’État ne paraît pourtant pas aller au bout de la logique et ce, malgré l’importance de la solution apportée. En effet, le simple défaut de produire une copie du certificat de dépôt de la lettre recommandée adressée à l’auteur de la décision contestée et au titulaire de l’autorisation ne doit pas peser dans l’appréciation du juge plus lourdement que l’absence, sur le panneau d’affichage, des mentions nécessaires. Bien au contraire, on l’a vu plus haut, le respect de la première exigence est subordonné au respect de la seconde. Par conséquent, une fois évoquée, la régularité de l’affichage, dont la charge de la preuve incombe sur l’auteur de l’autorisation de l’urbanisme et son bénéficiaire, doit être examinée en premier lieu. D’autant qu’elle conditionne l’opposabilité de l’irrecevabilité prévue à l’article R. 600-1.

Le Conseil d’État ne paraît pas avoir clairement opté pour un tel raisonnement, contrairement à d’autres juridictions administratives subordonnées, telle que la cour administrative d’appel de Versailles. L’arrêt de celle-ci en date du 1er décembre 2011 en est le parfait exemple : « Considérant que ni la commune ni M. et Mme B, à qui incombent la charge de prouver la réalité, la régularité et la continuité de la formalité d’affichage prévue par l’article R. 424-15 du Code de l’urbanisme, n’apportent la preuve d’un affichage régulier sur le terrain du permis de construire délivré le 14 décembre 2007 ; que, par suite, la méconnaissance des dispositions de l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme ne pouvait pas être opposée, quelles qu’aient été les diligences qu’elle avait effectuée en première instance, à Mme A pour déclarer sa demande irrecevable ; que cette dernière est dès lors fondée à soutenir devant la Cour, par un moyen relatif à la régularité de la décision de première instance nécessairement évoqué pour la première fois en appel, que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le président de la 8ème chambre du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande »26.

Outre le principe de l’effet dévolutif de l’appel, le respect du droit au recours imposait un meilleur équilibre entre les impératifs de notification du recours et les conditions d’affichage du permis de construire.

B – Le respect du principe du droit à un recours effectif

Le refus de prise en considération ou l’indifférence, par la cour administrative d’appel de Marseille, de la réalité des pièces du dossier dont elle a été saisie27, était même de nature à porter une atteinte au droit des requérants à un recours juridictionnel effectif. En effet, rien ne pouvait justifier un tel rejet expéditif du recours sacrifiant le « principe constitutionnel du droit pour les personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction »28. Autrement dit, le rejet d’un recours pour irrecevabilité ne doit intervenir qu’après un examen de l’ensemble des pièces cruciales du dossier. À défaut, le droit au recours perd tout son sens.

Le respect d’un tel principe imposait, à notre sens, une position plus cohérente dans la présente affaire. Car, il est difficilement compréhensible que le juge du fond, que ce soit en première instance ou en appel, ne soit pas tenu de s’assurer de la réalité du respect de la formalité prévue par l’article R. 600-1. En l’espèce, le Conseil d’État s’est borné à rappeler au juge d’appel son devoir d’apprécier l’inopposabilité de la condition de l’irrecevabilité du recours. Or, il fallait, à nos yeux, lui imposer de vérifier la réalité du respect d’une telle formalité, qu’elle soit en faveur de l’auteur de l’autorisation du permis contesté, de son bénéficiaire ou du requérant. En d’autres termes, si en appel, le requérant démontre qu’il avait parfaitement respecté les formalités nécessaires, on ne voit pas pourquoi le juge s’abstiendrait d’en prendre en compte. La preuve de la notification du recours devrait donc pouvoir être apportée pour la première fois en appel.

Force est de constater que, depuis 2006, la jurisprudence considère que l’obligation de notification de l’article R. 600-1 ne fait pas, en tant que telle, obstacle à l’application du principe du droit à un recours effectif29. Or cette position que des commentateurs autorisés ne partagent pas30 ne peut tenir lorsque la réalité de l’accomplissement de cette notification est incontestable. D’ailleurs, c’est la démarche suivie par le juge administratif lorsque cette formalité est imposée à l’Administration elle-même : « considérant qu’il ne ressort ni des pièces du dossier soumis aux juges du fond ni des termes de l’arrêt de la cour administrative d’appel que le juge d’appel se soit assuré du respect par le préfet du Vaucluse de la formalité prévue par l’article L. 600-3 du Code de l’urbanisme [actuel article R. 600-1] ; que son arrêt est, par suite, entaché d’irrégularité et doit être annulé ; (…) que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ; (…) qu’il ressort des pièces du dossier soumis au Conseil d’État que le préfet du Vaucluse avait notifié sa requête d’appel conformément aux prescriptions de l’article L. 600-3 du Code de l’urbanisme ; que sa requête était, dès lors, recevable »31.

Dans le même ordre d’idée, il semble difficile d’admettre que l’irrecevabilité tirée du défaut de notification continue à être regardée comme un moyen d’ordre public que le juge doit, sous peine de statuer irrégulièrement32, soulever d’office33, alors qu’elle n’était même pas opposable en raison de l’absence de son indication sur le panneau d’affichage. Pour un meilleur équilibre entre les obligations des articles R. 600-1 et R. 424-15, le juge devrait soulever d’office l’inopposabilité de ladite irrecevabilité. Or, dans l’affaire du 4 novembre 2015, le Conseil d’État se contente d’une solution minimaliste en estimant « qu’il appartient au juge, s’il est saisi de moyens en ce sens, y compris pour la première fois en appel, de vérifier si l’obligation de notification posée par l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme peut, au regard des conditions fixées par l’article R. 424-15 du même code, être opposée à la demande ». Dans l’état actuel des choses, il serait en effet plus équitable que le juge renonce à soulever d’office l’irrecevabilité de la requête due à l’absence de notification du recours.

Au total, les exigences du procès équitable et du droit à un recours effectif, telles que protégées par les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’Homme, imposent au juge, que ce soit en première instance ou en appel, de s’assurer du respect des formalités des articles R. 600-1 et R. 424-15. On sait que le droit d’accès à un tribunal peut faire l’objet de limitations. Mais on sait également que ces limitations doivent être « proportionnées au but légitime poursuivi »34. La Cour européenne des droits de l’Homme a déjà censuré « l’excès de formalisme » dans lequel sont « tombées » les juridictions administratives turques35. Cet « excès de formalisme » est incontestable dans la présente affaire. Les juges du fond, en première instance et en appel, se sont en réalité cachés derrière le fait que la preuve de notification n’avait pas été apportée avant la clôture de l’instruction, alors qu’ils disposaient de tous les éléments affirmant le contraire. Ce qui est plus grave c’est que cet « excès de formalisme » ne répondait en rien au souci d’informer des parties qui étaient, comme le rappelle l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille lui-même, parfaitement informées du recours36. Dans son arrêt du 4 novembre 2015, le juge du Palais-Royal n’y a hélas pas mis fin. De là, on ne saurait mieux conclure que les professeurs Bernard Pacteau et Pierre Soler-Couteaux. Le premier faisait remarquer en 1996 que l’obligation de notification du recours constituait « un véritable piège contentieux » dans l’accès au juge37. Dix ans plus tard, selon le second, cette obligation fonctionnait toujours « comme un instrument commode de dissuasion des recours et de désengorgement à bon compte des juridictions administratives »38. Fin 2015 et malgré les évolutions jurisprudentielles, le même constat continue à se faire sentir.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CE, 8 déc. 2008, n° 296973, D, Mlle Brossard.
  • 2.
    CE, 9 avr. 2014, n° 365539, D, épx B.
  • 3.
    CE, avis, 19 nov. 2008, n° 317279, sté Sahelac et Mme Juventin : Lebon, p. 429.
  • 4.
    CE, 14 nov. 2012, n° 342389, cne de Lunel : tables Lebon, p. 1015.
  • 5.
    Selon cet avis, si « l’absence de mention dans l’affichage de l’obligation de notification du recours a pour seul effet de rendre inopposable l’irrecevabilité prévue à l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme », elle « n’empêche pas le déclenchement du délai de recours contentieux mentionné à l’article R. 600-2 du même code ».
  • 6.
    CE, 17 févr. 2012, n° 337567, SCI 14 rue Bosquet : Lebon, p. 52.
  • 7.
    CE, 28 mai 2014, n° 369456, M. et Mme Grégoire de Bollemont, sera mentionné dans les tables du recueil Lebon.
  • 8.
    CE, 10 févr. 2013, n° 352870, D, Mme Bondot.
  • 9.
    CE, 5 oct. 2011, n° 344028, D, M. A. et Mme A-D.
  • 10.
    P. Cornille, comm., sous CE, 28 mai 2014, n° 369456, M. et Mme Grégoire de Bollemont : Constr. urb., juill. 2014, p. 20.
  • 11.
    CAA Marseille, 17 oct. 2013, n° 12MA02719, assoc. des amis du Montaiguet et du Pont de l’Arc.
  • 12.
    Voir CE, sect., avis, 1er mars 1996, n° 175126, assoc. Soisy Etiolles Environnement : Lebon, p. 60 – CE, sect., avis, 26 juill. 1996, n° 180373, cne de Triel-sur-Seine et sté Horde-Bâtisseurs SA : Lebon, tables p. 301. Il convient de rappeler que cette obligation de notification concernant les recours à la fois contentieux et administratifs est exclue en matière de référé-suspension et ce, en raison de l’urgence de la situation et du caractère accessoire de la procédure. En effet, en la matière, il faut un recours en annulation qui doit être notifié. V. à titre d’exemple, CE, 9 mai 2001, épx. Delive : Lebon, tables p. 1123. Pour une étude exhaustive sur cette procédure, v. A. Sayede Hussein, Le juge administratif, juge du référé-suspension, PUAM, 2014, Aix-en-Provence, 533 p.
  • 13.
    CJA, art. R. 612-1.
  • 14.
    CE, 9 mai 2005, n° 257191, cne de Villard-Reculas : Lebon, tables p. 749.
  • 15.
    CE, 19 déc. 2008, n° 297716, M. Montmezat et Mme Lancon : Lebon, tables p. 973. Cette solution ne fait que suivre une jurisprudence constante selon laquelle le juge n’est tenu de rouvrir l’instruction que si le mémoire produit par les parties contient soit l’exposé d’une circonstance de fait dont la partie qui l’invoque n’était pas en mesure de faire état avant la clôture d’instruction, que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d’une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d’office : CE, 12 juill. 2002, n° 236125, M. et Mme Leniau : Lebon, p. 278. À savoir que la clôture de l’instruction intervient soit à l’échéance de la date fixée par une ordonnance de clôture, soit trois jours francs avant la date fixée pour l’audience publique : CJA, art. R. 613-2.
  • 16.
    CE, 27 oct. 2008, n° 301600, assoc. Ploemeur vie et nature : Lebon, tables p. 841.
  • 17.
    CE, 20 févr. 2002, n° 208100, SCI Sedemathoge : Lebon, tables p. 838 et 966.
  • 18.
    CE, 26 mai 2009, n° 316252, Mme Kyung A Min épse Loiseau : Lebon, tables p. 992.
  • 19.
    CE, 15 mai 2013, n° 352308, assoc. santenoise de défense de l’environnement naturel « Vivre à l’orée de l’arc boisé » : Lebon, tables. p. 884.
  • 20.
    En vérité, un tel raisonnement avait déjà été suivi, du moins implicitement, non seulement par le juge du fond, mais aussi le juge des référés. La lecture de ces deux décisions suivantes le démontre : « Il ne ressort pas des pièces du dossier soumis au juge du fond que les dispositions de l’article R. 424-15 du Code de l’urbanisme auraient été méconnues ou même que la réalité et les mentions de l’affichage de la déclaration préalable auraient été contestées, et les requérants, invités par la cour administrative d’appel à justifier avoir procédé à la notification prévue par l’article R. 600-1, n’ont pas allégué une telle méconnaissance. Par suite, en ne recherchant pas si l’obligation de notification avait été mentionnée sur l’affichage de la déclaration préalable, le président de la 2e chambre n’a ni insuffisamment motivé son ordonnance, ni commis une erreur de droit » (CE, 9 avr. 2014, n° 365539, D, épx B) ; « Lorsque la décision de transfert est affichée, le juge des référés commet une erreur de droit s’il se borne à juger que cet affichage a fait courir le délai de recours contentieux à l’encontre de cette seule décision de transfert, sans examiner si ce même affichage a été fait dans des conditions permettant d’identifier le permis initial dans des conditions équivalentes permettant aux intéressés de contester aussi cette décision » : CE, 16 janv. 2013, n° 361297, D, Atkatlilan.
  • 21.
    CE, 30 déc. 2011, n° 342576, M. A. : Lebon, tables p. 986.
  • 22.
    CE, 10 déc. 1997, n° 158064, sté Norminter Gascogne Pyrénées : Lebon, tables p. 1012.
  • 23.
    CE, 30 déc. 2011, n° 346242, D, M. et Mme B.
  • 24.
    V. à titre d’exemple, CE, sect., 26 juin 1959, syndicat algérien de l’éducation surveillée CFTC Lebon, p. 399 – CE, 25 janv. 1991, n° 84268, cne de Verrières-le-Buissont – CE, 23 nov. 2005, n° 275840, préfet des Hauts-de-Seine.
  • 25.
    CE, 22 janv. 1997, n° 176668, M. X. : Lebon, tables p. 827.
  • 26.
    CAA Versailles, 1er déc. 2011, n° 10VE01506, Mme A.
  • 27.
    Ce faisant, elle a contredit la pratique jurisprudentielle devant d’autres cours (CAA Douai, 26 juin 2014, n° 13DA00828, SELARL Vaysse – CAA Douai, 31 déc. 2013, n° 12DA01270, Me F. – CAA Lyon, 9 avr. 2013, n° 13LY00066, assoc. des habitants de Vésegnin – CAA Versailles, 14 mars 2013, n° 12VE03290, M. et Mme D), voire à sa propre pratique : CAA Marseille, 17 oct. 2013, n° 12MA02719, assoc. des amis du Montaiguet et du Pont de l’Arc.
  • 28.
    CE, 21 déc. 2001, épx Hofmann : Lebon, p. 652 – CE, 27 juin 2014, n° 380636, M. J., sera mentionné dans les tables du recueil Lebon.
  • 29.
    CE, 5 avr. 2006, n° 266777, Mme Duguet, Lebon, tables p. 1111 – CE, 8 juill. 2011, n° 324975, D, assoc. réflexion et vigilance sur l’éolien industriel en Haut Languedoc.
  • 30.
    V. par ex., P.-S. Couteaux, obs., sous CE, 5 avr. 2006, n° 266777, Mme Duguet : RDI, 2006, p. 320.
  • 31.
    CE, 5 déc. 2001, n° 205816, D, Bordier.
  • 32.
    CE 9 mai 2005, n° 257191, cne de Villard-Reculas : Lebon, tables p. 749 – CE, 13 juill. 2011, n° 320448, SARL Love Beach : Lebon, tables p. 1107 et 1200.
  • 33.
    CE, sect., avis, 6 mai 1996, n° 178473, Andersen : Lebon, p. 60 – CE, 8 déc. 2008, n° 296973, D, Mlle B.
  • 34.
    CEDH, 28 mai 1985, n° 8225/78, Ashingdane c/ Royaume Uni.
  • 35.
    CEDH, 14 oct. 2008, n° 36533/04, Mesutoğlu c/ Turquie.
  • 36.
    Dans le considérant 6 de son arrêt du 3 novembre 2014, la cour indiquait que « si la commune de Saint-Chaffrey ne pouvait ignorer la notification du recours contentieux accomplie à son égard, il ne peut cependant lui être reproché d’avoir opposé cette fin de non-recevoir concernant l’accomplissement des formalités en cause à l’égard de la SCI Le Verger ».
  • 37.
    B. Pacteau, L’obligation nouvelle de notification préalable des recours (C. urb., art. L. 600-3) : précisions jurisprudentielles, LPA 16 oct. 1996, p. 18.
  • 38.
    P.-S. Couteaux, obs., sous CE, 5 avr. 2006,n° 266777, Mme Duguet : RDI, 2006, p. 320.
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