Précision sur la nature de l’indemnité de résiliation anticipée figurant dans un contrat de crédit-bail

Publié le 25/06/2018

Même fixée de manière forfaitaire, l’indemnité de résiliation due en cas d’exercice du droit de résilier un contrat de crédit-bail de manière anticipée ne constitue pas une pénalité au sens des articles L. 341-1 et L. 341-6 du Code de la consommation dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 14 mars 2016, mais a pour objet de réparer le préjudice subi par le crédit-bailleur du fait de l’exercice par le crédit-preneur de sa faculté de résiliation anticipée du contrat.

Cass. com., 11 avr. 2018, no 16-24143

1. L’opération de crédit-bail est l’opération par laquelle un établissement de crédit ou une société de financement (le crédit-bailleur), acquiert auprès d’un fournisseur, à la demande d’un client (le crédit-preneur), la propriété d’un bien qui est donné à bail à ce client pendant une certaine période à l’issue de laquelle il disposera d’une option lui conférant la faculté, soit de restituer le bien au crédit-bailleur, soit de l’acheter moyennant le paiement d’un prix résiduel, soit de reprendre la location durant une certaine période.

2. Cette opération a ainsi pour caractéristique de reposer sur deux contrats : d’une part, un contrat de vente conclu entre le fournisseur et le crédit-bailleur, et, d’autre part, un contrat de crédit-bail par lequel le crédit-bailleur va louer le bien acheté au crédit-preneur, et auquel il consent une promesse unilatérale de vente. Cette dernière est d’ailleurs un élément essentiel pour retenir la qualification de crédit-bail1.

3. Aujourd’hui, l’opération de crédit-bail est encadrée par les articles L. 313-7 et suivants du Code monétaire et financier. Ceux-ci distinguent d’ailleurs quatre types de crédit-bail selon la nature du bien : le crédit-bail mobilier corporel, le crédit-bail immobilier, le crédit-bail mobilier de fonds de commerce et enfin le crédit-bail de parts sociales ou d’actions.

4. La présence de cette législation n’empêche pas pour autant toute interrogation sur le régime juridique applicable au crédit-bail. Plusieurs décisions récentes de la Cour de cassation en témoignent2, et notamment un arrêt du 11 avril 20183.

5. En l’espèce, par un acte notarié du 14 février 2006, la société A, aux droits de laquelle vient la société B (le crédit-bailleur), avait consenti à la société C (le crédit-preneur) un crédit-bail immobilier d’une durée de 15 ans, pour l’acquisition d’un terrain et la construction d’un immeuble à usage industriel, garanti, jusqu’à un certain montant, par le cautionnement solidaire de M. X. Or, le 24 juillet 2009, le crédit-preneur avait été mis en redressement judiciaire, procédure convertie le 31 mars 2010 en liquidation judiciaire. Sans surprise, le 1er avril 2010, le liquidateur avait résilié le contrat de crédit-bail immobilier. Le crédit-bailleur avait alors déclaré une créance comprenant une indemnité de résiliation en soutenant qu’elle était due en raison de l’exercice du choix de résilier le contrat.

6. La caution avait également été assignée en paiement. Elle avait cependant contesté être tenue au paiement de cette indemnité en raison de la déchéance du droit du crédit-bailleur de percevoir une telle pénalité résultant de son manquement à ses obligations d’information prévues par les articles L. 341-1 et L. 341-6 du Code de la consommation dans leur version antérieure à l’ordonnance du 14 mars 2016.

7. La bonne compréhension de ce passage implique de rappeler que l’article L. 341-1 précité prévoyait que : « Sans préjudice des dispositions particulières, toute personne physique qui s’est portée caution est informée par le créancier professionnel de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l’exigibilité de ce paiement. Si le créancier ne se conforme pas à cette obligation, la caution ne saurait être tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retards échus entre la date de ce premier incident et celle à laquelle elle en a été informée »4. De plus, pour l’article L. 341-6 : « Le créancier professionnel est tenu de faire connaître à la caution personne physique, au plus tard avant le 31 mars de chaque année, le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l’année précédente au titre de l’obligation garantie, ainsi que le terme de cet engagement. Si l’engagement est à durée indéterminée, il rappelle la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée. À défaut, la caution ne saurait être tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus depuis la précédente information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information»5. Or, il n’était pas contesté, ici, que le crédit-bailleur avait manqué aux obligations d’information prévues par ces articles6.

8. La cour d’appel de Paris avait été réceptive au moyen allégué par la caution7. Elle avait en effet condamné la caution à payer au crédit-bailleur une somme correspondant aux seuls loyers impayés, outre intérêts, au motif que ce même crédit-bailleur ne justifiait pas avoir adressé à la caution ni l’information dans le mois des incidents de paiement non régularisés de janvier à juin 2010 de la société débitrice principale et dans le mois de la résiliation, ni l’information annuelle de l’article L. 341-6 du Code de la consommation. Pour les magistrats, il y avait donc lieu de prononcer la déchéance des intérêts contractuels et la décharge des pénalités et intérêts de retard, laquelle s’étend à l’indemnité de résiliation, devenue exigible le 1er avril 2010, jour où le liquidateur a résilié le contrat, « dans la mesure où cette indemnité forfaitaire prévue au contrat constitue une pénalité ».

9. Le crédit-bailleur, qui ne partageait pas ce point de vue, avait alors formé un pourvoi en cassation. Selon ce dernier, seules constituent une pénalité au sens des articles L. 341-1 et L. 341-6 du Code de la consommation, en leur rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, les indemnités contractuelles instituées par une clause pénale, et que tel n’est pas le cas de l’indemnité due par le crédit-preneur lorsque celui-ci fait usage de la faculté de résiliation anticipée du contrat de crédit-bail immobilier prévue par l’article L. 313-9 du Code monétaire et financier.

10. Ce pourvoi se révèle utile puisque la haute juridiction casse la décision de la cour d’appel de Paris. En effet, en statuant ainsi, « alors que, même fixée de manière forfaitaire, l’indemnité de résiliation due en cas d’exercice du droit de résilier le contrat de manière anticipée conféré au crédit-preneur en application de l’article L. 313-9, alinéa 2, du Code monétaire et financier, ou à son liquidateur en application de l’article L. 641-11-1, II, et III, 3°, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 18 décembre 2008, ne constitue pas une pénalité au sens des articles L. 341-1 et L. 341-6 du Code de la consommation, mais a pour objet de réparer le préjudice subi par le crédit-bailleur du fait de l’exercice par le crédit-preneur de sa faculté de résiliation anticipée du contrat», la cour d’appel a violé les articles L. 341-1 et L. 341-6 du Code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016. L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Paris, autrement composée.

11. La décision attire immanquablement l’attention. Les articles L. 341-1 et L. 341-6 visent bien comme sanction, en cas de manquement du créancier à son obligation d’information, l’interdiction de recevoir de la caution le « paiement des pénalités ou intérêts de retard » durant une période déterminée. Mais comment faut-il lire ce passage similaire des deux articles ? Si les mots « de retard » accompagnent nécessairement celui d’« intérêts», faut-il également les appliquer aux « pénalités » ? On sait que la première chambre civile fait, en la matière, une lecture assez large de cette notion de pénalité8. Or, il n’est pas certain, à la lecture de la décision qui nous occupe, que la chambre commerciale partage ce point de vue. Mais l’apport principal de l’arrêt est ailleurs : il s’agit de la précision donnée à propos de la nature de l’indemnité de résiliation anticipée du contrat de crédit-bail.

12. La solution qu’il dégage sur ce point est, selon nous, convaincante. Une question s’imposait en effet à propos de cette indemnité de résiliation : quelle est sa finalité ? Est-ce sanctionner le « retard » de l’une des parties ou réparer le préjudice subi par l’autre ? Objectivement, cette seconde solution s’impose. L’indemnité en question, fréquemment mentionnée dans le contrat de crédit-bail, a pour but d’indemniser le crédit-bailleur de son préjudice résultant de la résiliation anticipée par le crédit-preneur du contrat en question, du fait de la durée finalement plus courte de celui-ci9. Il importe peu que cette indemnité ait été fixée forfaitairement.

13. Par ailleurs, concernant la lecture du terme « pénalités » mentionné aux articles L. 341-1 et L. 341-6 précités, il convient de rappeler que la déchéance du droit de créance du créancier est une sanction légale qui porte atteinte à la force obligatoire des effets du cautionnement. En conséquence, les dispositions légales instituant ce type de sanction doivent être interprétées d’une façon restrictive. C’est en ce sens que semble se prononcer la décision étudiée. D’autres décisions de la chambre commerciale de la Cour de cassation seront néanmoins nécessaires pour savoir si cette « impression » traduit une réalité juridique.

Notes de bas de pages

  • 1.
    À défaut d’une telle option, nous ne sommes en effet en présence que d’une location ou d’une location financière simple, mais pas d’une opération de crédit-bail : Cass. com., 30 mai 1989, n° 88-11445 : Bull. civ. IV, n° 167 ; RTD com. 1990, p. 93, obs. Bouloc B. – Cass. com., 4 juin 1996, n° 94-15120 : D. affaires 1996, p. 1165 – Cass. com., 18 sept. 2012, n° 11-19764.
  • 2.
    Cass. ch. mixte, 13 avril 2018, n° 16-21345 : JCP E 2018, act. 300 ; JCP G 2018, 479 ; D. 2018, AJ, p. 847 ; JCP G 2018, 543, note Buy F. ; LPA 2018, note Lasserre Capdeville J.
  • 3.
    Cass. com., 11 avr. 2018, n° 16-24143 : D. 2018, AJ, p. 844 ; www.dalloz-actualite.fr, 30 avr. 2018, Pellier J.-D. ; JCP E 2018, act. 329 ; LEDB juin 2018, obs. Mignot M.
  • 4.
    La règle en question figure, désormais, aux articles L. 333-1 et L. 343-5 du Code de la consommation.
  • 5.
    La règle figure, à présent, aux articles L. 333-2 et L. 343-6 du Code de la consommation.
  • 6.
    Notons que ces dispositions se retrouvent, sous une forme légèrement modifiée, aux articles 2303 et 2304 de l’avant-projet de réforme du droit des sûretés de l’association Henri Capitant.
  • 7.
    CA Paris, 30 juin 2016, n° 15/03410.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 19 juin 2013, n° 12-18478 : Bull. civ. I, n° 131 ; www.dalloz-actualite.fr, 2 juill. 2013, obs. Avena-Robardet V ; RTD civ. 2013, p. 653, obs. Crocq P. ; RTD com. 2013, p. 787, obs. Legeais D. Selon cette décision, l’indemnité forfaitaire de 10 % prévue au contrat de prêt constituait une pénalité au sens de l’article L. 341-1 du Code de la consommation.
  • 9.
    Un auteur, Pellier J.-D., rappelle pertinemment dans son commentaire de la décision (www.dalloz-actualite.fr, 30 avr. 2018) que la haute juridiction a déjà eu l’occasion de juger que l’indemnité de résiliation anticipée constituait purement et simplement une clause pénale (en ce sens, Cass. 3e civ., 21 mai 2008, n° 07-12848 : RTD com. 2009, p. 610, obs. Legeais D.). Il est évident que la décision ici étudiée implique la remise en cause d’une telle jurisprudence.