Obligation de conseil et assurance-vie : les apports récents de la jurisprudence

Publié le 19/08/2021
Assurance vie
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Alors que la loi Pacte de 2019 a renforcé les obligations à la charge des intermédiaires d’assurance, la jurisprudence continue de préciser les contours de ces obligations et le mode d’évaluation du préjudice lié à la perte de chance. Fait nouveau, elle vient de considérer que la prescription court à partir de la révélation du dommage.

Dans un contexte de marchés financiers fluctuants, les épargnants déçus des performances de leurs investissements peuvent être tentés d’engager la responsabilité de l’intermédiaire qui leur a fourni leur produit financier, et, pour nombre d’entre eux, de leurs contrats d’assurance-vie. Philippe Glaser, avocat associé au cabinet Taylor Wessing, dresse un bilan des évolutions législatives et des apports récents de jurisprudence sur la responsabilité des intermédiaires en assurance.

Actu-juridique : À quelle série d’obligations est soumis le conseil en gestion de patrimoine qui vend des produits d’assurance ?

Philippe Glaser : Ce conseiller agit en tant qu’intermédiaire d’assurance et à ce titre, il est tout d’abord soumis à des règles générales de bonne conduite qui l’obligent à fournir au souscripteur éventuel des informations relatives notamment à son identité, à son immatriculation et aux procédures de recours et de réclamation, ainsi que, le cas échéant, à l’existence de liens financiers avec une ou plusieurs entreprises d’assurance (C. assur., art. L. 520-1). Il doit évidemment agir de manière honnête, impartiale et professionnelle et ce, au mieux des intérêts du souscripteur ou de l’adhérent, ainsi que fournir au souscripteur des informations claires, exactes et non trompeuses ; et, s’interdire de rémunérer ou seulement d’évaluer les performances de leur personnel d’une façon qui contrevienne à son obligation d’agir au mieux des intérêts du souscripteur (C. assur., art. L.521-1).

AJ : Que recouvre l’obligation d’information et de conseil ?

P.G. : Cette double obligation est fondamentale puisque son respect conditionne la mise en cause de la responsabilité de l’intermédiaire. Concrètement, l’intermédiaire doit préciser les exigences et les besoins exprimés par le souscripteur ainsi que les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un contrat déterminé. À cette fin, il doit s’enquérir auprès du souscripteur de ses connaissances et de son expérience en matière financière, et le mettre en garde préalablement à la conclusion du contrat dans le cas où ces renseignements ne sont pas fournis (C. assur., art. L. 132-27-1 sur renvoi de l’art. L. 520-1, III).

Il doit également préciser les exigences et besoins exprimés par le souscripteur éventuel ainsi que les raisons justifiant le caractère approprié du contrat proposé. Quant au produit proposé, il doit en fournir des informations objectives sous une forme compréhensible, exacte et non trompeuse afin de lui permettre de prendre une décision en connaissance de cause.

Enfin, cela doit le mener à conseiller un contrat cohérent avec les exigences et besoins du souscripteur et préciser les raisons qui motivent ce conseil (C. assur., art. L. 522-5, modifié par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, dite Pacte).

AJ : Existe-t-il des dispositions spécifiques aux contrats d’assurance-vie en unités de compte ?

P.G. : Oui, la loi Pacte a modifié les articles L. 522-5 et A. 522-1 du Code des assurances afin de renforcer l’obligation d’information de l’intermédiaire d’assurance sur les contrats d’assurance-vie en unités de comptes. Ainsi, ce dernier doit communiquer une information détaillée précisant, pour chaque unité de compte, au cours du dernier exercice clos et exprimés en pourcentage, plusieurs éléments et leur caractère prédictible. Ces éléments sont : la performance brute de frais, la performance nette de frais, les frais prélevés sur l’actif en représentation de l’unité de compte au cours du dernier exercice clos, les frais récurrents prélevés sur le contrat, la performance finale de l’investissement, nette des frais de gestion et des frais récurrents précités, exprimée en pourcentage, et la quotité de frais ayant donné lieu à des rétrocessions de commission au profit des intermédiaires d’assurance, des gestionnaires délégués, du dépositaire ou de l’entreprise d’assurance, au cours du dernier exercice clos.

Avant la conclusion du contrat, l’intermédiaire doit indiquer au souscripteur que lui sera ou non remise, en cours de contrat, une évaluation périodique de l’adéquation aux exigences et besoins du souscripteur des produits d’investissement recommandés. Cette évaluation consiste en une déclaration mise à jour sur la manière dont l’investissement répond aux préférences, objectifs et autres caractéristiques du souscripteur (C. assur., art. L. 522-3 et L. 522-6 modifiés par l’ordonnance n° 2018-361 du 16 mai 2018). Cette information permet au souscripteur de faire usage de la clause d’arbitrage pour faire évoluer la ventilation initiale de la prime au gré de l’évolution des valeurs des unités de compte avec le souci de répondre aux préférences et aux objectifs exprimés par le souscripteur.

AJ : Sur qui repose la charge de la preuve du respect de ces obligations ?

P.G. : C’est au courtier tenu d’un devoir de conseil sur les caractéristiques des produits d’assurance qu’il propose et sur leur adéquation avec la situation personnelle et les attentes de ses clients, qu’il revient de démontrer qu’il s’est acquitté de ses obligations préalablement à la signature du contrat (Cass. 2e civ., 17 nov. 2016, n° 15-14820).

AJ : Dans quelles circonstances les juges retiennent-ils un manquement ?

P.G. : La cour d’appel de Montpellier a rendu un arrêt intéressant en ce qu’il illustre plusieurs manquements commis par un intermédiaire (CA Montpellier, 14 nov. 2019, n°19/03760). En l’espèce, le professionnel s’était abstenu de porter à la connaissance de son client les données, claires et dénuées d’ambiguïté pour un profane, permettant à ce dernier de prendre la mesure complète du risque auquel son choix exposait ses placements. Les notes d’information des supports proposés ne comportait pas un avertissement clair et dénué de toute ambiguïté selon lequel il était possible que le capital initialement investi ne soit pas intégralement récupéré, et donc que l’objectif recherché – à savoir une optimisation du placement pour alléger l’échéance finale d’un prêt contracté – soit atteint. Il n’avait pas non plus informé le souscripteur de l’adéquation des souscriptions avec le but recherché, que ce soit en cas de valorisation laissant subsister un reliquat, ou en cas de perte toujours possible après valorisation des unités de compte. Enfin, il avait omis de fournir une information ou un suivi en cours d’exécution du contrat, alors que le renversement des taux de rendement rendait plausible l’échec futur de l’opération globale consistant à alléger l’échéance finale par le produit du rendement des assurances-vie proposées à la souscription initiale, le capital initialement investi s’étant finalement traduit par une perte.

AJ : Quels sont les arguments opposables au client ?

P.G. : Dans un arrêt de l’année dernière (CA Orléans, 11 juin 2020, n°19/017611), les juges d’appel avaient relevé les éléments suivants en faveur de l’intermédiaire : le souscripteur avait des compétences et connaissances en matière financière, il était d’ailleurs détenteur d’un plan d’épargne en actions (PEA). De plus, il avait investi sur un support en unités de compte « Dynamique » et non sur le support « Sécurité », de sorte qu’il n’avait pas pu croire qu’il s’agissait d’un placement en capital garanti et ignorer que les placements en unités de compte peuvent, selon le type d’option choisie, notamment quand il s’agit d’actions, évoluer à la hausse et à la baisse. Enfin, l’intermédiaire avait bien informé le souscripteur des évolutions du contrat (notamment que les valeurs détenues sur le contrat sont soumises à l’évolution des marchés et qu’il a toujours la possibilité de procéder à un arbitrage permettant de sécuriser le contrat), en l’occurrence celui-ci n’avait pas souhaité opter pour des supports moins risqués.

À noter qu’il est essentiel que l’intermédiaire remette au souscripteur avec les contrats d’assurance-vie et de prêt, les conditions générales afférentes (CA Orléans, 11 juin 2020, n°19/017611), et que l’unité de compte soi inscrite comme telle sur une liste limitative des supports éligibles à l’assurance-vie (Cass. 2e civ. , 16 juill. 2020, n° 19-16922).

AJ : Quel est le délai pour agir en responsabilité ?

P.G. : La cour d’appel de Rennes (CA Rennes, 8 janv. 2021, n°17/05536) a jugé que le manquement de l’intermédiaire d’assurance à son obligation précontractuelle d’information et de conseil ne dérive pas du contrat d’assurance de sorte que l’action engagée sur ce fondement n’est pas soumise à la prescription biennale prévue à l’article L. 114-1 du Code des assurances, mais à la prescription quinquennale de droit commun.

AJ : Quand démarre le délai de prescription ?

P.G. : Pendant longtemps, les juridictions ont considéré que la prescription quiquennale commençait à courir à compter du conseil donc, au plus tard le jour de la conclusion du contrat (CA Versailles, 18 mai 2020, n°17/01428 ; CA Paris, 29 janv. 2019, n°17/20579 ; CA Caen, 2 mars 2017, n°15/01044 ; CA Paris, 13 janv. 2017, n°15/15874). Or, en pratique, la découverte du préjudice est toujours postérieure, elle intervient soit au moment du dénouement du contrat, soit lorsqu’il faut activer les options de garanties. À ce titre, on peut se réjouir d’un courant jurisprudentiel qui se dessine, avec un arrêt d’appel qui a jugé que ce point de départ peut être postérieur à la date de conclusion du contrat et courir à compter de la date à laquelle le dommage s’est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas connaissance précédemment (CA Rennes, 8 janv. 2021, n°17/05536). Cette solution est somme toute celle applicable en droit commun. C’est un point très important qui permet au client de ne pas se retrouver forclos sans avoir eu connaissance de son dommage. Cette solution n’est pas encore « validée » par la Cour de cassation, mais aucun fondement juridique ne semble s’y opposer.

AJ : Quels peuvent être ces événements qui révèlent le dommage ?

P.G. : Il peut s’agir de la date de réception de la première lettre d’information annuelle, confirmant l’effectivité du risque de perte du capital investi (CA Versailles, 31 janv. 2019, n°17/02604 ; CA Versailles, 7 févr. 2019, n°17/02620), ou de la date à laquelle le souscripteur a réalisé que son contrat avait subi une importante moins-value (CA Paris, 29 janv. 2019, n°17/20834). Ou encore, de la date à laquelle le souscripteur a pris connaissance de la gestion défectueuse de son contrat d’assurance-vie, en l’espèce, la date à laquelle il a été informé que n’existait plus l’option à laquelle il avait souscrite dans le cadre de son contrat d’assurance-vie consistant à transférer automatiquement les plus-values éventuellement réalisées chaque mois vers un support distinct, le capital constitué sur ce support devant être transféré au bout de 8 ans et réparti proportionnellement entre les différents supports d’investissement (CA Paris, 1er févr. 2021, n°19/05821).

AJ : Quelle est la jurisprudence en matière de lien de causalité ?

P.G. : Parmi les arrêts récents, relevons celui de la Cour de cassation de mars dernier, selon lequel le défaut d’information et de conseil peut ne porter que sur une seule ligne d’un contrat en unités de compte. Le préjudice résultant d’un tel manquement doit être évalué au regard, non de la variation de la valeur de rachat de l’ensemble du contrat, mais de la moins-value constatée sur ce seul support (Cass. com., 10 mars 2021, n°19-16302).

AJ : Comment le préjudice pour perte de chance est-il évalué ?

P.G. : L’indemnisation allouée au souscripteur ne correspond jamais au montant de la perte sèche constatée. Surtout, la Cour de cassation a indiqué que le souscripteur lésé doit justifier qu’il avait l’opportunité de faire le choix d’un autre support pour être indemnisé, cette possibilité n’est jamais présumée. Ainsi, le client doit absolument se replacer a posteriori dans son schéma d’investissement, et établir un tableau comparatif des performances passées. Ce travail est indispensable pour établir le quantum du préjudice. Ainsi, en l’absence de certitude que le souscripteur n’aurait pas souscrit, compte tenu du rendement attractif existant lors de la souscription, la perte de chance peut être évaluée à 33 % (CA Montpellier, 14 nov. 2019, n°19/03760).

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