CEDH : interdiction de la gestation pour autrui par le droit suisse

Publié le 02/12/2022

Deux des requérants forment un couple suisse de même sexe lié par un partenariat enregistré depuis 2011. Le troisième requérant est un enfant né d’une gestation pour autrui aux États-Unis et possède également la nationalité américaine.

En avril 2011, les requérants demandèrent aux autorités suisses de reconnaître la décision américaine déclarant que les deux premiers requérants étaient les parents de l’enfant et de transcrire le certificat de naissance dans le registre d’état civil, ce qui leur fut refusé et, en fin de procédure, le tribunal fédéral refusa de reconnaître le lien constaté par la justice américaine entre l’enfant et le père d’intention, estimant que malgré la non-reconnaissance du lien de filiation entre le parent d’intention non génétique et l’enfant, la situation de ce dernier serait suffisamment protégée par le système juridique suisse et conforme au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

En janvier 2018, une modification du code civil autorisant l’adoption de l’enfant du partenaire enregistré entra en vigueur. Les requérants déposèrent une demande en ce sens le même jour et les autorités cantonales prononcèrent l’adoption.

La Cour estime, s’agissant du cas d’espèce, qu’il n’y a pas de doute quant à l’existence d’une ingérence dans le droit au respect de la vie privée du troisième requérant. Elle est également prête à admettre qu’il y a eu une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie familiale de tous les requérants.

Le refus de la Suisse de reconnaître un lien de filiation entre les enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui et les parents d’intention procède de la volonté de décourager ses ressortissants à recourir hors du territoire national à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire, dans le but, selon sa perception de la problématique, de préserver les enfants et la mère porteuse. La Cour admet donc que le Gouvernement est fondé à dire que l’ingérence litigieuse visait deux des buts légitimes énumérés au second paragraphe de l’article 8 de la Convention : la protection de la santé et la protection des droits et libertés d’autrui.

En l’espèce, l’enfant est né à l’étranger d’une gestation pour autrui et issu de gamètes du père génétique et d’une tierce donneuse. Si le lien de filiation entre celui-ci et le troisième requérant était reconnu en droit interne, la Cour rappelle d’emblée que l’intérêt supérieur de l’enfant comprend inter alia l’identification en droit des personnes qui ont la responsabilité de l’élever, de satisfaire à ses besoins et d’assurer son bien‑être, ainsi que la possibilité de vivre et d’évoluer dans un milieu stable. Pour cette raison, le droit au respect de la vie privée de l’enfant requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre l’enfant et le parent d’intention. Dès lors, la marge d’appréciation des États est limitée s’agissant du principe même de l’établissement ou de la reconnaissance de la filiation. La Cour estime également que l’intérêt de l’enfant ne peut pas dépendre de la seule orientation sexuelle des parents.

La Cour constate que, à la date de la naissance de l’enfant, le droit interne n’offrait aux requérants aucune possibilité de reconnaître le lien de filiation entre le parent d’intention et lui. L’adoption n’était ouverte qu’aux couples mariés, excluant les couples unis par un partenariat enregistré.

Partant, durant presque 7 ans et 8 mois, les requérants n’avaient aucune possibilité de faire reconnaître le lien de filiation de manière définitive. Le Tribunal fédéral avait lui-même reconnu que, s’agissant de sa deuxième nationalité des États-Unis, l’enfant se trouvait, du fait de la non-reconnaissance du lien de filiation avec le premier requérant, dans une incertitude juridique. La Cour estime qu’une telle durée n’est pas compatible l’intérêt supérieur de l’enfant dans la mesure où elle peut le placer dans une incertitude juridique quant à son identité dans la société et le priver de la possibilité de vivre et d’évoluer dans un milieu stable.

Dans ces circonstances, la Cour considère que le refus de reconnaître l’acte de naissance établi légalement à l’étranger concernant le lien de filiation entre le père d’intention et l’enfant, né aux États-Unis d’une gestation pour autrui, sans prévoir de modes alternatifs de reconnaissance dudit lien, ne poursuivait pas l’intérêt supérieur de l’enfant. Il s’ensuit que la Suisse, dans les circonstances de la cause, a excédé sa marge d’appréciation en n’ayant pas prévu à temps, dans sa législation, une telle possibilité.

Partant, il y a eu violation du droit au respect de la vie privée de l’enfant (troisième requérant), au sens de l’article 8 de la Convention.

Concernant les deux autres requérants, la Cour rappelle que la gestation pour autrui à laquelle le premier et deuxième requérants ont eu recours pour créer une famille était contraire à l’ordre public suisse. Elle estime que la conclusion du Tribunal fédéral selon laquelle le fait d’avoir recouru à une gestation pour autrui en Californie afin de contourner l’interdiction prévalant en Suisse constituait une fraude à la loi juridiquement pertinente n’est ni arbitraire ni déraisonnable. De surcroît, le premier et le deuxième requérant n’allèguent pas avoir ignoré que le droit suisse prohibait la gestation pour autrui et, par leur manière de procéder, ils ont mis les autorités compétentes devant un fait accompli.

Par ailleurs, la Cour estime que la non‑reconnaissance par les autorités suisses de l’acte de naissance n’a, en pratique, pas affecté la jouissance de leur vie familiale de manière significative. La Cour conclut ainsi que les difficultés pratiques que les requérants pourraient rencontrer dans leur vie familiale en l’absence de reconnaissance en droit suisse du lien entre le premier et le troisième requérant ne dépassent pas les limites qu’impose le respect de l’article 8 de la Convention.

Sources :
Rédaction
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