Contrôle du caractère racial de l’injure dans un contexte de conflit du travail

Publié le 29/10/2021

Une manifestation visant le directeur du centre pénitentiaire de Guyane est organisée, sur la voie publique, à proximité du centre, par des agents pénitentiaires du syndicat Force Ouvrière.

Sont étendus de grands draps blancs portant diverses inscriptions et, lors de cette semaine de manifestation, est jouée une scène au cours de laquelle le directeur, déguisé en colon, costume blanc, cravate et gants blancs, casque colonial sur la tête, fouette l’un des manifestants déguisé en esclave, portant de lourdes chaînes, simulant la douleur, des pleurs, et criant « ne me frappe pas », cris auxquels un autre manifestant répondait « c’est l’administration qui te nourrit », propos que le directeur aurait précédemment tenus à un agent pénitentiaire.

À la suite d’une enquête de gendarmerie, le directeur porte plainte et se constitue partie.

Après ouverture d’une information judiciaire, les deux manifestants sont mis en examen pour les faits d’injures raciales et placés sous le statut de témoin assisté pour ceux de dénonciation calomnieuse.

Ils sont renvoyés du seul chef d’injures raciales devant le tribunal correctionnel de Cayenne qui les relaxe et prononce sur les intérêts civils, décision dont le procureur de la République relève appel.

Pour confirmer le jugement, relaxer les prévenus et débouter la partie civile de ses demandes, l’arrêt énonce, d’une part, que les situations et propos litigieux s’inscrivent dans un conflit du travail et, d’autre part, que l’appel à la mobilisation a été lancé par un tract dénonçant notamment « une ethnicisation de l’organisation du travail et un comportement néocolonialiste envers les surveillants d’origine non-européenne ».

Les juges ajoutent, qu’en premier lieu, il n’est pas contesté que le directeur venait en Guyane fort d’une réputation péjorative qu’il aurait acquise à la Réunion où il aurait tenu des propos déplacés sur la rémunération des fonctionnaires affectés outre-mer et que la saynète où un pseudo-colon bat un pseudo-esclave lui était destinée et qu’en second lieu, les banderoles le visaient clairement.

Ils retiennent que si la liberté d’expression doit être protégée, si la notion d’esclavagisme peut être invoquée dans le cadre de conflits de travail, et pas seulement dans le département de la Guyane à population majoritairement noire, mais aussi en métropole dans des conflits opposant des salariés à des dirigeants de type européen, cette notion, associée aux termes de « gouverneur », dénomination désignant les gouvernants notamment à l’époque de l’esclavagisme « actif », et de « maître » font clairement référence à un employeur traitant son personnel dans des conditions inacceptables.

Ils en déduisent qu’il s’agit, d’une part, de propos offensants, constitutifs en ce sens des injures telles que les définit la loi, mais qu’elles s’adressent de manière nominative et donc personnelle à un dirigeant de type européen certes, mais en considération de sa qualité de dirigeant aux méthodes de gestion critiquables selon les manifestants et, d’autre part, d’une attaque publique et ciblée, dans le cadre d’un conflit du travail, ôtant tout caractère raciste à ces injures.

Et en effet, les propos poursuivis, pour outranciers qu’ils puissent être regardés, entendent dénoncer, par l’utilisation de la caricature faisant référence au passé esclavagiste de la France, les méthodes de gestion du directeur du centre pénitentiaire, qualifiées d’autoritaristes voire de racistes, mais ne le visent pas à raison de son origine ou de son appartenance à une race.

Sources :
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