Controverse sur la force exécutoire des actes notariés d’Alsace-Moselle, suite et fin ?
En réponse à la controverse jurisprudentielle déniant le caractère de titre exécutoire aux actes notariés d’Alsace-Moselle qui ne constatent pas une créance déterminée au jour des poursuites, le législateur a modifié l’article L. 111-5, 1°, du Code des procédures civiles d’exécution par la loi du 23 mars 2019, dite Belloubet, pour le rendre conforme aux règles de droit général et donc accepter que l’acte constate une créance simplement déterminable. La présente étude a pour objet d’analyser la réception de cette modification législative 6 mois après son entrée en vigueur dans la jurisprudence d’Alsace-Moselle
1. L’article 108 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, dite loi Belloubet, a notamment modifié l’article L. 111-5 1° du Code des procédures civiles d’exécution en y ajoutant les mots « ou déterminable » comme condition à la somme d’argent dont l’acte notarié a pour objet le paiement, afin que ce dernier constitue un titre exécutoire.
Dès lors, la somme d’argent ne doit plus être seulement déterminée dans l’acte mais peut simplement être déterminable. Cette modification permet ainsi d’aligner le droit local au droit général dont les articles L. 111-2 et L. 111-6 du Code des procédures civiles d’exécution exigent que l’acte constate une créance liquide et exigible.
2. Si l’apport de la loi nouvelle semble minimal, les conséquences n’en demeurent pas moins importantes en matière d’exécution forcée immobilière en Alsace-Moselle. En effet, 6 mois après son entrée en vigueur, le 25 mars 2019, un premier constat peut être dressé sur cette solution qu’a apportée le législateur en réponse à une controverse aux racines jurisprudentielles.
Pour comprendre les tenants et aboutissants de cette modification législative, il convient de revenir rapidement sur son contexte et notamment sur la jurisprudence de la Cour de cassation qui a généré cette réforme.
3. La raison de cette jurisprudence s’explique par une lecture stricte de l’ancien article L. 111-5 1° du Code des procédures civiles d’exécution qui disposait que les actes établis par un notaire d’Alsace-Moselle constituent un titre exécutoire dès lors qu’ils sont dressés au sujet d’une prétention ayant pour objet le paiement d’une somme d’argent déterminée et à condition, bien entendu, que le débiteur ait donné son consentement à l’exécution forcée immédiate.
4. Jusqu’à récemment, il n’existait aucune difficulté pour admettre la validité des actes notariés comme constituant un titre exécutoire sur la base de ce texte. Pourtant en matière d’exécution forcée immobilière, la Cour de cassation a considéré à partir de 20161 que l’acte de prêt ne peut constituer un titre exécutoire si la somme d’argent dont le recouvrement est poursuivi n’est pas déterminée dans l’acte.
La Cour de cassation a ainsi rejeté les décomptes de créance qui figurent au sein des commandements de payer avant vente forcée basés sur un acte de prêt qui constate simplement une créance déterminable. Ainsi, pour constituer un titre exécutoire, l’acte notarié devait donc préciser le montant de la créance au jour des poursuites.
5. Ces décisions étaient toutefois contestables sur plusieurs points2. On s’interroge d’abord sur la portée d’une jurisprudence dont aucun des arrêts la constituant n’est publié au Bulletin. De plus, cette analyse se heurte à des écueils juridiques et pratiques.
6. Comme le note Éric Sander, la somme d’argent déterminée dont il est question doit être comprise au sens de l’ancien article 1129 du Code civil (nouvel article 1169), qui prévoit que l’obligation peut avoir pour objet une chose déterminable3. Rappelons à ce titre que le nouvel article 1169 du Code civil dispose que : « La prestation est déterminable lorsqu’elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans qu’un nouvel accord des parties soit nécessaire ».
De plus, l’article L. 111-6 du Code des procédures civiles d’exécution qui figure au même chapitre que l’article L. 111-5, dispose que : « La créance est liquide lorsqu’elle est évaluée en argent ou lorsque le titre contient tous les éléments permettant son évaluation. »
Une lecture extensive permet d’admettre sans difficulté une interprétation de la notion de somme d’argent « déterminée » comme également « déterminable » lorsque l’acte notarié a pour objet le prêt d’une somme d’argent connue au départ et dont le montant restant dû peut être déterminé à tout moment et avec précision à l’aide des éléments du contrat (tableau d’amortissement, clause d’exigibilité anticipée). La difficulté d’interprétation n’apparaît, comme le souligne alors le professeur Maxime Julienne, qu’en présence d’un acte retraçant une ouverture de crédit4.
Cette position est celle traditionnelle des cours d’appel d’Alsace-Moselle. L’arrêt de la Cour de cassation du 19 octobre 2017 a fait l’objet d’un renvoi par-devant la cour d’appel de Colmar qui a reconnu que l’acte de prêt notarié constituait un titre exécutoire, en se basant sur les éléments du contrat pour retenir que la somme d’argent était déterminée5.
7. En pratique, cette jurisprudence de la Cour de cassation se présente comme un faux problème. Plusieurs solutions s’offraient au prêteur, même avant la modification législative, pour sécuriser son acte de prêt comme titre exécutoire. Il peut dans un premier temps faire établir un arrêté de compte notarié (si l’acte de prêt lui en donne en tous les cas le pouvoir) qu’il fera signifier en même temps que l’acte de prêt. La somme d’argent étant déterminée à la date de la poursuite, aucune difficulté ne se posera pour l’application de l’article L. 111-5 1° du Code des procédures civiles d’exécution.
De plus, et quitte à prendre la Cour de cassation au mot et à douter de la validité de l’acte notarié comme titre exécutoire, le prêteur peut également procéder par la voie judiciaire en faisant soit constater judiciairement le montant de la dette, soit en sollicitant la condamnation pure et simple du débiteur aux montants mis en compte. Le prêteur se retrouve ainsi en possession d’un titre exécutoire qui ne pourra souffrir d’aucune contestation. Cette dernière solution a pour conséquence, à notre sens, un encombrement inutile des tribunaux dans la mesure où le débiteur a accepté de se soumettre à l’exécution forcée immédiate dans l’acte de prêt.
8. Ce contexte a donc conduit à la réforme de l’article L. 111-5 1° et à l’ajout des mots « ou déterminable » mais toutes les difficultés posées par la jurisprudence de la Cour de cassation ne sont pas réglées pour autant.
En effet, se pose la question de l’application dans le temps de ce texte. Une circulaire du ministère de la Justice du 25 mars 2019 précise que l’entrée en vigueur de l’article 108 est immédiate, sans mesure d’application6.
Tous les actes reçus par notaire à compter du 25 mars 2019 bénéficieront en toute hypothèse de la nouvelle loi. Mais qu’en est-il des actes notariés conclus avant l’entrée en vigueur de cette loi ? Il convient de distinguer les actes notariés dont les actes d’exécution forcée sont postérieurs au 25 mars 2019 et ceux antérieurs.
9. Pour les premiers, la doctrine spécialisée considère que l’article 108 de la loi du 23 mars 2019 étant une loi relative aux procédures civiles d’exécution, tous les actes d’exécution forcée pratiqués à compter du 25 mars 2019 sur le fondement d’un acte notarié antérieur mais conformes à la rédaction nouvelle de l’article L. 111-5 1° du Code des procédures civiles d’exécution (créance au moins déterminable et soumission à l’exécution forcée) constituent bien un titre exécutoire7. Cette position, que nous partageons, est fondée sur les principes du droit transitoire et notamment deux avis de la Cour de cassation en matière de saisie immobilière8.
10. Reste la difficulté du second cas, celui où l’acte notarié et les actes d’exécution forcée pratiqués sur sa base sont antérieurs au 25 mars 2019 bien que l’acte notarié soit conforme à la rédaction nouvelle de l’article L. 111-5 1° du Code des procédures civiles d’exécution.
Cette situation ne concerne en pratique qu’un nombre limité de procédures puisqu’en matière d’exécution forcée immobilière le délai pour former un pourvoi immédiat est relativement court, 15 jours à compter de la notification de l’ordonnance autorisant la vente forcée. Un premier bilan peut donc être dressé 6 mois après l’entrée en vigueur de la loi afin d’observer la position des cours d’appel d’Alsace-Moselle face à cette situation particulière.
11. C’est la situation à laquelle était confrontée la cour d’appel de Colmar dans un arrêt du 4 juillet 20199. Dans cette affaire, la banque demandait l’exécution forcée immobilière d’un immeuble sur le fondement d’un acte notarié de prêt de 2010 et dont le commandement de payer et l’ordonnance autorisant la vente forcée dataient de 2017. En défense, le débiteur soutenait alors la jurisprudence de la Cour de cassation précitée visant à dénier la force exécutoire de l’acte de prêt notarié en l’absence de la constatation d’une somme d’argent déterminée.
Par une motivation pragmatique, la cour d’appel rappelle la lettre de l’article L. 111-5 1° du Code des procédures civiles d’exécution dans sa version antérieure à celle issue de la loi du 23 mars 2019 puis retient que : « L’appréciation du caractère exécutoire de l’acte notarié ne suppose pas que le montant de la somme impayée dont il sera demandé, par définition paiement, soit également déterminée dans cet acte ».
La cour d’appel procède alors à une analyse des éléments du contrat pour retenir que l’acte mentionne le capital emprunté, le nombre et le montant des échéances, les intérêts, les frais de dossier, les cotisations assurance décès obligatoire, le coût de la convention, des garanties et estimations ainsi que le coût total du crédit dû par le débiteur. La cour observe également que l’acte contient en annexe un tableau d’amortissement « précisant la composition du montant de ces échéances mensuelles et le capital restant dû après paiement de chaque mensualité ».
La cour d’appel en conclut donc que l’acte a été dressé au sujet d’une prétention ayant pour objet le paiement d’une somme d’argent déterminée.
À la lecture de cette motivation, on constate que la cour d’appel de Colmar maintient sa position rendue dans l’arrêt du 20 décembre 2018 et résiste ainsi à la jurisprudence de la Cour de cassation.
12. Cependant, à notre sens d’autres arguments auraient également pu trouver écho dans ce cas de figure. Notamment celui de reconnaître à l’article 108 de la loi du 23 mars 2019 la rétroactivité interprétative afin de mettre définitivement un terme à un flou juridique suscité par une controverse jurisprudentielle.
13. Si le projet de loi initial prévoyait un caractère interprétatif à la modification de l’article L. 111-5 1° du Code des procédures civiles d’exécution, un amendement l’a supprimé, sans réel débat, si ce n’est au motif de sa « dimension substantielle ».
Pourtant plusieurs éléments plaident pour que l’article 108 de la loi du 23 mars 2019 soit considéré comme interprétatif. En effet, cette loi qui se contente d’ajouter les mots « ou déterminable » n’a eu que pour seul objet d’apporter des précisions sur le sens d’une loi préexistante et sur laquelle un débat jurisprudentiel et doctrinal a perduré pendant 2 ans concernant le sens de l’article L. 111-5, 1° du Code des procédures civiles d’exécution.
Rappelons les deux critères déterminant le caractère interprétatif d’une loi, à savoir d’une part, l’existence d’une controverse préalable sur le sens de la loi interprétée, et d’autre part l’absence de nouveauté de la loi interprétative.
Dans son rapport annuel de 2014, la Cour de cassation rappelle en ces termes : « Qu’il est de jurisprudence constante (par exemple, Cass. 3e civ., 27 févr. 2002, n° 00-17902 : Bull. civ. III, n° 53) qu’une loi ne peut être considérée comme interprétative qu’autant qu’elle se borne à reconnaître, sans rien innover, un droit préexistant qu’une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse »10.
C’est notamment le cas dans un arrêt de la Cour de cassation du 14 mai 1987 où le caractère interprétatif avait été reconnu dans le cas où le législateur, pour mettre fin à des hésitations jurisprudentielles, avait ajouté après l’expression « des salaires et avantages », les mots « y compris l’indemnité de congés payés »11.
Dès lors, le caractère interprétatif de l’article 108 de la loi du 23 mars 2019 devrait pouvoir être reconnu sans difficulté dans la mesure où seuls les mots « ou déterminable » ont été ajoutés pour mettre un terme au débat jurisprudentiel. D’autant plus que dans le rapport sur le projet de loi de programmation 2018-2022, il est indiqué que cette modification « aurait pour effet de mettre en conformité le droit alsacien-mosellan avec les règles applicables sur le reste du territoire ».
C’est notamment ce qui semble ressortir d’un arrêt de la cour d’appel de Colmar du 6 juin 2019 dans lequel l’acte notarié et les actes d’exécution forcée pratiqués étaient antérieurs au 25 mars 2019. Le débiteur soutenait alors que l’acte notarié ne portant pas sur des montants déterminés mais seulement déterminables, il ne pouvait constituer un titre exécutoire. La cour d’appel le déboutera en retenant implicitement mais nécessairement le caractère interprétatif de la loi du 23 mars 2019 en ces termes : « L’article 108 de la loi de programmation portant réforme de la justice a modifié l’article L. 111-5 en ce que les actes notariés ne peuvent servir de titre exécutoire que s’ils ont pour objet le paiement d’une somme déterminée ou déterminable. Mme X ne conteste pas le caractère déterminable de la créance de sorte que la banque est fondée à poursuivre l’exécution forcée sur la base de l’acte notarié du 13 mai 2009 qui constitue un titre exécutoire… »12.
14. Enfin, si reconnaître un caractère interprétatif à l’article 108 de la loi du 23 mars 2019 pose difficulté compte tenu de l’opposition expresse du législateur au cours des débats parlementaires, il convient de noter qu’il est constant que la modification de l’article L. 111-5,1° du Code des procédures civiles d’exécution par l’article 108 de la loi du 23 mars 2019 est une loi de procédure.
Or il est possible de reconnaître l’application immédiate d’une règle de procédure à des faits passés. En effet, dans son rapport annuel sur l’année 201413, la Cour de cassation cite ce cas de figure en tant qu’exception au principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle et s’appuie sur sa jurisprudence en matière de sécurité sociale pour admettre l’application immédiate des règles de procédure à des faits passés14.
Cette solution permettrait sans aucun doute à la Cour de cassation de trouver une issue honorable à une problématique dont elle est l’instigatrice.
Notes de bas de pages
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1.
Cass. 1re civ., 6 avr. 2016, n° 15-11077 ; Cass. 1re civ., 4 oct. 2017, n° 16-15458 ; Cass. 2e civ., 19 oct. 2017, n° 16-19675 ; Cass. 2e civ., 19 oct. 2017, n° 16-26413 : JCP N 2018, n° 11, 1129, Julienne M. – Cass. 2e civ., 22 mars 2018, n° 17-10635 : JCP N 2018, n°14, 367, Julienne M.
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2.
V. Julienne M., « Défendre la force exécutoire des actes notariés d’Alsace-Moselle », JCP N 2018, n° 11, 1129.
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3.
Sander É., « À propos de la force exécutoire des actes des notaires d’Alsace-Moselle », JCP N 2013, 1058.
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4.
Julienne M., « Défendre la force exécutoire des actes notariés d’Alsace-Moselle », JCP N 2018, n° 11, 1129.
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5.
CA Colmar, ch. 12, 20 déc. 2018, n° 17/05170.
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6.
Circ., 25 mars 2019, n° CIV/04/2019.
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7.
Sander É., « Du neuf pour la force exécutoire des actes notariés dressés par les notaires d’Alsace-Moselle », JCP N 2019, nos 22-23, act. 505
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8.
Cass., avis, 22 mars 1999, n° 99-00001, PB ; Cass., avis, 22 mars 1999, n° 99-00005, PB.
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9.
CA Colmar, ch. 12, 4 juill. 2019, n° 18/05182.
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10.
Rapport annuel de la Cour de cassation de 2014, livre 3, part. 2, titre 1, chap. 1, § 2, B., « La rétroactivité exceptionnelle de la loi en matière civile ».
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11.
Cass. soc., 14 mai 1987, n° 85-45315 : Bull. civ. V, n° 307.
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12.
CA Colmar, ch. 12, 6 juin 2019, n° 18/04390.
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13.
Rapport annuel de la Cour de cassation de 2014, livre 3, part. 2, titre 1, chap. 1, § 3, « L’application des lois de procédure à des situations passées ».
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14.
Cass. 2e civ., 8 juill. 2010, n° 09-68715.