Droits de l’enfant : chronique d’actualité législative et jurisprudentielle n° 16 (1re partie)
En ces temps de commémoration des événements de mai 68, il est cocasse de rappeler que l’abaissement de la majorité civile – concession faite au mouvement étudiant – a eu pour effet de réduire d’autant le champ temporel des droits de l’enfant. Mais le grand enfant de 18 ans a-t-il les moyens de son autonomie juridique ? – dans notre économie sinistrée, là est toute la question. C’est en tout cas l’occasion, dans cette nouvelle chronique, de s’interroger sur les droits de l’enfant à l’épreuve du passage de la majorité.
Prolégomènes : les droits de l’enfant à l’épreuve de son accès à la majorité
Une fois majeur, l’enfant est présumé être autonome. Est-ce à dire que son besoin de protection s’évanouit brusquement ? Évidemment non, a fortiori depuis le passage de la majorité de 21 à 18 ans en 1974 – concession faite au mouvement étudiant de mai 68, non sans arrières-pensées électoralistes. En ces temps de commémoration, il est d’ailleurs cocasse de rappeler que l’abaissement de la majorité civile a eu pour effet de réduire d’autant le champ temporel des droits de l’enfant, à commencer par son droit à la protection ! L’abaissement de la majorité civile n’est pas seul en cause : le contexte socio-économique, qui n’a cessé de se dégrader depuis les années 1970 pour les jeunes adultes (chômage frappant la jeunesse non diplômée, allongement des études, etc.), les maintient dans un état de besoin rendant leur autonomie juridique illusoire. Le constat concerne toutes les classes sociales : pour les enfants issus des familles les plus défavorisées, l’enjeu est de savoir si l’aide sociale pourra perdurer au-delà de la majorité ; pour les autres, il est de savoir si la poursuite des études sera possible, malgré les réticences financières de l’un et/ou l’autre parent(s), d’autant plus vives en cas de dislocation/recomposition familiale.
Bref, que deviennent les droits de l’enfant après son accès à la majorité ? La réponse varie selon que les droits sont reconnus à l’« enfant par la filiation » (majeur ou mineur) (1) ou à l’« enfant par l’âge » (mineur) (2)1.
1. Concernant les droits de l’« enfant par la filiation », le franchissement de la majorité ne saurait a priori les affecter. Certaines des décisions commentées dans la présente chronique nous montrent cependant qu’il n’en est pas forcément ainsi. Commençons par le « droit à la filiation » – entendu ainsi : droit de l’enfant, dépourvu de lien de filiation dans telle branche, de forcer l’établissement de celui-ci contre la volonté du parent biologique concerné.
Notre droit le consacre davantage depuis la libéralisation, en 2005 et 2009, de ses deux « bras armés » : les actions en recherche de paternité et de maternité2. D’ailleurs, gare aux lois étrangères restrictives en la matière : elles sont frappées de contrariété à notre ordre public international et écartées au profit de la loi française – sort que l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 27 septembre 20173 a réservé à la loi camerounaise qui érige en fin de non-recevoir l’inconduite notoire de la mère.
Cependant, la libéralisation n’est pas totale. Non seulement, l’action sera interdite lorsqu’elle conduit à révéler l’inceste dont est issu l’enfant4, mais en plus elle sera prescrite aux 28 ans de l’enfant5. Ainsi, le droit à la filiation de l’enfant mineur ne butera que sur l’interdit de l’inceste, alors que celui de l’enfant majeur est également prescriptible par l’écoulement du temps6. Le passage à la majorité fragilise donc le droit à la filiation.
Mais ainsi présentée, l’analyse n’est même plus complète depuis l’avènement du contrôle de conventionnalité sur le fondement de l’article 8 de la Convention EDH – qu’il soit mené par la Cour EDH ou nos juridictions nationales7. Le contrôle de proportionnalité qu’il implique peut faire renaître le droit à la filiation là où la loi le sacrifiait sur l’autel d’autres considérations tirées de la paix des familles ou de l’intérêt (abstrait) de l’enfant. C’est ainsi qu’une prescription peut être écartée pour atteinte disproportionnée au droit de l’enfant au respect de sa vie familiale/privée ; et pourquoi pas, demain, l’interdiction d’établir la filiation incestueuse ?
Mais justement, cette renaissance ne profite pas de manière égale à tous les « enfants par la filiation ». Force est de constater que le droit à la filiation subit une dégradation évidente lorsque l’enfant franchit la barre de la majorité. En effet, l’enfant mineur voit son intérêt qualifié de « supérieur » par rapport aux autres intérêts avec lequel il entre en conflit ; dans la balance des intérêts, il l’emportera toujours, comme l’illustre cet arrêt de la cour d’appel de Caen du 8 juin 20178, dans lequel les juges ont passé outre l’interdit de l’inceste pour refuser d’annuler la filiation maternelle, établie en second, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant. Mais qu’en aurait-il été si l’enfant avait été majeur ? En effet, l’intérêt de l’enfant majeur n’est pas présumé d’emblée supérieur. Il doit faire ses preuves, tout comme les autres intérêts en présence. En somme, tout dépend des circonstances de fait9.
N’en concluons cependant pas trop rapidement au « diktat » de l’intérêt supérieur de l’enfant en matière de filiation charnelle ! Comme le montre indirectement la décision du tribunal régional supérieur (OLG) de Munich du 29 juin 201710, dans l’appréciation de l’intérêt de l’enfant, la vérité biologique n’est pas indifférente… Ainsi, dans ce conflit de paternités sur fond de conflit de lois, doit être inscrit sur les registres d’état civil le père biologique allemand, auteur de la reconnaissance réalisée quelques jours après la naissance de l’enfant avec l’aval de la mère et de l’ex-mari roumain, et non ce dernier désigné automatiquement comme père en vertu de la présomption de paternité. Certes, l’intérêt de l’enfant est d’avoir un père le plus rapidement possible, mais ce n’est pas la seule considération pertinente : la vérité biologique compte également, jusqu’à l’emporter, le tout au nom du « principe de faveur ».
En cas de décès de l’un de ses père et mère, l’« enfant par la filiation » se voit reconnaître plusieurs droits, à commencer par le droit à la réserve en tant qu’héritier. Conséquence de l’établissement du lien de filiation, ce droit ne devrait logiquement pas être affecté par l’accès à la majorité de l’enfant. Lorsque la loi française est applicable, c’est effectivement le cas : peu importe qu’il soit majeur ou mineur. Mais lorsqu’elle a été écartée au profit d’une loi étrangère prohibitive, la minorité de l’enfant est déterminante puisqu’elle est susceptible de faire renaître son droit à la réserve. En effet, dans les arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation du 27 septembre 201711, la Cour de cassation a enfin tranché la question de savoir si la loi étrangère ignorant le mécanisme de la réserve héréditaire était contraire à l’ordre public international français. Réponse négative, mais avec cette réserve : la loi française redevient applicable si « l’application concrète de la loi étrangère conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels », ce qui est le cas si cette loi laisse un héritier « dans une situation de précarité économique ou de besoin ». On peut donc penser que la minorité, pendant laquelle l’enfant est présumé ne pas pouvoir subvenir seul à ses besoins (d’où l’institution de l’obligation d’entretien), ferait renaître le droit à la réserve ; à sa majorité, il lui faudrait démontrer que l’application de la loi étrangère le laisse sans ressources.
Lorsqu’il est question d’un décès provoqué par un fait générateur quelconque de responsabilité, surgit alors la question de l’indemnisation (entre autres) du préjudice moral subi par l’« enfant par la filiation ». À l’évidence, le passage de la majorité n’a d’autre influence possible que sur l’évaluation du préjudice, dont l’appréciation par les juges du fond est de toute façon souveraine. En revanche, jusqu’à un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 14 décembre 201712, tous les enfants mineurs ne bénéficiaient pas d’un droit à indemnisation puisque ceux nés après le décès en étaient privés. Par cet arrêt, la Cour de cassation a accepté le principe de la réparation de leur préjudice moral sur le fondement de l’adage infans conceptus : ne sont donc concernés que les enfants déjà conçus au moment du décès… C’est qu’en ces temps d’États généraux 2018 de la bioéthique, la remarque n’a plus rien de saugrenu ! En effet, en cas de légalisation de l’insémination post-mortem, que fait craindre l’ouverture des PMA aux femmes célibataires, la question du préjudice moral de l’enfant conçu après le décès accidentel du père biologique devient pensable. Affaire à suivre (dans la chronique 2019)…
2. Quid des droits de l’« enfant par l’âge » ? Logiquement, la majorité de l’enfant devrait les faire disparaître. Est-ce si sûr ?
Le premier des droits de l’enfant est le droit à la protection. Une protection que lui doivent les père et mère dont il est issu et qui s’incarne dans l’autorité parentale. L’autorité parentale s’évanouissant à la majorité de l’enfant, tous les mécanismes de protection de l’enfant qui ont pour effet de l’en soustraire juridiquement, deviennent caducs. Car, une bonne fois pour toutes, le retrait d’autorité parentale et la déclaration judiciaire de délaissement parental sont bien, avant tout, des mécanismes de protection de l’enfant ! Autrement dit, les juges n’ont pas à subordonner le prononcé de la mesure à l’existence d’un projet d’adoption pour l’enfant. C’est tout le sens de la loi n° 2016-297 du 14 mars de 2016 relative à la protection de l’enfant qui a symboliquement transformé l’ancienne « déclaration judiciaire d’abandon » en « déclaration judiciaire de délaissement parental »13 – avec succès, à en juger les premières applications de la réforme par les juges du fond conformes à l’esprit du texte (CA Aix-en-Provence, 14 mars 2017 et CA Paris, 20 avril 201714). Le même esprit anime nécessairement le retrait total d’autorité parentale, qui a pour effet de priver les parents de leur droit de consentir à l’adoption de leur enfant et donc d’ouvrir la voie à une éventuelle adoption, d’autant plus si l’enfant est recueilli par l’ASE (ce qui entraîne son admission comme pupille de l’État). Ainsi, demandé par le procureur de la République et soutenu par l’ASE, le retrait total n’a pas à être prononcé à l’égard de la mère si les conditions légales ne sont pas réunies15, les juges du fond n’ayant pas à s’interroger sur l’avenir de l’enfant dans la famille d’accueil où il s’épanouit (allusion à un éventuel projet d’adoption…) (Cass. 1re civ., 1er juin 201716). Si les juges semblent s’approprier l’esprit de la loi de 2016, on ne saurait en dire autant concernant la loi n° 2013-673 du 26 juillet 2013 relative à l’arrêté d’admission des enfants en qualité de pupille de l’État… Tel juge déclare mal fondé le recours contre l’arrêté d’admission exercé par une mère alors même qu’elle était frappée d’une déclaration judiciaire d’abandon, ce qui rend justement le recours irrecevable – qui plus est, le rejet est motivé par l’intérêt de l’enfant à conserver son statut de pupille de l’État (CA Rennes, 12 juin 201717). Tel autre juge valide un détournement de procédure de la part de grands-parents qui ont exercé le recours, non pour contester l’arrêté, mais pour demander le maintien des liens avec l’enfant – alors que les organes de la tutelle sont compétents pour ce faire (CA Chambéry, 20 juin 201718).
Tous les mécanismes de protection de l’enfant n’ont pas pour finalité de le soustraire à une autorité parentale dysfonctionnelle. Il en est qui permettent un accompagnement des parents dans l’exercice de leur autorité, au besoin par une prise en charge de l’enfant par l’ASE, soit au titre de la protection administrative, soit au titre de la protection judiciaire (assistance éducative). Et justement : ces mesures sont susceptibles de prolonger leurs effets au-delà de la majorité de l’enfant, malgré la disparition de l’autorité parentale. Mais ne nous y trompons pas : non pas que l’accès à la majorité soit indifférent par principe ; bien au contraire, il s’est agi, dans l’esprit du gouvernement de l’époque, de pallier les effets de l’abaissement de la majorité de 21 ans à 18 ans par la loi n° 74-631 du 5 juillet 1974, pour les jeunes déjà bénéficiaires, avant leur majorité, d’une aide au titre de la protection de l’enfance. Ainsi, en matière de protection administrative, le texte général de l’article L. 112-3, alinéa 4, du CASF, issu de la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, dispose que « [les] interventions [au titre de la protection de l’enfance] peuvent également être destinées à des majeurs de moins de 21 ans connaissant des difficultés susceptibles de compromettre gravement leur équilibre »19. En matière d’assistance éducative, selon l’article 1er du décret n° 75-96 du 18 février 197520, « jusqu’à l’âge de 21 ans, toute personne majeure (…) éprouvant de graves difficultés d’insertion sociale a la faculté de demander au juge des enfants la prolongation ou l’organisation d’une action de protection judiciaire ».
Ainsi, conçues à l’origine comme un simple palliatif à l’effet mécanique de l’abaissement de la majorité, ces règles ont finalement été maintenues dans notre droit21. Cependant, en pratique, seules des mesures de protection administrative sont décidées à l’égard des jeunes majeurs, les mesures de placement sur décision judiciaire ayant quasiment disparu, selon le Haut conseil de la famille22. Le moment venu, ce sera toujours cela de gagné pour ces parents albanais qui ont envoyé leur enfant en France, vraisemblablement dans une intention frauduleuse, en l’occurrence pour le faire bénéficier d’une prise en charge au titre de la protection de l’enfance en danger, dont on sait qu’elle est applicable quelle que soit la nationalité de l’enfant, mais à la condition – nouvellement précisée par l’arrêt du 16 novembre 2017 de la première chambre civile de la Cour de cassation23 – que l’enfant ne dispose d’aucun représentant légal en France, ni qu’il ne soit effectivement pris en charge par une personne majeure. Si ces conditions sont remplies, il est hors de question de priver l’enfant de la protection à laquelle il a droit, et ce quand bien même aucune situation de danger ne serait constatée à son encontre en Albanie – comme l’avaient souligné les juges du fond pour confirmer la mainlevée du placement provisoire de l’adolescent à l’ASE (à titre de sanction des parents ?).
Si le législateur fait ainsi preuve d’un certain pragmatisme en matière de protection de l’enfance, prévoyant différents dispositifs pour les jeunes majeurs, la législation n’évite cependant pas les effets de seuil : à 18/21 ans, selon les cas de figure, le jeune sort brutalement de ces dispositifs et l’on attend de lui « une transition vers l’autonomie plus rapide que pour les autres alors qu’il cumule généralement de nombreuses difficultés »24. D’où les quelques avancées de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant25, dont on peut néanmoins regretter l’absence d’ambition que l’on doit sans doute expliquer par les contraintes budgétaires26. Dans un tel contexte, quid, à sa majorité, du sort de ce mineur confié à l’âge de 17 ans à sa propre sœur, en qualité de tiers digne de confiance, par le juge des enfants ? L’intérêt supérieur de l’enfant (mineur) a au moins permis à la sœur d’obtenir, auprès du juge des référés, la suspension de l’exécution de la décision de refus du président du Conseil départemental de Mayotte de lui verser l’allocation « tiers digne de confiance » due au titre des articles L. 228-3 et R. 228-3 du CASF – refus motivé par le fait que le Conseil départemental n’avait pas encore fixé le montant ni les modalités de versement d’une telle indemnité (pour d’obscures raisons budgétaires ?). La solution est validée par le Conseil d’État, qui reconnaît de longue date l’applicabilité directe de l’article 3-1 de la CIDE (CE, 19 mai 201727).
En revanche, nul effet de seuil en matière de droit à l’entretien de l’enfant par ses parents – autre droit reconnu à l’« enfant par l’âge ». Cela ressort de la rédaction subtile de l’article 371-2, alinéa 2, du Code civil : l’obligation parentale « ne cesse pas de plein droit lorsque l’enfant est majeur », ce qui revient à poser un principe d’absence d’automatisme de la majorité sur le terme de l’obligation d’entretien. Seul le contexte d’un conflit de lois pourrait permettre aux parents, qui se séparent, de se débarrasser de ce véritable « fil à la patte ». Il est vrai que les accords parentaux portant sur la loi applicable aux obligations alimentaires à l’égard des enfants mineurs sont interdits – car il est hors de question de contractualiser le sort de l’enfant –, mais les « accords procéduraux » sont admis, et, paradoxalement, ils laissent une marge de manœuvre encore plus importante aux parents, quitte à choisir une loi qui ne prolonge pas les effets de l’obligation d’entretien au-delà de la majorité ! (CA Metz, 6 juin 201728)
En dehors d’un tel contexte, un père peut-il décider de son propre chef de cesser le versement de la pension alimentaire due à sa fille en vertu d’une décision du JAF, dans la mesure où elle est devenue majeure et suit des cours en soirée lui permettant de mener une activité salariée en journée ? Seul le JAF est compétent pour répondre à cette question, et sûrement pas le JEX, saisi en l’espèce par le père aux fins de mainlevée de la procédure en paiement direct diligentée contre lui – sauf si le JAF avait subordonné explicitement l’existence de l’obligation d’entretien à la poursuite des études, ce qu’il convient de vérifier avant d’exclure la compétence du JEX (CA Chambéry, 16 février 201729).
Christine DESNOYER
I – Le rattachement de l’enfant à ses parents et ses enjeux
A – Problématiques de droit interne
1 – Le droit à la filiation de l’enfant incestueux
CA Caen, 8 juin 2017, n° 16/01314. On croirait l’espèce ayant abouti à l’arrêt du 8 juin 201730 directement sortie d’une tragédie de Sophocle ; mais loin de se crever les yeux à l’issue du drame révélé, les choses finissent bien. C’est en fait une tragi-comédie qui se nouait là. En guise de deus ex machina : l’intérêt de l’enfant, comptant parmi les standards incontournables du happy end, « horizon indépassable [du droit de la filiation] de notre temps ». Il n’empêche que les faits étaient assez improbables ; à hypothèse d’école, faut-il voir une solution d’école, sans portée générale et qu’on se garderait bien d’extrapoler au-delà de la confondante singularité des faits qui y ont acculé ? Tel est l’enjeu de cette décision.
M. B. et Mme L. ont la même mère, mais ont été, nous dit l’arrêt, placés dès l’enfance dans des familles d’accueil différentes et élevés séparément, si bien qu’ils ne se connaissent (reconnaissent ?) pas en 2006 lorsqu’ils décident d’entretenir une liaison amoureuse. De cette liaison est issue une fille, née le 5 mai 2009, reconnue par son père avant sa naissance le 18 avril 2009. Ce n’est qu’en 2013, apparemment à l’occasion de l’accomplissement de démarches administratives auprès d’un officier d’état civil, que le caractère incestueux de cette union libre et de l’enfant est révélé, ce qui poussa le procureur de la République à assigner les concubins aux fins de voir annuler le lien de filiation établi entre Mme L. et sa fille, ainsi que le prévoit l’article 310-2 du Code civil. Ce texte dispose en effet que « s’il existe entre les père et mère de l’enfant un des empêchements à mariage prévus par les articles 161 et 162 pour cause de parenté, la filiation étant déjà établie à l’égard de l’un, il est interdit d’établir la filiation à l’égard de l’autre par quelque moyen que ce soit ». La reconnaissance paternelle prénatale ayant été opérée antérieurement à l’inscription de la mère sur l’acte de naissance, le procureur en tirait la conclusion qu’il revenait bien à la filiation maternelle de souffrir la nullité. Un premier jugement du juge aux affaires familiales du TGI de Cherbourg accède à la demande du procureur, annule le lien de filiation entre la mère et son enfant, annule l’acte de naissance initialement dressé, et ordonne la rédaction d’un nouvel acte de naissance avec l’unique mention du lien de filiation paternelle tout en constatant l’exercice de l’autorité parentale par ce dernier. La mère interjeta appel de ce jugement auprès de la cour d’appel de Caen, laquelle devait infirmer la décision de première instance en convoquant les articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH), outre l’article 7 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE). La particularité des faits de l’espèce semble avoir été déterminante dans cette affaire : l’ignorance des auteurs aura permis de solliciter l’intérêt supérieur de l’enfant pour trancher le litige (I). Ce faisant, ce concept démontre une nouvelle fois sa particulière vitalité et son aptitude à faire produire des effets de droit à des situations pourtant juridiquement irrégulières. Et si cette décision dégageait la perspective de voir l’intérêt de l’enfant érigé en juge de paix de l’inceste absolu (II) ?
I. L’effet de l’ignorance des parents incestueux
Les dispositions d’ordre public figurant à l’article 310-2 du Code civil n’opèrent pas de distinction selon l’état d’esprit dans lequel l’inceste est commis. Que les auteurs de l’enfant connaissent ou ignorent leur parenté en ligne directe ou collatérale au deuxième degré, ne change rien à l’interdiction d’établir un double lien de filiation à l’égard de l’enfant31. Par une interprétation audacieuse de cet article, la cour d’appel de Caen semble au contraire tirer de l’ignorance par les auteurs de l’enfant de leur lien de parenté une circonstance permettant éventuellement de préserver cette double filiation, dès lors que l’intérêt de l’enfant le commanderait. Il n’apparaît pas que le procureur de la République dans cette affaire ait souhaité se pourvoir en cassation, alors pourtant qu’une telle solution, à notre sens inédite, aurait bien mérité l’expertise de la haute juridiction française. En effet, comment ne pas être troublé par le raisonnement des juges d’appel lorsqu’ils énoncent : « Si la loi française prohibe l’établissement d’un second lien de filiation dans les hypothèses où cet établissement conduirait à créer une filiation incestueuse, l’espèce soumise à l’examen de la cour la conduit à s’interroger sur ce que dicte l’intérêt de l’enfant lorsque les deux filiations ont malgré tout été établies, par ignorance ou dysfonctionnement », autant dire dans un contexte de bonne foi des parents mêlée aux imperfections du système d’état civil.
Si l’on comprend bien la cour d’appel, l’intérêt de l’enfant né de l’inceste absolu visé à l’article 310-2 du Code civil32 devrait servir à apprécier la possibilité de maintenir le lien de filiation à l’égard du père et de la mère si ces derniers n’ont pas été en mesure de connaître leur parenté au moment de la conception. Est-ce à considérer qu’au contraire, si l’inceste était conscientisé, au moins chez l’un des deux parents, l’article 310-2 du Code civil retrouverait application ? Une telle solution serait pour le moins étrange, car cela reviendrait à considérer que l’intérêt supérieur de l’enfant s’efface derrière une concupiscence incestueuse assumée… Or on ne voit pas en quoi l’intérêt de l’enfant serait plus digne de protection et de prise en compte dans un cas que dans l’autre… Pourtant, à titre de comparaison, ce régime de la filiation incestueuse articulé autour de la bonne foi des parents est proche de celui posé à l’article 251 du Code civil italien : si, par principe, la filiation incestueuse n’est pas reconnue en droit italien, elle peut l’être par exception à l’égard du père et de la mère s’ils ignoraient leur parenté au moment de la conception, ou à l’égard seulement de celui qui était de bonne foi ; l’article poursuit en énonçant qu’en pareille circonstance exceptionnelle, « la reconnaissance est autorisée par le juge, compte tenu de l’intérêt de l’enfant et de la nécessité d’éviter tout préjudice à celui-ci ».
Quoi qu’il en soit, c’est bien l’invitation dans les débats et à titre principal de l’intérêt supérieur de l’enfant33, qui permit par une appréciation in concreto des faits de l’espèce de maintenir la filiation maternelle querellée : « Océane est âgée de 8 ans. Elle vit avec sa mère depuis sa naissance, la maternité de Mme L. est certaine, son engagement dans la parentalité n’est pas contesté notamment par M. B., lequel ne démontre pas avoir entretenu ni entretenir actuellement avec sa fille des liens particulièrement étroits, sans rapporter la preuve qu’il a été empêché de le faire par Mme L. Au regard de l’intérêt particulier de cette enfant, et des conséquences dommageables qu’aurait pour elle, dans la construction de son identité, l’annulation d’un lien de filiation sur lequel s’est construite jusqu’à présent sa place dans l’histoire familiale, il y a lieu de réformer le jugement en toutes ses dispositions, étant observé que, les liens de filiations produisant leurs effets simultanément, l’autorité parentale est en conséquence exercée en commun ».
Un autre argument propice au maintien de la filiation maternelle semblait importer pour les juges d’appel, argument soulevé initialement par le procureur et accrédité par les juges du fond. L’idée est de dire que la reconnaissance prénatale, dépourvue d’effet avant la naissance, n’a pas d’antériorité par rapport à l’établissement du lien maternel : « les deux filiations ont été établies (…) concomitamment ou dans un temps très voisin, puisqu’il a été relevé à juste titre par le ministère public que, la reconnaissance prénatale ne produisant ses effets que dans l’hypothèse où l’enfant naît vivant et viable, il y a lieu de considérer en l’espèce que c’est de manière concurrente que les deux filiations ont été établies, l’acte de naissance entérinant la naissance de l’enfant en même temps qu’il y faisait figurer le nom de la mère ». D’où il se déduit qu’on ne peut poursuivre l’annulation du lien maternel, celui-ci n’étant pas second en date. Le raisonnement étonne. Si c’est bien la date de l’acte destiné à établir la filiation qui compte, alors la filiation paternelle fut en l’espèce « établie » en premier, alors que la filiation maternelle ne fut quant à elle établie que postérieurement par l’inscription sur l’acte de naissance. Si c’est la prise d’effet de la filiation qui compte, et non plus celle de l’acte en lui-même (reconnaissance ou déclaration), on sait qu’elle se réalise à la naissance, si bien que père et mère le sont juridiquement et concomitamment à l’instant de raison de la naissance, ce qui rendrait l’article 310-2 du Code civil sans objet, aucun décalage temporel ne pouvant jamais être constaté… En réalité, l’interprétation en l’espèce du critère temporel posé par l’article polémique tranche avec le paisible consensus dont il jouissait jusqu’à présent. Ainsi, un auteur a pu tout à fait tranquillement envisager la rupture du lien maternel en cas de reconnaissance prénatale paternelle : « Le nouvel article 311-25 du Code civil (…) pose en règle générale que « la filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant ». De la sorte, et « sous réserve d’une reconnaissance paternelle prénatale qui ne serait pas précédée d’une reconnaissance maternelle également anténatale »34, c’est la filiation maternelle qui se trouvera légalement établie en premier lieu et du même coup, l’article 310-2 viendra interdire l’établissement de la paternité du géniteur ». De manière encore plus nette, la circulaire du 30 juin 2006, dite de présentation de l’ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, énonce : « En cas de reconnaissance paternelle prénatale, l’officier de l’état civil doit, s’il en a connaissance lors de la déclaration de naissance, refuser d’inscrire le nom de la mère dans l’acte de naissance de l’enfant35 ».
Cette issue à laquelle auraient dû parvenir les juges s’ils avaient entendu faire application de la loi française fut probablement un repoussoir. Summum jus, summa injuria. Le double lien filial demeure donc en place, ce qui ne peut que rappeler le dénouement identique auquel était parvenue une ancienne décision du tribunal de la Seine du 3 février 194836, laquelle, en contemplation du présent arrêt commenté, surprend par sa modernité. Un enfant était né en 1942 de la relation entretenue par un homme de 39 ans avec sa demi-sœur de 19 ans, issue du même père. Fut déniée en cette affaire la compétence du ministère public à agir en nullité de la filiation paternelle, seconde reconnaissance établie en date. Si cette compétence ne saurait aujourd’hui être contestée aux termes de textes clairs37, telle n’était pas la situation qui prévalait à l’époque, le ministère public n’étant habilité qu’à « surveille[r] l’exécution des lois, des arrêts et des jugements » et à « poursui[vre] d’office cette exécution dans les dispositions qui intéressent l’ordre public38 ». L’élément intéressant de ce jugement réside dans un point d’argumentation mis en avant par les juges pour rejeter l’action en nullité du procureur : « – la porte ouverte à l’intervention du ministère public pourrait conduire à des résultats qui ne seraient pas toujours socialement bienfaisants ». Pour un commentateur de l’époque, c’est bien la proportionnalité, voire une considération « d’humanité », qui doit commander aux solutions à prononcer dans ce genre d’espèces, solutions qui somme toute ne devraient idéalement ne relever que de l’initiative des familles elles-mêmes : « Une jurisprudence, qui s’en remet à la discrétion des membres de la famille pour provoquer l’annulation de leur reconnaissance, fait preuve à son tour d’un salutaire esprit de mesure : les familles ne sont pas sacrifiées, puisque la décision leur appartient ; et les victimes ne seront pas expulsées des foyers qui les ont accueillies, sans la volonté de ceux qui en ont la garde. Le bannissement requiert une prudence d’autant plus attentive que l’enfant adultérin ou incestueux, dont la reconnaissance aura été annulée, sera privé de l’espérance, qui peut réconforter l’enfant naturel (…). C’est à des considérations d’humanité que le tribunal civil de la Seine a obéi39 ». Mêlé au repos des familles, l’intérêt de l’enfant sourdait déjà comme un élément potentiellement stabilisateur de la filiation incestueuse.
II. L’intérêt de l’enfant, juge de paix de l’établissement de la filiation en cas d’inceste absolu ?
La partition jouée par la cour d’appel de Caen résonne avec celle exécutée par la cour d’appel de Rennes le 24 janvier 200040. Dans cette précédente espèce, l’application de l’article 334-10 du Code civil41 avait été écartée au motif que la filiation adoptive n’étant pas visée par ce texte, rien n’interdisait au père biologique de l’enfant, par ailleurs demi-frère de la mère, d’adopter l’enfant dès lors que l’intérêt de ce dernier le justifiait42 ; à dire d’experts ayant apprécié ledit intérêt, l’adoption fut effectivement prononcée par la cour d’appel dans un arrêt du 22 janvier 2001. La Cour de cassation devait pourtant censurer sévèrement ces vues, par une décision du 6 janvier 200443. Refusant d’opérer la distinction entre établissement de filiation par reconnaissance ou par adoption, simple ou plénière, elle énonce de manière péremptoire : « la requête en adoption présentée par M. Y contrevient aux dispositions d’ordre public édictées par l’article 334-10 du Code civil interdisant l’établissement du double lien de filiation en cas d’inceste absolu ». L’application générale de ces dispositions d’ordre public dans le champ du droit de la filiation était alors affirmée avec force, ce que conforta le gouvernement lorsqu’il décida de compléter le texte comme suit : il est interdit d’établir la filiation à l’égard de l’autre « par quelque moyen que ce soit44 ». L’objectif de donner à la réprobation sociale de l’inceste absolu les effets juridiques les plus larges est manifeste. Certes, il pourrait être objecté que le texte mentionne « par quelque moyen que ce soit », et non « dans quelque circonstance que ce soit », si bien qu’il serait permis d’appréhender différemment la connaissance ou l’ignorance par les parents de leur lien mutuel. Mais est-il possible de mettre en avant un tel argument sans aller bien au-delà de la volonté du législateur de réaffirmer avec force la prohibition française ? Tel fut peut-être le sentiment des juges du fond. Quoi qu’il en soit, ceci révèle l’important hiatus entourant le fondement de l’article 310-2 du Code civil. Car enfin, il convient tout de même bien d’interroger le sens profond de l’interdit filial, d’autant qu’une telle règle ne semble pas relever de l’évidence si on compare la situation de la France à celle de ses homologues européens qui souvent ne la connaissent pas45.
D’abord, nous dirons que la règle ne vise pas à sanctionner des parents coupables. Au demeurant, il aurait été étrange d’instituer un principe civiliste d’interdiction de la double filiation en guise de répression, là où le droit pénal aurait semblé plus approprié… Or jamais l’inceste ne fut sanctionné pénalement en France46, pays moins moraliste en la matière que les États-Unis par exemple, où une récente affaire, ce genre d’affaires dont les médias se repaissent, est venue défrayer l’actualité et par là même témoigner du caractère vivace de l’anathème lié à l’inceste et à son fruit47. Neutralité française vis-à-vis du comportement incestueux en lui-même dont on déduit que l’état d’esprit des parents des enfants issus de cette relation devrait être sans conséquence quant au régime de filiation objectivement posé par le droit. Ceci étant, l’idée sous-tendue par la cour d’appel consisterait à dire que les parents de l’enfant ignoraient leur propre lien parental, ce qui permet d’envisager, à l’aune de l’intérêt de l’enfant, d’atténuer la rigueur de la règle posée à l’article 310-2 du Code civil en ce qu’ils seraient moins « coupables » que des parents conscients de leur lien… Ce faisant, la cour d’appel introduirait une dimension de culpabilité dans l’article 310-2 du Code civil qui pourtant n’a jamais eu cours depuis l’instauration du Code civil.
Non, la règle n’est pas d’essence répressive ; elle ne fait qu’appuyer, prolonger un interdit, un tabou d’essence fondatrice pour la société et pour l’individu. Les arguments et analyses déployés à ce titre en anthropologie et en psychanalyse sont connus, et il ne convient certainement pas de longuement s’y attarder. L’interdit de l’inceste marque « la démarche fondamentale grâce à laquelle, par laquelle, mais surtout en laquelle, s’accomplit le passage de la nature à la culture48» ; cette démarche se cristallise dans le Code civil par l’empêchement à mariage et par l’absence de pleine reconnaissance juridique du fruit de l’inceste. L’établissement de la double filiation incestueuse affecterait le positionnement de l’enfant dans sa chaîne filiale de proximité, l’empêcherait de se situer clairement. L’article 310-2 du Code civil est « une loi par laquelle s’opère la différenciation du même et de l’autre, et par laquelle s’institue la différence des générations, face à quoi chacun peut se construire à son mode. Il s’agit aussi de permettre à celui qui est issu d’un inceste de se construire un devenir où il ne soit pas sans cesse ramené à la transgression dont il est issu : ne pas en faire un destin49 ». On reconnaît là l’argument exposé par la juridiction de première instance dans l’espèce commentée, aux fins d’annulation de la filiation maternelle : « l’intérêt supérieur de l’enfant, en commandant que l’origine incestueuse de sa filiation ne soit pas connue de tous, justifiait que soit annulé le lien de filiation établi en second ». Car il s’agit bien là de la ratio legis de l’article 310-2 du Code civil : ne pas donner de publicité à cette situation, laquelle opérerait avant tout au préjudice de l’enfant et de sa construction sociale50. Certes, on a argué que « s’il existe un fait si déplaisant ou même si abominable qu’il soit, on ne le fait pas disparaître en le niant. C’est le vice qui rend par l’hypocrisie hommage à la vertu. Je crois qu’on ne gagne rien à dissimuler les plus tristes réalités51 ». L’opinion porte très peu en réalité, car précisément, le droit entend faire disparaître juridiquement le fait pour préserver de l’anathème, pour y gagner la « banalité » de l’enfant en le soustrayant à une détermination d’ordre « psychosocioculturel52 ». Il ne s’agit pas de dire que la voie juridique ainsi employée est indépassable et qu’il conviendrait inéluctablement de la maintenir53, mais au moins de lui concéder un objectif qui, en tant que tel, est louable et respectable : « l’enfant n’est destiné officiellement à n’avoir qu’un père ou une mère pour que n’apparaisse pas le fait qu’il est le fruit d’un inceste54 ».
Il pourrait alors sembler bien paradoxal que la cour d’appel de Caen convoque l’intérêt supérieur de l’enfant pour précisément aboutir à une position opposée à la ratio legis de l’article 310-2 du Code civil. À dire vrai, il s’agit là de deux approches différentes de l’intérêt de l’enfant, ou plus exactement, du malentendu qui peut naître à rechercher à la fois l’intérêt des enfants au sein de la cité, c’est-à-dire dans une dimension politique, et l’intérêt spécifique d’un enfant in situ, au sein d’une famille. Les juges du fond ont appuyé leur décision sur les articles 8 et 14 Conv. EDH (ie le droit au respect de la vie privée et familiale et l’interdiction des discriminations fondées entre autres sur la naissance à l’égard des droits et libertés reconnues dans la Convention EDH), et sur l’article 7 CIDE (ie droit pour l’enfant notamment à connaître ses parents et à être élevé par eux). Or, il n’est pas douteux que dans l’esprit des juges, et au soutien de ces fondements textuels, l’appréciation in concreto de l’intérêt de l’enfant prédomine ; celui-ci n’est pas évanescent, abstrait, mais correspond à l’histoire de l’enfant, tout autant qu’à la réalité de sa vie quotidienne et qu’aux perspectives d’évolution que lui offrent différentes options entre lesquelles une autorité devra trancher. Dès lors, lorsque l’intérêt d’un enfant le commande, il importe de maintenir un lien de filiation par ailleurs querellé au regard du droit français. L’estimation à laquelle se sont livrés les juges du fond en l’espèce est nette : bien que l’établissement de la filiation maternelle fût second en date, et que celle-ci tombait donc immanquablement sous le coup de la nullité fulminée par l’article 310-2 du Code civil, elle fut néanmoins maintenue au terme de l’appréciation par les juges de la relation affective et éducative nouée entre l’enfant et sa mère. L’ordre public français est déjoué, cet arrêt donnant du relief à l’opinion émise par un auteur : « Donner au juge le droit de se déterminer en fonction de l’intérêt de l’enfant, c’est lui donner le droit d’ignorer le droit55 ».
Serait-il seulement concevable de concilier les deux approches de l’intérêt de l’enfant au gré de quelques arrangements textuels ? En ce sens, l’article 310-2 du Code civil pourrait par exemple être rédigé comme suit : « S’il existe entre les père et mère de l’enfant un des empêchements à mariage prévus par les articles 161 et 162 pour cause de parenté, la filiation ne peut être établie, par quelque moyen que ce soit et en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant, qu’à l’égard de l’un d’entre eux ». L’idée, déjà bien ancienne56, est séduisante, mais pourrait aboutir rapidement à une impasse : si l’intérêt spécifique d’un enfant (et de surcroît de ses mère et père) au regard de son droit à une vie familiale normale, sans discrimination fondée sur sa naissance, ou du droit d’être élevé par ses parents, commandait le maintien de la double filiation, comment ce dispositif français pourrait-il seulement se maintenir face à un corpus de règles européennes ou internationales qui lui sont hiérarchiquement supérieures57 ? En outre, n’oublions pas que sur le seul plan successoral, la filiation bilinéaire apparaîtra dans bien des cas plus avantageuse pour l’enfant58. En vrai, l’interdit filial inscrit à l’article 310-2 du Code civil ne semble pas totalement à l’abri d’une remise en cause future : la portée symbolique de la protection que confère à l’enfant l’interdit actuel pourrait être suppléée par la portée matérielle et éducative qui justifierait le maintien d’une double filiation59.
L’emprise de « l’intérêt particulier de l’enfant60 » sur le droit français de la filiation continue à s’étendre. La capacité de ce standard à déjouer l’ordre public français est spectaculaire et peut-être sans égal61. Partant, l’intérêt de l’enfant est un marqueur de son temps, celui de la « biopolitique » foucaldienne, caractérisée par la légitimation de la règle à l’aune de la satisfaction de l’intérêt des sujets et par l’abolition d’une certaine verticalité du droit62… Évolution parfaitement identifiée, et regrettée, par Pierre Legendre précisément à propos du régime d’interdit juridique posé à l’inceste : « La question naïve « pourquoi l’interdit de l’inceste ? » est en train de revenir sur le tapis. Mais on ne dit plus, à la manière des glossateurs : étant fabriqué par les institutions, l’interdit s’impose comme tel ; on dit en somme : étant une production juridique, il n’a plus cours. N’épiloguons pas sur ce renversement, dont la logique est justiciable d’une histoire de la revendication politique de souveraineté, notion jouant désormais pour le compte de chaque individu, qui tiendrait de sa propre volonté [et nous permettrions-nous de rajouter, de son propre intérêt] son principe normatif63 ».
Jean-Christophe DUHAMEL
(À suivre)
2 – Les enjeux de la filiation
a – L’enjeu alimentaire : le droit à l’entretien de l’enfant majeur et l’articulation des compétences du JAF et du JEX
b – L’enjeu indemnitaire : le droit à réparation de l’enfant orphelin de père in utero
B – Problématiques de droit international privé
1 – Droit à la filiation et droit à la réserve : les fluctuations de l’ordre public international français
2 – Conflit de paternités et principe de faveur
3 – Les accords parentaux sur la loi applicable en matière alimentaire à l’égard des enfants mineurs
II – La protection de l’enfant en danger
A – Les mesures de soustraction de l’enfant à l’autorité parentale
1 – L’appropriation de l’esprit de la loi du 14 mars 2016 par les juges
a – Déclaration judiciaire de délaissement parental et absence de projet d’adoption
b – Refus du retrait total d’autorité parentale et projet d’adoption
2 – Le dévoiement de la loi du 26 juillet 2013 par les juges : les titulaires du recours contre l’arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État
B – L’assistance éducative : primauté de l’intérêt de l’enfant
1 – L’intérêt de l’enfant avant les contraintes budgétaires : l’allocation « tiers digne de confiance »
2 – L’intérêt de l’enfant avant la sanction de l’attitude dolosive des parents : les conditions de l’isolement justifiant le prononcé d’une mesure provisoire d’assistance éducative
Notes de bas de pages
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1.
Selon les expressions du doyen Carbonnier (Droit civil. La famille, l’enfant, le couple, t. 2, 21e éd., 2002, PUF, Thémis, p. 751), creusées par Pichard M., « L’enfant : à propos d’une polysémie », in Mélanges en l’honneur de M.-S. Payet, 2012, Dalloz, p. 472 et s.
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2.
Suppression de la fin de non-recevoir à l’action en recherche de maternité tirée de l’accouchement sous X ; disparition des adminicules préalables dans l’action en recherche de paternité ; allongement des délais de prescription des deux actions.
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3.
Commentaire par Éric Kerckhove.
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4.
C. civ., art. 310-2.
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5.
C. civ., art. 321.
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6.
Aucune discrimination à cela : lorsque l’enfant est mineur, la filiation conditionne également sa prise en charge.
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7.
À commencer par la Cour de cassation qui a décidé de se convertir au contrôle de proportionnalité. Sur ce thème, v. notre article « Droits de l’enfant, déjuridictionnalisation du droit de la famille et juridictionnalisation de la Cour de cassation », in « Chronique droits de l’enfant », LPA 31 juill. 2017, n° 127t8, p. 3.
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8.
Commentaire par Jean-Christophe Duhamel.
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9.
V. notre article : « La place de la vérité biologique dans la jurisprudence européenne relative à l’article 8 de la Conv. EDH en matière de filiation charnelle », in Mélanges en l’honneur de Françoise Dekeuwer-Défossez, 2012, Montchrestien-Lextenso, p. 55-79.
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10.
Commentaire par Annie Bottiau.
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11.
Commentaire par Eric Kerckhove.
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12.
Commentaire par Sarah Toubal.
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13.
Avec transfert non moins symbolique des dispositions dans une subdivision du Code civil consacrée à l’autorité parentale (art. 381-1 et 381-2), et non plus à l’adoption (anc. art. 350).
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14.
Commentaire par Amélie Niemiec.
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15.
C. civ., art. 378-1.
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16.
Commentaire par Amélie Niemiec.
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17.
Commentaire par Amélie Niemiec.
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18.
Commentaire par Amélie Niemiec.
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19.
V. égal. les textes spéciaux propres à chaque type de mesures, étendues aux « majeurs de moins de 21 ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre » (art. L. 221-1) ou « confrontés à des difficultés sociales » (art. L. 222-2) ou « qui éprouvent des difficultés d’insertion sociale faute de ressources ou d’un soutien familial suffisants » (art. L. 222-5).
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20.
JO, 19 févr. 1975, p. 2030.
-
21.
Elles ont même été étendues aux jeunes majeurs n’ayant jamais bénéficié, pendant leur minorité, d’une mesure de protection de l’enfance.
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22.
HCFEA, Les jeunes de 18 à 24 ans, annexe « Les jeunes majeurs suivis par l’aide sociale à l’enfance » (fiche 7), rapport, 14 avr. 2016, p. 4.
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23.
Commentaire par Delphine Autem.
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24.
HCFEA, Les jeunes de 18 à 24 ans, annexe « Les jeunes majeurs suivis par l’aide sociale à l’enfance » (fiche 7), rapport, 14 avr. 2016, p. 9.
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25.
Projet d’accès à l’autonomie sur la base d’un entretien avec le mineur et d’un bilan de parcours (CASF, art. L. 222-5-1) ; accompagnement « proposé au mineur devenu majeur, au-delà du terme de la mesure, pour lui permettre de terminer l’année scolaire ou universitaire engagée » (CASF, art. L. 222-5, al. 2) ; attribution à la majorité de l’enfant d’un pécule constitué par les versements, le temps du placement pendant sa minorité, de l’allocation de rentrée scolaire sur un compte bloqué à la Caisse de dépôt et consignation (CSS, art. L. 543-3).
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26.
Eudier F. et Gouttenoire A., « La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, une réforme “impressionniste” », JCP G 2016, I 479, n° 19.
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27.
Commentaire par Amélie Niemiec.
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28.
Commentaire par Gaëlle Widiez-Rasolonomenjanahary.
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29.
Commentaire par Dominique Everaert-Dumont.
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30.
CA Caen, 3e ch. civ., 8 juin 2017, n° 16/01314 : Dr. famille 2017, n° 11, p. 19, note Fulchiron H. ; RJPF 2017, n° 11, p. 31, note Garé T. ; Batteur A., « L’enfant né d’un inceste entre frère et sœur : nouvel exemple d’un conflit de filiation insoluble », D. 2017, n° 36, p. 2107.
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31.
La circonstance d’ignorance de leur lien de parenté par les auteurs de l’inceste a été prise en compte à l’échelle de l’histoire du droit. Ainsi, en matière de mariage, le décret de Gratien (rédigé entre 1140 et 1150) énonce sur un mode généraliste qu’« il n’est pas interdit à ceux qui ont commis un inceste par ignorance de se marier » (Non prohibentur ducere uxores qui ignoranter incestum committunt ; C.35.2.5 et, très semblable, C.34.1.8.). La casuistique déployée pour l’application de ce canon, lequel remonterait au Concile de Compiègne de 757, montre que l’ignorance a pu servir de critère exonératoire d’empêchement à mariage dans le contexte de « fornication » d’un tiers avec les membres d’une même famille. Par exemple : « Si quelqu’un a forniqué avec une mère et une fille, la mère ignorant ce qu’il en était de sa fille et la fille de sa mère, qu’il ne se marie jamais ; quant à elles, si elles le veulent, elles peuvent se marier. Mais si ces femmes savaient, qu’elles restent pour toujours sans mari » ; « Si un homme fornique avec une femme et que son frère, l’ignorant, épouse cette même femme, le premier, du fait qu’il a caché sa faute à son frère, fera pénitence et, après la pénitence, il pourra se marier. Mais la femme fera pénitence jusqu’à sa mort et restera sans espoir de mariage ». Sur le sujet, v. Werckmeister J. (éd. sc. et trad.), Décret de Gratien. Causes 27 à 36. Le mariage, 2011, Le Cerf, p. 595 et s., p. 577 et s.
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32.
Commis, en ligne directe, entre ascendants et descendants ; en ligne collatérale, entre le frère et la sœur.
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33.
CEDH, art. 8.
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34.
Souligné par nos soins.
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35.
Circ. de présentation de l’ord. n° 759-2005 du 4 juill. 2005 portant réforme de la filiation, CIV 2006-13 C1/30-06-2006, NOR : JUS C0620513 C, BO Justice n° 103 (1er juill. au 30 sept. 2006), 1re partie, I, 1, 1.3. Contra Fulchiron H., précit. ; Garé T., RJPF 2017, n° 11, p. 31, précit.
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36.
T. civ. Seine, 3 févr. 1948 : RTD civ. 1949, p. 70, obs. Lagarde G. ; JCP 1948, II 4616, obs. Desbois H.
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37.
CPC, art. 423 : En dehors des cas spécifiés par la loi, le ministère public, à titre de partie principale au procès, « peut agir pour la défense de l’ordre public à l’occasion des faits qui portent atteinte à celui-ci » ; circ. précit. note 35 : « Lorsque l’officier de l’état civil constate, par exemple lors de l’apposition de la mention en marge de l’acte de naissance de l’enfant, que la reconnaissance est contraire aux dispositions de l’article 310-2 du Code civil, il doit en aviser aussitôt le procureur de la République. Celui-ci doit alors engager une action aux fins d’annulation de la reconnaissance sur le fondement des dispositions de l’article 423 du nouveau Code de procédure civile, le lien de filiation ayant été établi en violation d’une disposition légale d’ordre public. [En cas de reconnaissance paternelle prénatale], lorsque l’officier de l’état civil ignorera cette reconnaissance ou le caractère incestueux de la filiation qui en résulte, l’inscription du nom de la mère aura pour effet d’établir le double lien de filiation malgré la prohibition légale. En cas de découverte de cette situation, le procureur de la République doit en être avisé afin d’engager l’action en annulation de la filiation maternelle. Celle-ci aura pour effet d’entraîner l’annulation de l’acte de naissance et l’établissement d’un nouvel acte, afin que le lien incestueux n’apparaisse pas ».
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38.
Art. 46 de la loi du 20 avril 1810 sur l’organisation de l’ordre judiciaire et l’administration de la justice. Sur les difficultés d’interprétation du texte : De Mari E., « Une grande querelle : le ministère public et l’ordre public selon la loi du 20 avril 1810 (art. 46, al. 2) », in Durant B. et a., Staatsanwaltschaft, Europäische und amerikanische Geschichten, 2005, Klostermann, p. 149.
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39.
Desbois H., obs. sous T. civ. Seine, 3 févr. 1948, JCP 1948, II 4616.
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40.
Juris-Data n° 2000-110223 ; RTD civ. 2000, p. 819, obs. Hauser J.
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41.
C. civ., art. 310-2.
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42.
Fenouillet D., « L’adoption de l’enfant incestueux par le demi-frère de sa mère, ou comment l’intérêt prétendu de l’enfant tient lieu de seule règle de droit », Dr. famille 2003, chron. 29.
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43.
Cass. 1re civ., 6 janv. 2004, n° 01-01600 : Dr. famille 2004, comm. 16, par Fenouillet D. ; v. égal. concl. de l’avocat général J. Sainte-Rose, D. 2004, p. 362.
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44.
Ord. n° 2005-759, 4 juill. 2005, portant réforme de la filiation, art. 4.
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45.
Granet-Lambrechts F., JCl. Civil Code, fasc. unique, art. 310-1 et 310-2, n° 34.
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46.
Or cas, mais faut-il seulement le préciser, où l’inceste caractériserait une autre infraction, tel le viol ou l’agression sexuelle, auquel cas il pourrait même constituer une circonstance aggravante lorsque l’auteur est un ascendant de la victime. On notera les surqualifications cosmétiques d’« inceste commis sur les mineurs » (C. pén., art. 222-31-1) et d’atteinte sexuelle sans violence, contrainte, menace ni surprise à caractère incestueux commise sur une personne mineure (C. pén., art. 227-27-2-1) créées par la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016. En vrai, il n’est guère aujourd’hui qu’une hypothèse d’autonomie pénale de la relation incestueuse, c’est-à-dire où le seul caractère incestueux du rapport sexuel est suffisant pour entrer en voie de condamnation, en l’occurrence l’atteinte sexuelle sans violence, contrainte, menace ni surprise sur un mineur âgé de plus de 15 ans commise par un ascendant (C. pén., art. 227-27).
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47.
« États-Unis : un père et sa fille arrêtés après leur mariage et la naissance de leur enfant », Le Parisien 4 févr. 2018 ; « Elle retrouve son père biologique et a un enfant avec lui : le couple incestueux est arrêté », L’Obs 6 févr. 2018. Tous les états américains n’incriminent pas l’inceste librement consenti entre personnes majeures ; mais c’est notamment le cas de la juridiction de l’État de Virginie, où en l’occurrence, le père et la fille entamèrent leur relation amoureuse.
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48.
Lévi-Strauss C., Les structures élémentaires de la parenté, 2017, EHESS, spéc. p. 29.
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49.
Ansermet F. et Giacobino A., « Un traumatisme dans l’origine : l’enfant issu de l’inceste », L’Autre 2015/2, vol. 16, spéc. p. 137. Sur des cas cliniques relatant les implications pathologiques de l’inceste chez l’enfant qui en est le fruit, v. Vlatkovic D., « L’enfant de l’inceste », Médecine et hygiène 1993, n° 51, p. 809 ; Nakov A. et Poussin G., « Le destin tragique de la bonne conscience », Neuropsychiatrie de l’enfance 1989, n° 37 (4), p. 167.
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50.
Sur les justifications à la règle d’interdiction d’établissement de la double filiation, v. Mayer D., « La pudeur du droit face à l’inceste », D. 1988, chron. p. 213 ; comp. « dans notre monde actuel de mobilité et de reconstruction quasi permanente des individus et des familles, il est assez aisé d’instaurer l’oubli ; il est évident que cette publicité n’aurait pas l’impact qu’elle aurait pu avoir dans une société rurale où l’on demeurait, sur plusieurs générations, au sein du même groupe, dans le même village. L’infamie peut rester inconnue d’un entourage urbain indifférent et changeant » : Guével D., « Taire les origines : la filiation incestueuse » in Bloch P. et Depadt-Sebag V. (dir.), L’identité génétique de la personne : entre transparence et opacité, 2007, Dalloz, p. 73, spéc. p. 87.
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51.
Breton A., « L’enfant incestueux », in Mélanges Ancel, t. 1, Pedone, p. 309 et s., spéc. p. 320.
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52.
« L’enfant conçu possède, dès sa conception, une identité propre qui appartient à un registre extra-biologique, qui suscite dès la période prénatale une importante activité de représentation chez autrui. En effet, un embryon conçu d’un viol ou d’un inceste n’est pas tout à fait un embryon comme les autres, même dans les cas les plus positifs. Nous pressentons que l’identité que le zygote a acquise au moment de sa conception ne se réduit guère au seul registre du biologique, mais comprend une détermination d’ordre extra-biologique, disons psychosocioculturelle. L’acquisition d’une telle identité, dès la conception, marque incontestablement l’avenir psychologique, sinon le développement psychologique même, de cet “embryon conçu d’un viol” ou de cet “embryon conçu d’un inceste” », in Bayle B., L’enfant à naître. Identité conceptionnelle et gestation psychique, 2005, érès, spéc. p. 116.
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53.
Pour un puissant plaidoyer en faveur de la disparition de la norme, v. Guével D., « Taire les origines : la filiation incestueuse » in Bloch P. et Depadt-Sebag V. (dir.), L’identité génétique de la personne : entre transparence et opacité, 2007, Dalloz, p. 84 et s.
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54.
Batteur A., « L’interdit de l’inceste. Principe fondateur du droit de la famille », RTD civ. 2000, p. 759, spéc. p. 770.
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55.
Rubellin-Devichi J., citée par Verdier P., « Les dérives de l’utilisation de la notion de l’intérêt de l’enfant », intervention au colloque « L’intérêt supérieur de l’enfant en question : leurre ou levier au service de ses droits ? », DEI-France, Ass. nat., 20 nov. 2010 ; disponible sur le site www.korczak.fr.
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56.
Cette solution était préconisée par Taulier lorsqu’il interprétait l’article 335 primitif du Code civil, lequel commandait que la reconnaissance d’un enfant naturel ne put « avoir lieu au profit des enfants nés d’un commerce incestueux ou adultérin ». Un problème subsistait en cas de reconnaissances séparées opérées par les parents, sans indication de l’identité de l’autre auteur (sur cette question liée à la version primitive du Code civil, v. Breton A., « L’enfant incestueux », in Mélanges Ancel, t. 1, Pedone, p. 316 et s.). Selon les mots de Taulier : « Je crois qu’il est plus rationnel de se déterminer par l’intérêt de l’enfant, et de valider celle des deux reconnaissances qui lui offre le plus d’avantages », in Taulier F., Théorie raisonnée du Code civil, t. 1, 1840, Prudhomme, spéc. p. 417.
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57.
Prenant à témoin le contrôle de proportionnalité mis en œuvre par la Cour de cassation au visa de l’article 8 de la Conv. EDH dans son arrêt du 4 déc. 2013 (n° 12-26066 : RTD civ. 2014, p. 88, obs. Hauser J.), contrôle ayant abouti à écarter l’annulation d’un mariage contracté par une femme avec son ex-beau-père de sorte à prévenir « une ingérence injustifiée dans l’exercice [du droit de l’épouse survivante] au respect de sa vie privée et familiale », Annick Batteur estime : « Cela explique l’orientation de l’arrêt de la cour d’appel de Caen : il lui est apparu impossible d’admettre qu’une femme déclarée mère à la naissance et ayant élevé son enfant puisse subir l’annulation du lien de filiation qui l’unit à cet enfant, et que l’enfant soit privé de mère. La cour d’appel a eu raison. Il est probable que si la Cour européenne était saisie de l’affaire, l’annulation du lien de filiation maternelle serait jugée non conforme à l’intérêt de l’enfant. Sur ce point, on ne peut reprocher aux juges leur position très prudente », in A. Batteur, Batteur A., « L’enfant né d’un inceste entre frère et sœur : nouvel exemple d’un conflit de filiation insoluble », D. 2017, p. 2107, spéc. n° 4 ; comp., Fulchiron H., précit., spéc. p. 26, pour qui la Cour européenne des droits de l’Homme « a montré [dans son arrêt du 12 avr. 2012, Stübing c/ Allemagne, statuant sur la conventionnalité de l’incrimination de relations incestueuses en Allemagne] qu’elle savait être attentive aux valeurs défendues par les États ».
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58.
« Il n’est pas toujours dans l’intérêt de l’enfant que sa filiation soit bilinéaire (viol, relations conflictuelles…). Mais dans certaines hypothèses, notamment quand ses deux auteurs participent à son éducation, la prohibition peut lui être défavorable. En outre, on ne peut ignorer les avantages patrimoniaux découlant du double établissement de sa filiation », in Perrin S., « La filiation de l’enfant issu d’un inceste absolu : vers la fin d’une discrimination ? », Dr. famille 2010, n° 6, étude 16, n° 11.
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59.
Pour des propositions de solutions pratiques allant dans ce sens, et ménageant à la fois l’intérêt de l’enfant incestueux et de ses parents, v. par ex. Guével D., « Des enfant moins égaux que les autres », D. 2018, p. 65.
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60.
Expression de Dominique Fenouillet qui, dans son commentaire de la décision du 6 janvier 2004 (Dr. famille 2004, comm. 16, spéc. p. 20), félicite « la Cour de cassation d’avoir refusé de se laisser prendre au piège de l’intérêt particulier de l’enfant ».
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61.
V. déjà respectivement sur la question de l’intérêt de l’enfant issu d’une GPA contractée à l’étranger et d’une PMA entre couples de même sexe réalisée à l’étranger : CEDH, 26 juin 2014, n° 65192/11, Mennesson c/ France et n° 65941/11, Labassée c/ France, spéc. § 100 et § 79 (Dr. famille 2014, comm. 128, p. 28, note Neirinck C.) et Cass., avis, 22 sept. 2014, nos 15010 et 15011 (notre commentaire : LPA 5 août 2015, p. 4).
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62.
Foucault M., Naissance de la biopolitique. Cours au collège de France 1978-1979, 2004, Gallimard, not. p. 46 : « La raison gouvernementale, dans sa forme moderne, dans celle qui s’établit au début du XVIIIe s., cette raison gouvernementale qui a pour caractéristique fondamentale la recherche de son principe d’autolimitation, est une raison qui fonctionne à l’intérêt. Mais cet intérêt, ce n’est plus bien sûr celui de l’État entièrement référé à lui-même et qui ne cherche que sa croissance, sa richesse, sa population, sa puissance, comme c’était le cas dans la raison d’État. L’intérêt maintenant au principe duquel la raison gouvernementale doit obéir, ce sont des intérêts, c’est un jeu complexe entre les intérêts individuels et collectifs, l’utilité sociale et le profit économique, entre l’équilibre du marché et le régime de la puissance publique, c’est un jeu complexe entre droits fondamentaux et indépendance des gouvernés. Le gouvernement, en tout cas le gouvernement dans cette nouvelle raison gouvernementale, c’est quelque chose qui manipule des intérêts ».
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63.
Legendre P., L’inestimable objet de la transmission, 2004, Fayard, spéc. p. 249 et s. ; sur le caractère axiomatique de l’interdit, y compris en cas d’ignorance des liens de parenté au moment de la consommation de l’acte sexuel, v. p. 69 et s., not. p. 77. Adde Lévi-Strauss C., Les structures élémentaires de la parenté, 2017, EHESS, spéc. p. 37 : « Le fait de la règle, envisagé de façon entièrement indépendante de ses modalités, constitue, en effet, l’essence même de la prohibition de l’inceste. Car si la nature abandonne l’alliance au hasard et à l’arbitraire, il est impossible à la culture de ne pas introduire un ordre, de quelque nature qu’il soit, là où il n’en existe pas. Le rôle primordial de la culture est d’assurer l’existence d’un groupe comme groupe ; et donc de substituer, dans ce domaine comme dans tous les autres, l’organisation au hasard. La prohibition de l’inceste constitue une certaine forme – et même des formes très diverses – d’intervention. Mais avant tout autre chose elle est intervention ; plus exactement encore, elle est : l’Intervention ».