Chefs d’entreprise mariés sous la PAA : « coup d’arrêt » sur la clause d’exclusion des biens professionnels

Une décision du 18 décembre 2019, portant cassation partielle d’un arrêt de la cour d’appel de Chambéry du 10 septembre 2018, illustre, avec une particulière vigueur, la nécessité d’adapter les conventions des époux, au fil du temps.

Cass. 1re civ., 18 déc. 2019, no 18-26337

Ce qui pouvait paraître pertinent à un certain moment peut ne plus l’être plus tard.

Il en va précisément ainsi des stipulations adoptées par de nombreux époux mariés sous un régime de participation aux acquêts (PAA), pour éviter que leurs biens professionnels n’entrent dans le calcul de l’enrichissement net de chacun, en cas de divorce. Quoique parfaitement licites, au regard de leur validité, ces « clauses d’exclusion des biens professionnels en cas de divorce » viennent d’être condamnées à une totale inefficacité, par l’arrêt du 18 décembre 2019 rapporté.

Analyse (I), et perspectives, ou propositions de réadaptation des contrats en cours (II).

I – Analyse de l’arrêt, et enseignements à tirer

A – Analyse de l’arrêt

1. Engouement des dirigeants d’entreprise pour la PAA. La participation aux acquêts offre, sur le papier, un cadre matrimonial idéal, puisqu’elle permet de conjuguer liberté, ou indépendance, d’une part, et égalité des époux, d’autre part.

Cette combinaison séduisante a conduit à faire de la PAA le régime favori de nombreux chefs et dirigeants d’entreprise, en particulier parmi les professionnels de santé. Ce régime connaît du reste un nouvel essor, puisqu’il a été récemment consacré par le législateur belge1 et qu’il constitue par ailleurs le premier régime matrimonial optionnel commun à deux États de l’UE : l’Allemagne et la France2.

Schématiquement, le fonctionnement d’une participation aux acquêts est le suivant :

  • pendant son cours, le régime est purement séparatiste, chaque époux conservant une parfaite indépendance dans la gestion de ses biens ;

  • ce n’est qu’au moment de sa liquidation, en fin d’union, que le régime révèle sa dimension répartitrice ou « redistributrice ». Celui des deux époux qui s’est le plus enrichi pendant le cours du mariage est en effet tenu de verser à son conjoint, une créance de participation correspondant à la moitié de la différence entre les enrichissements nets respectifs.

2. Objet de la « clause d’exclusion ». Techniquement, le calcul d’une créance de participation suppose :

  • 1°) d’évaluer d’abord l’enrichissement net de chacun, par différence entre ce qu’il possède à la date de dissolution du régime (c’est le « patrimoine final ») et ce qu’il possédait à la date de son entrée en application (c’est le « patrimoine originaire ») ;

  • 2°) de comparer ensuite les enrichissements nets respectifs, et d’allouer au « moins fortuné des époux » une somme correspondant à la moitié de la différence.

En pratique, la plupart des époux désireux d’adopter ce régime jugent néanmoins inopportun de tenir compte, dans ce calcul, de l’enrichissement lié à l’exercice d’une activité entrepreneuriale ou professionnelle. Même créée pendant le cours du mariage, l’entreprise doit pouvoir être conservée par son fondateur, ou par celui qui y exerce son activité principale, quelle qu’en soit la valeur, au moment du divorce.

La « clause d’exclusion des biens professionnels » vise à répondre à cette préoccupation. Elle tend à éviter par ailleurs qu’un contentieux ne se noue autour de la détermination des améliorations réalisées, en cours de régime, notamment au moyen de fonds « acquêts ». Cette question cruciale devra, après l’arrêt du 18 décembre dernier, être tranchée par la cour d’appel de renvoi.

3. Faits de l’espèce. Dans l’espèce rapportée, M. M. était directeur d’un laboratoire d’analyses médicales, et Mme E., pharmacienne. Entendant « rester maîtres chacun de la gestion de leur outil de travail et de son développement futur, tout en permettant à l’autre de profiter pendant le mariage des revenus tirés de l’activité (…) »3, les parties s’étaient mariées sous le régime de la participation aux acquêts, en précisant dans leur convention matrimoniale, dressée avant la célébration de leur union, que « les biens affectés à l’exercice effectif de la profession des futurs époux lors de la dissolution, ainsi que les dettes relatives à ces biens, ser[aie]nt exclus de la liquidation ».

Ajoutons à cette contextualisation que chaque époux était déjà propriétaire de son fonds libéral ou commercial au moment du mariage, ainsi qu’un autre aspect de l’affaire le laisse apparaître4.

Pendant le cours du mariage, le laboratoire de M. M. enregistra une moins-value, cependant que la valeur de la pharmacie de Mme E. s’accrut. L’époux avait dès lors tout intérêt à ce que les biens professionnels fussent intégralement pris en compte pour déterminer les enrichissements nets de chacun.

Pour parvenir à une telle prise en compte, il « s’attaqua » à la clause d’exclusion, non pas en en contestant la validité, mais en « convoquant » l’article 265, alinéa 2, du Code civil.

4. La « clause d’exclusion » à l’épreuve du divorce. Dans sa rédaction issue de la loi du 26 mai 2004, applicable aux instances introduites depuis le 1er janvier 2005, ce texte énonce que « le divorce emporte révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial ou au décès d’un époux (…), sauf volonté contraire de l’époux qui les a consentis ».

Réserve est toutefois faite d’une éventuelle « volonté contraire de l’époux qui les a consentis », appelée à être « constatée dans la convention signée par les époux et contresignée par les avocats, ou par le juge, au moment du prononcé du divorce (…) »5.

S’avisant de l’intérêt que ces dispositions légales pouvaient présenter pour lui, M. M. s’employa à démontrer que la clause d’exclusion des biens professionnels s’en trouvait justiciable, et qu’elle devait corrélativement être tenue pour révoquée de plein droit.

5. Question posée à la Cour. Pour parvenir à ses fins, l’époux fit plaider que la clause d’exclusion faisait naître un avantage matrimonial en faveur de son épouse, puisqu’elle minorait le montant de sa dette de participation, en comparaison de ce à quoi elle serait tenue si l’on tenait compte de la plus-value de la pharmacie.

Le juge d’appel rejeta l’argumentaire, estimant notamment que la notion d’avantage matrimonial est « attachée au régime de communauté », de sorte que l’article 265, alinéa 2, ne pouvait trouver à s’appliquer en la cause.

Saisie d’un pourvoi, la haute juridiction se voit donc chargée de déterminer si la stipulation querellée s’analyse en un avantage matrimonial.

6. Réponse de la Cour. Censurant sur ce point précis l’arrêt d’appel, la première chambre civile répond par l’affirmative, au motif que l’exclusion « condui[sai]t à avantager celui [des époux] ayant vu ses actifs nets professionnels croître de manière plus importante, en diminuant la valeur de ses acquêts dans une proportion supérieure à celle de son conjoint ».

B – Enseignements à tirer

7. Triple enseignement. Trois enseignements peuvent être tirés de cette importante décision :

– les deux premiers découlent logiquement de la réponse apportée à la question directement soulevée en l’espèce ;

– le troisième, d’une précision qui, contenue dans les motifs de l’arrêt, tranche une question qui ne se posait en réalité pas au cas particulier.

  • Premier enseignement : les avantages matrimoniaux ne seraient pas indissociablement liés à l’existence d’un régime communautaire.

    Dans le prolongement d’une précédente décision, du 29 novembre 20176, s’évince désormais l’idée :

    • 1°/ qu’un régime non communautaire peut être vecteur d’un avantage matrimonial ;

    • 2°/ et que celui-ci se mesure, non pas systématiquement à l’aune du régime de communauté légale, mais par référence au régime type dont relève la convention des époux.

    C’est en tout cas la surprenante conclusion qui s’impose à l’examen de la solution retenue.

    Cette approche singulière conduit la Cour à qualifier d’avantage matrimonial un dispositif destiné à conférer une coloration plus « séparatiste » aux rapports des époux7 !

  • Deuxième enseignement : destinée à déployer ses effets au moment du divorce, la « clause d’exclusion », tenue pour génératrice d’un avantage matrimonial, tombe sous le coup de la révocation légale de plein droit de l’article 265, alinéa 2, du Code civil.

    La clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation, destinée à protéger le dirigeant d’entreprise en cas de divorce, ne peut donc pas jouer son rôle.

  • Troisième enseignement : selon la Cour de cassation, l’époux qui souhaiterait maintenir l’avantage matrimonial « liquidatif » ne peut prendre sa décision qu’au moment du divorce.

    De l’article 265, alinéa 2, dont certains extraits sont ci-dessus reproduits8, il résulte que les avantages matrimoniaux ne prenant effet qu’à la dissolution du mariage peuvent être maintenus si l’époux les ayant consentis le désire. Le texte précise que sa volonté doit être « constatée » au moment du divorce. Il restait à déterminer cependant si ce « constat » pouvait concerner un accord préexistant, conclu par exemple aux termes mêmes d’un contrat de mariage9.

    La précision que la Cour de cassation livre dans ses motifs, alors même que la question ne se posait pas dans l’espèce particulière dont elle était saisie, appelle une réponse négative. En leurs motifs, les hauts magistrats font en effet état d’une volonté de maintien « exprimée » au moment du divorce.

    Écartée, donc, la « thèse » selon laquelle les époux pourraient s’accorder à ce propos, dès la conclusion de leur contrat de mariage, en « constatant » ou en « faisant constater », par la suite, leur volonté initiale de maintenir l’avantage matrimonial…

8. Transition. C’est à la lumière de ces considérations théoriques que les réajustements auxquels ce récent arrêt impose de procéder devront, en pratique, être envisagés.

II – Perspectives : réadaptation des contrats en cours

9. Devoir d’information. En pratique, il apparaît avant toute chose absolument impérieux de vérifier les contrats « participatifs » de nos principaux clients, et d’attirer spécialement leur attention sur le fait que l’arrêt sous examen prive les éventuelles clauses d’exclusion des biens professionnels de leur efficacité.

De façon très concrète, on ciblera les catégories socio-professionnelles les plus enclines à avoir adopté ce type de régime : professions libérales et médicales, telles que médecins, pharmaciens et directeurs de laboratoires, notamment.

Cette information délivrée, deux « remèdes » pourront être proposés, en fonction du diagnostic, deux situations différentes devant être nettement distinguées :

  • premier cas, l’entreprise préexiste au mariage (A) ;

  • second cas, l’entreprise a été créée pendant le cours du mariage (B).

A – Le cas de l’entreprise créée avant le mariage

10. Les éventuels « changements d’état ». Le cas est ici moins préoccupant. Dès lors que l’entreprise préexiste à l’adoption du « régime participatif », elle doit être inscrite à la fois au patrimoine final et à l’actif du patrimoine originaire, d’après sa valeur à la date de la liquidation (C. civ., art. 1571 et C. civ., art. 1572).

La prise en compte de l’entreprise reçue par donation ou succession, ou encore créée avant mariage, devrait donc être le plus souvent économiquement neutre, et ce, que le contrat de mariage soit ou non assorti d’une « clause d’exclusion des biens professionnels ».

Reste l’hypothèse d’une modification de l’état du bien, pendant le cours du mariage. L’article 1571 prescrit de tenir compte de la valeur des biens « originaires », « d’après leur état au jour du mariage ou de leur acquisition ». Cette règle vise à ce que les améliorations réalisées en cours de régime soient incluses dans le calcul de l’enrichissement net. Du moins doit-il en aller ainsi lorsque les fonds utilisés pour financer ces « changements d’état » sont de ceux qui, par nature, auraient pu permettre de réaliser des acquêts.

11. Preuve des améliorations. Dans l’espèce jugée le 18 décembre dernier, la première chambre civile fait grief à la cour de Chambéry d’avoir « ordonné (…) l’exclusion [des] biens professionnels du calcul des patrimoines originaires et finaux (…) ».

La référence au patrimoine originaire suggère que les biens en cause préexistaient au mariage – les biens acquis en cours de régime ne figurant en effet que dans le patrimoine final.

Rien ne dit par conséquent que la cassation obtenue par l’époux ne se transformera pas pour lui en une « victoire à la Pyrrhus ».

Après avoir obtenu la prise en compte « théorique » des biens professionnels, il lui faudra démontrer en effet, devant la cour d’appel de renvoi, que la pharmacie de son ex-épouse doit être portée au patrimoine originaire, pour une valeur moindre que celle figurant au patrimoine final. À défaut, la démarche judiciaire poursuivie jusqu’alors se réduirait à un « coup d’épée dans l’eau »…

En d’autres termes, pour obtenir une partie de la plus-value dont la pharmacie s’est accrue, il lui reviendra d’établir, en en rapportant la preuve, que ce fonds a fait l’objet d’améliorations financées au moyen de fonds « acquêts », pendant le cours du régime.

12. Anticipation des problèmes probatoires ainsi posés. En pratique, à défaut de pouvoir prévoir efficacement, par contrat de mariage, que les biens professionnels seront exclus du calcul de la créance de participation en cas de dissolution par divorce, l’on pourrait songer à rendre plus ardue la tâche de l’époux souhaitant se prévaloir d’un « changement d’état » financé au moyen de deniers « communs ».

À cet effet, la clause suivante pourrait être employée :

L’adjonction de semblables stipulations sera souvent bienvenue puisque la présence de « clauses d’exclusion » aura pu conduire en pratique le rédacteur du contrat initial à « escamoter » la question de la preuve du changement d’état.

Il s’agit en somme d’apporter une amorce de réponse à un problème probatoire auquel la récente décision de la Cour de cassation expose inévitablement les époux…

13. Transition. Il convient plus largement de s’assurer a minima, notamment par le truchement de présomptions conventionnelles, que le droit à participation n’excédera en aucun cas ce dont un époux marié sous le régime légal pourrait être redevable, à titre de récompense due à la communauté, à la suite d’une amélioration de ses biens propres.

Plus délicate apparaît en revanche la seconde hypothèse, où les époux ont tout simplement entendu permettre à celui d’entre eux qui exploite un bien acquis ou créé pendant le mariage, de le conserver sans jamais avoir à bourse délier…

B – Le cas de l’entreprise créée pendant le mariage

14. Rôle assigné à la clause d’exclusion à l’égard des biens « acquêts ». À l’égard des biens créés ou acquis pendant le cours du mariage, la « clause d’exclusion » formerait l’équivalent, propre au régime de PAA, d’une faculté de prélèvement de biens communs sans indemnité, spécialement prévue pour cause de divorce. Doctrine et pratique se sont déjà interrogées sur l’efficacité de stipulations qui, en régime communautaire, réaliseraient une sorte de clause de préciput appelée à s’exercer, non pas en cas de décès, mais en cas de divorce10.

Parce qu’elle octroie un avantage matrimonial qui ne prend effet qu’à la dissolution du régime, une telle faculté de prélèvement de biens communs se trouve exposée à la caducité légale de plein droit fulminée par l’article 265, alinéa 2, précité11.

La Cour de cassation vient de confirmer le pressentiment de ces auteurs, et illustre que tout dispositif destiné à permettre à un époux de soustraire une valeur ou un bien de la « masse » des « acquêts » relève, fort logiquement, du régime de l’article 265, alinéa 2, du Code civil.

15. « Remède ». Ainsi, lorsque la « clause d’exclusion » a vocation à s’appliquer à des biens acquis ou créés en cours de régime, le traitement préconisé est nécessairement plus lourd.

Il ne peut consister en réalité qu’en un abandon du régime participatif, en faveur d’une séparation pure et simple de biens, ou d’une séparation de biens assortie d’une société d’acquêts, dont tous les biens professionnels seraient expressément exclus.

Ce faisant, l’arrêt rapporté condamne les époux à une alternative rigoureuse :

  • soit faire prévaloir la logique participative ayant présidé à leurs choix initiaux, et conserver la PAA, en acceptant le risque que le régime se révèle, à l’usage, finalement plus redistributif qu’une communauté légale, à défaut de prise en compte exhaustive des deniers « propres » ayant pu être investis dans les biens acquêts, à l’actif du patrimoine originaire ;

  • soit abandonner la PAA, si les époux entendent réduire ou limiter le droit à participation.

La singularité de la solution retenue le 18 décembre 2019 tient dans cette injonction binaire. À suivre la position des hauts magistrats, les dispositions légales des articles 1569 à 1581 instaureraient une sorte de « participation minimale », en deçà de laquelle les époux se voient implicitement tenus de « basculer en séparation ».

Là gisent, à notre avis, les limites, tant conceptuelles que pratiques, d’une approche « relativiste » de la notion d’avantage matrimonial. Comment, en effet, concevoir qu’un dispositif d’inspiration séparatiste, ou « tendant à opérer un rapprochement avec la séparation pure et simple de biens »12, puisse être vecteur d’un avantage matrimonial ?

Quoi qu’il en soit, en attendant que la Cour de cassation « revienne à la raison », un réexamen des actuels contrats de participation aux acquêts s’impose !

Notes de bas de pages