Exclusion du rapport successoral de la donation-partage et de la donation incorporée
La donation-partage et la donation consentie en avance de part successorale qui y est incorporée ne sont pas rapportables à la succession de l’ascendant-donateur.
Cass. 1re civ., 4 juill. 2018, no 16-15915
La réalisation d’une donation-partage entre ses enfants n’empêche pas toutes les querelles à l’ouverture de sa succession ; c’est ce qu’illustre l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 4 juillet 2018.
Pourtant, les ascendants avaient en l’espèce réalisé une donation-partage entre leurs deux fils avec la volonté d’égaliser leurs lots. Cependant, ils y avaient incorporé une donation antérieurement consentie par la mère à l’un d’eux qui portait sur une somme d’argent, employée peu de temps après par le donataire à l’acquisition d’un appartement. Désireux de prendre en compte cet emploi, les ascendants-donataires lui avaient imposé un rapport d’un montant proportionnel à la contribution de la somme donnée dans l’acquisition du bien en fonction de sa valeur au jour de la donation-partage. Mais au décès de leur mère, un conflit opposa les deux frères sur le rapport de la donation en question. Dans un arrêt du 2 mars 2016, la cour d’appel d’Aix-en-Provence considéra que la libéralité devait être rapportée à sa succession en prenant en compte la valeur du bien acquis au jour du partage successoral et ordonna une expertise afin d’en fixer la valeur au jour le plus proche du partage.
Le problème soulevé concerne le régime juridique de la donation-partage et pose plus particulièrement la question du rapport d’une donation en avance de part successorale incorporée dans une donation-partage.
Au visa de l’article 843 du Code civil, la première chambre civile de la Cour de cassation y répond par la négative et casse sans renvoi la décision des juges du second degré. Elle énonce dans un premier temps que les biens qui ont fait l’objet d’une donation-partage ne sont pas soumis au rapport qui n’est qu’une opération préliminaire au partage en ce qu’il tend à constituer la masse partageable ; puis que ces dispositions s’appliquent aussi à ceux, qui, donnés en avancement d’hoirie, sont ensuite inclus dans une donation-partage postérieure.
Cette solution présente le double intérêt de mettre en évidence l’antinomie du rapport des libéralités et de la donation-partage, justifiant ainsi son exclusion du rapport, et de préciser l’incidence de l’incorporation d’une donation antérieure dans la donation-partage, excluant également son rapport à la succession de l’ascendant-donateur.
I – Antinomie du rapport des libéralités et de la donation-partage
L’absence de rapport à la succession de la donation-partage est justifiée par les natures antinomiques du rapport des libéralités et de la donation-partage, le premier constituant une opération préliminaire au partage successoral et la seconde réalisant déjà un partage anticipé de la succession.
A – Le rapport des libéralités, une opération préliminaire au partage successoral
Le rapport des libéralités est une opération par laquelle un héritier, qui vient effectivement au partage successoral et qui a été personnellement gratifié par le défunt, rapporte à la masse à partager la libéralité qu’il a reçue de ce dernier en avance de part successorale. Il permet ainsi de préserver l’égalité du partage successoral entre les héritiers qui n’ont encore rien reçu du défunt et ceux qui ont déjà été gratifiés de biens en avance sur leur part de succession. Il intervient par conséquent après le décès du disposant1, lors de la liquidation de sa succession et, entrant dans la composition de la masse successorale à partager, il a nécessairement lieu avant le partage proprement dit.
La qualification d’opération préliminaire au partage affirmée par la Cour de cassation dans l’arrêt du 4 juillet 2018 ne surprend donc pas. Rendue au visa de l’article 843 du Code civil, qui introduit la section sur le rapport des libéralités dans le partage successoral, la solution n’est pas contestable. La première chambre civile de la Cour de cassation avait d’ailleurs déjà retenu la même qualification en 19972.
En l’espèce, les juges du fond considéraient que le fils qui avait bénéficié en premier lieu d’une donation ordinaire en devait le rapport à la masse successorale à partager lors de la liquidation de la succession de la donatrice. Gratifié en avance de part successorale alors qu’il avait la qualité d’héritier présomptif au jour de la donation en tant que descendant du premier degré du disposant, il venait au partage de sa succession en concours avec son frère, créancier potentiel du rapport, et semblait par conséquent débiteur du rapport successoral.
Cependant, ce raisonnement ne prenait pas en compte le fait que cette donation avait été incorporée dans la donation-partage que les parents avaient réalisée quelques années après et qu’un partage des biens avait dès lors déjà eu lieu.
B – La donation-partage, un partage anticipé de la succession
La donation-partage est une convention par laquelle une personne donne et partage tout ou partie de ses biens présents entre ses héritiers. Elle réalise à la fois une donation entre vifs et un partage anticipé, total ou partiel, de succession. À la différence d’une donation ordinaire, sa nature est double car la volonté du disposant est déjà d’organiser avant son décès la répartition de ses biens3. Elle produit ainsi les effets d’un partage entre les gratifiés tant du vivant du disposant qu’à son décès.
En l’espèce, les fils gratifiés ayant accepté la succession de l’ascendant-donateur, la donation-partage valait déjà partage à leur égard. Ainsi, non seulement les biens composants leurs lots ne figuraient plus parmi ceux laissés par le défunt à son décès, mais ils ne devaient pas non plus être rapportés dans la masse successorale à partager au titre du rapport des libéralités.
L’absence de rapport de la donation-partage, affirmée par la Cour de cassation dans l’arrêt du 4 juillet 2018, est conforme à sa nature ; ayant déjà opéré un partage anticipé, distinct de celui qui peut avoir lieu au décès de l’ascendant-donateur, elle n’est pas à prendre en compte lors de la liquidation de sa succession dans le cadre des opérations préalables au partage successoral. C’est précisément l’un des intérêts de cette libéralité, fréquemment utilisée pour fixer la transmission des biens à sa date4 et éviter l’application des règles des donations entre vifs lors du règlement de la succession du disposant. Même si cette solution n’est pas expressément énoncée dans une disposition du Code civil, elle est unanimement admise et la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de se prononcer en ce sens5.
Toute clause contraire serait par conséquent réputée non écrite6 ou entraînerait une requalification de l’acte en donations ordinaires7, même si la Cour de cassation ne se prononce pas ici sur la sanction d’une clause de rapport dans la donation-partage. En l’espèce, aucun des donataires-copartagés ne devait le rapport des biens mis dans son lot, alors qu’ils en auraient été a priori débiteurs si l’acte avait été requalifié en donations ordinaires.
Cependant, l’intérêt de l’arrêt commenté porte aussi sur le régime de la donation incorporée dans la donation-partage.
II – Incidence de l’incorporation d’une donation antérieure dans la donation-partage
L’incorporation de la donation consentie en avance de part de succession dans la donation-partage justifie son absence de rapport successoral mais maintient son caractère d’avancement de part successorale.
A – L’absence de rapport successoral de la donation incorporée
L’incorporation de donations antérieures dans la donation-partage, expressément permise par l’article 1078 du Code civil, est fréquente. Elle participe de la grande liberté aujourd’hui laissée au disposant dans la composition des lots de la donation-partage. D’une part, il n’est pas tenu d’observer l’égalité des lots en nature ou en valeur mais doit seulement respecter la réserve héréditaire8 ; d’autre part, il peut allotir certains héritiers avec des biens qu’il leur avait déjà donnés s’ils l’acceptent9, ou même se contenter de regrouper des donations antérieures sans en faire de nouvelle10. Ces combinaisons sont en outre envisageables quel que soit le caractère des donations antérieures, les parties pouvant même convenir qu’une donation faite hors part successorale soit incorporée dans la donation-partage à titre d’avancement de part11.
En l’espèce, les ascendants-donateurs avaient usé de l’une de ces facultés en formant un lot de la donation déjà reçue par l’un de leurs fils de la mère quelques années auparavant. Toutefois, au décès de la donatrice, la cour d’appel entendait lui appliquer les règles du rapport des libéralités. Considérant que l’estimation du bien à la date de la donation-partage était trop ancienne, elle avait ordonné une expertise pour l’estimer au jour le plus proche du partage de la succession. Les juges du fond se fondent expressément sur les articles 860 et 860-1 du Code civil pour justifier la valorisation de la donation et appliquer la règle selon laquelle lorsqu’une donation de somme d’argent a servi à acquérir un bien, le rapport est dû de la valeur de celui-ci à l’époque du partage, d’après son état au jour de l’acquisition, au prorata du montant de la donation par rapport au prix d’acquisition du bien. Cependant, en raisonnant ainsi, ils faisaient abstraction du fait que le fils gratifié n’était plus simple donataire mais était devenu donataire-copartagé.
La cassation de leur décision ne surprend pas ; le rejet de tout rapport successoral constitue la suite logique de l’incorporation de la donation dans le partage réalisé par la libéralité-partage. Néanmoins, aucune disposition du Code civil ne l’énonçant expressément, l’arrêt commenté présente l’avantage de l’affirmer clairement et de mettre en évidence l’unité de régime de la donation-partage et de la donation incorporée.
Cette unité est d’ailleurs imposée par la loi s’agissant de la date d’évaluation à retenir lors de la liquidation de la succession du disposant pour le calcul de la quotité disponible et de la réserve12. La même date doit s’appliquer à toute la donation-partage, y compris aux donations antérieurement faites qui y ont été incorporées13. Les biens compris dans la donation-partage étant en principe évalués à sa date, par dérogation au droit commun des donations entre vifs14, il n’est donc plus possible de se prévaloir d’une date différente pour la donation incorporée, toute stipulation contraire étant réputée non écrite. De ces solutions, il est traditionnellement déduit que dès lors qu’une donation antérieure forme le lot d’un donataire-copartagé, elle est soumise au régime de la donation-partage. Cette conséquence représente souvent le but recherché et participe de l’intérêt de l’incorporation, sans préjudicier pour autant aux autres donataires-copartagés, qui échappent également au rapport de leurs lots.
Néanmoins, l’exclusion du rapport aboutit à ce que chacun profite ou pâtisse seul des plus ou moins-values des biens compris dans son lot, quelle qu’en soit l’origine. Or, en l’espèce, le problème venait précisément du fait que la donation portait initialement sur une somme d’argent ayant permis l’acquisition d’un bien qui bénéficiait d’une importante plus-value. C’est d’ailleurs pour prendre en compte cet emploi que les ascendants-donataires, désireux d’assurer une égalité entre leurs descendants, avaient imposé à leur fils de rapporter une somme proportionnelle à la contribution de la donation initiale à l’acquisition du bien, calculée d’après sa valeur au jour de la libéralité-partage.
Néanmoins, l’absence de rapport de la donation incorporée ne permet pas au fils gratifié de la recevoir hors part successorale.
B – Le maintien du caractère de la donation incorporée
La donation-partage présente la particularité de ne pas être rapportable à la succession de l’ascendant-donateur tout en étant présumée consentie en avance de part successorale et, à défaut de clause contraire, il en va de même de la donation incorporée. Or, ce caractère est déterminant lors de la liquidation de la succession pour fixer le secteur d’imputation de la libéralité15. Les lots reçus par donation-partage en avance de part successorale par des héritiers réservataires venant effectivement à la succession s’imputent principalement sur leur réserve et subsidiairement sur la quotité disponible. Cette solution présente l’avantage de renforcer la donation-partage dans son ensemble, ainsi moins sujette à réduction16.
En l’espèce, l’incorporation de la donation, présumée faite en avance de part successorale à défaut de stipulation contraire, n’impacte pas son secteur d’imputation, le lot du fils gratifié s’imputant principalement sur sa réserve pour le montant stipulé au jour de la donation-partage. Les deux enfants allotis semblent avoir reçu leur part de réserve et il n’est pas question ici de réduction de la donation-partage. Pour autant, l’incorporation de la libéralité antérieure n’a pas permis d’assurer l’égalité successorale que les ascendants-donateurs voulaient respecter entre leurs fils ; seul le donataire initial de la somme d’argent employée à l’acquisition d’un appartement bénéficie de sa plus-value au jour du partage de la succession de leur mère, alors qu’il en aurait été a priori débiteur au titre du rapport des libéralités si sa donation n’avait pas été incorporée dans la donation-partage.
L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 4 juillet 2018 attire ainsi l’attention sur la nécessité de prendre en compte l’unité du régime juridique de la donation-partage et de la donation incorporée dans l’anticipation du règlement de la succession.
Notes de bas de pages
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1.
C. civ., art. 850.
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2.
Cass. 1re civ., 16 juill. 1997, n° 95-13316 : Bull. civ. I, n° 252 ; D. 1997, p. 370, note Grimaldi M.
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3.
V. nota. Nicod M., « La fonction de partage de la libéralité-partage », Defrénois 15 avr. 2014, n° 115s6, p. 348.
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4.
V. nota, Picard J., « Anticiper la liquidation de la succession : entre régime primaire successoral et aménagement contractuel », LPA 3 juill. 2018, n° 136y2, p. 5 ; Gaudemet S. et Semere T., « L’incorporation des donations antérieures », Defrénois 15 avr. 2014, n° 115t7, p. 366.
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5.
Cass. civ., 7 mars 1876 : DP 1876, 1, jur. p. 310.
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6.
V. nota. Grimaldi M., préc.
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7.
Cass. civ., 7 mars 1876 : DP 1876, 1, jur. p. 310.
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8.
Ou la part héréditaire de l’héritier présomptif omis dans la donation-partage car non conçu à son époque : C. civ., art. 1077-2.
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9.
C. civ., art. 1078-1.
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10.
C. civ., art. 1078-3.
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11.
C. civ., art. 1078-2.
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12.
C. civ., art. 1078.
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13.
C. civ., art. 1078-1, al. 2.
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14.
C. civ., art. 922.
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15.
C. civ., art. 1077.
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16.
C. civ., art. 1077-1.