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Droit à la vie privée et familiale et action en établissement de la filiation d’un adopté

Publié le 08/06/2021
Famille en papier dans le creux des mainss
sewcream / AdobeStock

La Cour de cassation exerce un contrôle de proportionnalité de l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée lorsque l’action en établissement de la filiation paternelle formée par une personne adoptée est irrecevable.

La Cour de cassation se penche sur l’articulation entre le droit au respect de la vie privée et le droit de connaître et faire reconnaître son ascendance – plus particulièrement le droit à la reconnaissance juridique de sa filiation – dans le cadre d’une action en établissement de sa filiation paternelle par une personne adoptée (Cass. 1re civ., 14 oct. 2020,  n° 19-15783). Dans cette affaire, la Cour de cassation a jugé que l’irrecevabilité d’une telle action ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de la personne adoptée.

Le droit à la reconnaissance juridique de sa filiation

Pour la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (convention EDH) qui englobe tous les aspects importants de l’identité d’une personne, s’applique notamment aux personnes adoptées à la recherche de leurs origines. Pour le juge communautaire, tout requérant a un intérêt primordial à recevoir tout renseignement qui lui est nécessaire pour connaître et comprendre son enfance. Les personnes qui cherchent à établir leur ascendance ont un intérêt vital, protégé par la Convention EDH, à obtenir des informations qui leur sont indispensables pour découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle (CEDH, 25 sept. 2012, Godelli c/ Italie, n° 33783/09 ; CEDH, 16 juin 2011, Pascaud c/ France, n° 19535/08). Le droit au respect de la vie privée et familiale comprend le droit de connaître son ascendance et le droit à la reconnaissance juridique de sa filiation (CEDH, 26 juin 2014, Mennesson c/ France, n° 65192/11). L’impossibilité de faire prévaloir la réalité biologique sur une présomption légale de paternité porte atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, précise le juge communautaire, manifestant ainsi son intérêt pour le respect de la filiation biologique (CEDH, 26 juin 2014, Mennesson c/ France, n° 65192/11 et CEDH, 14 janv. 2016, Mandet c/ France, n° 65192/11).

Un contrôle de proportionnalité

Le droit à connaître et faire reconnaître son ascendance peut entrer en conflit avec d’autres intérêts que la CEDH s’applique à ménager. Pour les enfants adoptés, le juge communautaire prend en considération non seulement l’intérêt de leur famille adoptive, mais également l’intérêt de leurs parents biologiques, voire même l’intérêt de la société. Le juge communautaire a ainsi précisé dans le cadre d’une telle requête que l’accord des parents d’origine devait être recueilli (CEDH, 7 juil. 1989, Gaskin c/ Royaume-Uni, n° 10454/83). La jurisprudence Odièvre (CEDH, 13 févr. 2003, Odièvre c/ France, n° 42326/98,) est révélatrice à cet égard du contrôle de proportionnalité auquel invite le juge communautaire. Saisie par une requérante française qui n’est pas parvenue à accéder à ses origines biologiques, la Cour constate que le droit de connaître l’identité de ses parents de naissance relève du champ du droit au respect de la vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention EDH. Le refus opposé à la requérante constitue une ingérence de l’État. Cependant, au motif qu’une réforme est alors en cours et d’application immédiate vers une réversibilité du secret de la naissance, la Cour considère que la France apporte une réponse équilibrée. La loi de 2002, « d’application immédiate, (…) peut désormais permettre à la requérante de solliciter la réversibilité du secret de l’identité de sa mère sous réserve de l’accord de celle-ci », souligne-t-elle. « La législation française tente ainsi d’atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisante entre les intérêts en cause », analyse le juge communautaire. On voit que la CEDH tente d’équilibrer la protection de la vie privée garantie par l’article 8 de la Convention EDH dont peut se prévaloir l’enfant adopté et celle garantie à la mère d’origine, qui implique que soit respecté son droit au secret. En filigrane, se dessine également la nécessité de protéger la famille adoptive qui se voit également garantir le respect à la vie privée. Cette décision a mis en lumière de graves divergences qui ont poussé 7 des 17 juges amenés à se prononcer sur cette affaire à communiquer sur celle-ci. Les 7 juges minoritaires ont rédigé une opinion dissidente commune, dans laquelle ils ont notamment précisé que le droit à l’identité, comme condition essentielle du droit à l’autonomie (CEDH, 29 avr. 2002, Pretty c/ Royaume-Uni, n° 2346/02) et à l’épanouissement (CEDH, 6 févr. 2001, Bensaid c/ Royaume-Uni,n° 44599/98) fait partie du noyau dur du droit au respect de la vie privée, réduisant d’autant l’ampleur de la marge d’appréciation d’un État dans le choix des mesures propres à garantir le respect de l’article 8 de la Convention EDH.

L’application de la loi anglaise

L’affaire soumise à la Cour de cassation concernait une personne née en 1955, au Royaume-Uni, de Mme X et d’un père déclaré par la mère comme étant M. Z. Ce dernier n’a pas reconnu l’enfant et a été condamné en 1958 par un juge français à verser des subsides à la mère. En 1966, la requérante a été adoptée au Royaume-Uni par un cousin de sa mère et son épouse. En 2010, elle a assigné M. Y en recherche de paternité. La cour d’appel de Versailles a déclaré irrecevable cette action. Dans un premier arrêt de cassation, la Cour de cassation a reproché au juge d’appel de n’avoir pas suffisamment recherché si le droit anglais, en l’espèce applicable, permettait la recherche des parents biologiques en dépit d’une filiation préexistante et a relevé d’office la contrariété à l’ordre public international français de l’établissement d’une filiation contredisant une filiation légalement établie (Cass. 1re civ., 7 oct. 2015, n° 14-20144). Dans une décision de renvoi, la cour d’appel de Paris a jugé que la loi anglaise faisait obstacle à la reconnaissance d’un lien de filiation qui viendrait contredire celui créé par l’adoption et précisé que ce texte n’était pas contraire à l’ordre public international français. Elle a cependant déclaré l’action recevable sur le fondement du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention EDH, ordonné une expertise biologique en novembre 2017 et jugé en mars 2019 que M. Y est le père biologique de la requérante.

Cette décision a fait l’objet d’un pourvoi en cassation à la demande du fils de M. Y, ce dernier étant décédé entre-temps. La Cour de cassation casse cet arrêt au motif que la requérante connaît ses origines et n’est pas privée d’un élément essentiel de son identité dans l’hypothèse où son action est considérée comme irrecevable. En l’espèce, la cour considère que l’atteinte au droit au respect de la vie privée de la requérante que constitue l’irrecevabilité de l’action en recherche de paternité ne revêt pas un caractère disproportionné au regard des intérêts de la famille biologique qui n’ont jamais souhaité établir de lien avec la requérante, de sa famille adoptive et de l’intérêt général attaché à la sécurité juridique et à la stabilité des liens de filiation adoptifs. Cet arrêt est dans le droit-fil de la jurisprudence de la Cour de cassation, laquelle a déjà considéré comme irrecevable la recherche de filiation biologique dans des affaires où les requérants invoquaient le droit au respect de la vie privée, notamment dans des affaires où s’appliquaient la prescription de dix ans applicable à l’action en recherche de paternité et la prescription quinquennale de l’action en contestation de filiation lorsque la possession d’état est conforme au titre. Son intérêt principal réside dans le contrôle de la proportionnalité, que la Cour de cassation exercice ici, pour arbitrer entre les différents intérêts qui s’affrontent.

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