Justice fiscale communautaire : lutte contre la double imposition

Publié le 27/09/2019

Le point sur le nouveau système européen de règlement des différends en matière fiscale qui s’applique désormais entre les États membres. Le texte s’inscrit dans le cadre de l’effort plus large déployé par l’Union européenne pour instaurer un système d’imposition des sociétés juste et efficace au sein même de l’Union et accroître la sécurité fiscale.

Au 1er juillet 2019, de nouvelles règles de l’Union européenne sont entrées en vigueur pour garantir une résolution plus rapide et plus efficace des différends en matière fiscale entre les États membres, avec pour objectif de faciliter la vie des entreprises et des particuliers confrontés à des problèmes de double imposition et permettre de leur assurer une plus grande sécurité fiscale (IP/19/3377). Selon les estimations des experts en la matière, 2 000 différends de ce type sont en cours dans l’Union européenne, dont environ 900 durent depuis plus de 2 ans.

Une nouvelle directive communautaire

Le nouveau système, mis en place dans le cadre de la directive 2017/1852 du 10 octobre 2017 relative aux mécanismes de règlement des différends fiscaux dans l’Union européenne est d’une grande importance pratique. Approuvée par le Conseil de l’Union européenne le 10 octobre 2018, la directive prévoit que les mécanismes de règlement des différends doivent être contraignants et obligatoires, avec des délais clairement précisés et une obligation de résultat. Elle doit contribuer à trouver des solutions aux différends fiscaux entre États membres qui sont susceptibles de découler de l’interprétation et de l’application des conventions et accords internationaux prévoyant l’élimination de la double imposition. On parle de double imposition lorsque deux ou plusieurs pays invoquent le droit d’imposer les mêmes revenus ou bénéfices d’un particulier ou d’une entreprise. Cette situation peut résulter, par exemple, d’une discordance entre les règles nationales de différentes juridictions ou d’interprétations divergentes de la même disposition d’une convention fiscale bilatérale. Jusqu’à présent, il existait seulement une convention multilatérale donnant aux autorités fiscales la possibilité de soumettre un différend à un arbitrage, sans aucun moyen toutefois pour le contribuable de déclencher lui-même ce processus. Les autorités fiscales ne sont pas non plus tenues à l’heure actuelle de parvenir à un accord final. Ce mécanisme permettra aux entreprises et aux citoyens de résoudre plus rapidement et plus efficacement les différends liés aux conventions fiscales, en particulier ceux qui ont trait à la double imposition, un obstacle majeur pour les entreprises et les particuliers, source d’incertitude, de coûts inutiles et de problèmes de trésorerie. Dans le même temps, la nouvelle directive instaure une plus grande transparence en matière de différends fiscaux dans l’Union européenne. Pour Pierre Moscovici, commissaire pour les affaires économiques et financières, la fiscalité et les douanes, « un système fiscal juste et efficace au sein de l’UE devrait également garantir que les mêmes revenus ne soient pas imposés deux fois par deux États membres différents. Lorsque cela se produit, le problème devrait être résolu rapidement et efficacement. À partir d’aujourd’hui, le règlement des différends fiscaux sera beaucoup plus facile. Les entreprises, en particulier les petites entreprises, et les particuliers qui connaîtraient des problèmes de trésorerie liés à une double imposition verront leurs droits considérablement renforcés. Ils auront désormais davantage de certitude que leurs problèmes fiscaux seront résolus par les autorités judiciaires compétentes dans un délai acceptable et prévisible au lieu de traîner pendant des années ».

La convention européenne d’arbitrage

Les mécanismes actuels de règlement des différends en matière de double imposition reposent sur les procédures amiables prévues par les conventions relatives aux doubles impositions conclues par des États membres ainsi que sur la convention d’arbitrage de l’Union relative à l’élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d’entreprises associées. Selon la Commission européenne, dans le cadre actuel, certains différends en matière de double imposition n’entrent pas dans le champ d’application de la convention d’arbitrage de l’Union ou des conventions applicables en matière de double imposition qui sont applicables. Il en résulte qu’un certain nombre de cas demeurent non résolus. Le champ d’application de la convention d’arbitrage, par exemple, est limité aux différends en matière de prix de transfert et il n’est pas possible de contester l’interprétation des règles. En outre, ces procédures s’avèrent souvent onéreuses.

La convention d’arbitrage de l’Union européenne met en place une procédure ayant pour objectif de résoudre les différends résultant de la double imposition frappant des entreprises de différents États membres en raison de la correction à la hausse des bénéfices d’une de ces entreprises dans un État membre. Si la plupart des conventions bilatérales relatives à la double imposition contiennent des dispositions prévoyant un ajustement à la baisse correspondant des bénéfices de l’entreprise associée concernée, elles n’imposent nullement aux parties contractantes l’obligation d’éliminer la double imposition. Elle trouve son origine dans la proposition de directive concernant l’élimination des doubles impositions dans le cas de correction des bénéfices entre entreprises associées présentées par la Commission en 1976 ainsi que dans le Livre blanc de 1985 sur l’achèvement du marché intérieur. La proposition de directive de la Commission a été transformée en convention intergouvernementale, et signée le 23 juillet 1990, convention 90/436/CEE relative à l’élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d’entreprises associées. En vigueur du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1999 pour une période initiale de cinq ans, la convention d’arbitrage a vu sa durée prolongée pour une première période d’application de cinq ans en 1999. Dans la foulée, le Conseil a adopté un protocole à la convention d’arbitrage établissant l’extension automatique de la convention par périodes de cinq ans à moins qu’un État contractant ne s’y oppose. Ce protocole du 25 mai 1999 modifie la Convention du 23 juillet 1990 relative à l’élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d’entreprises associées. Bien qu’il ait été signé en temps utile, il n’a été ratifié par l’ensemble des 15 États membres concernés qu’en 2004, et la convention d’arbitrage est à nouveau entrée en vigueur, avec effet rétroactif à compter du 1er janvier 2000, le 1er novembre 2004. La convention d’arbitrage a été étendue aux nouveaux États membres par des conventions spécifiques.

Le projet BEPS : renforcer l’efficacité des procédures de règlement des différends fiscaux

Les initiatives communautaires actuelles en vue de l’amélioration du règlement des différends en matière fiscale ne se limitent pas à ces deux instruments. Le Plan d’action sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (« Plan d’action BEPS ») a identifié 15 actions à mener pour traiter le sujet de BEPS de manière globale et coordonnée. L’action 14 du projet BEPS de l’OCDE (procédure amiable et arbitrage), reprise dans les parties V et VI de l’Instrument multilatéral pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir BEPS, dont la signature a été ouverte aux États le 7 juin 2017, vise à renforcer l’efficacité des procédures de règlement des différends fiscaux. L’Action 14 a pour objectif de tenir compte du fait que les actions visant à combattre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices doivent être complétées par des dispositions garantes de certitude et de prévisibilité pour les entreprises en matière de prévention des différends, de disponibilité et d’accès à la procédure amiable, de résolution des cas soumis à la procédure amiable et de mise en œuvre des accords amiables.

Le nouveau mécanisme de règlement des différends en pratique

La nouvelle directive sur les mécanismes de règlement des différends fiscaux devrait permettre de mieux résoudre ces différends, car les États membres auront à présent l’obligation légale d’adopter des décisions définitives. Le Conseil a approuvé un compromis sur le champ d’application de la directive, c’est-à-dire les types de différends qu’elle devrait couvrir. Le Conseil a convenu d’un champ d’application élargi, mais avec la possibilité, au cas par cas, d’exclure les litiges qui ne portent pas sur la double imposition. Les contribuables confrontés à des différends fiscaux qui découlent de conventions ou d’accords fiscaux bilatéraux prévoyant l’élimination de la double imposition peuvent à présent engager une procédure amiable dans le cadre de laquelle les États membres concernés doivent essayer de régler le différend dans un délai de deux ans. Si aucune solution n’est trouvée à l’issue de cette période de deux ans, le contribuable peut demander la création d’une commission consultative chargée d’émettre un avis. Si les États membres ne le font pas, le contribuable peut intenter une action devant ses juridictions nationales et contraindre les États membres à agir. La commission consultative sera composée de trois à cinq membres indépendants désignés par les États membres concernés et de deux représentants des autorités compétentes en question. Le Conseil a également approuvé un compromis sur la notion de personnalités indépendantes, c’est-à-dire sur les critères visant à garantir l’indépendance des personnes nommées pour constituer un groupe d’arbitres indépendants. Il a été décidé que les arbitres ne pouvaient être employés au sein d’une entreprise de conseil fiscal ni avoir fourni de conseils fiscaux à titre professionnel. Sauf accord contraire, le président de la commission doit être un juge. Il est possible de mettre en place un comité permanent pour traiter le règlement des différends, si les États membres en conviennent ainsi. La commission doit, dans un délai de six mois, émettre un avis auquel les États membres concernés doivent se tenir, à moins qu’ils n’acceptent une autre solution dans les six mois suivant l’avis. Si la décision n’est pas mise en œuvre, le contribuable qui a accepté la décision finale et renoncé à son droit de recours au niveau national dans un délai de 60 jours à compter de la notification peut saisir ses juridictions nationales en vue de faire la faire exécuter. Les États membres sont tenus d’informer le contribuable et de publier la décision finale dans son intégralité ou sous forme résumée. La nouvelle directive s’applique à toute réclamation introduite à compter du 1er juillet 2019 qui porte sur des différends relatifs à des revenus ou à des capitaux perçus au cours d’un exercice fiscal commençant le 1er janvier 2018 ou après cette date. Les autorités compétentes peuvent également convenir d’appliquer la directive à toute réclamation déposée avant cette date ou concernant des exercices fiscaux antérieurs.

En droit interne

L’article 130 de la loi de finances pour 2019 a opéré la transposition de la directive 2017/1852 du 10 octobre 2017 relative aux mécanismes de règlement des différends fiscaux dans l’Union européenne, en ajoutant un chapitre IV au titre III du LPF, avec les articles L. 251 B à L. 251 ZH du LPF. Le décret n° 2019-616 du 21 juin 2019 (D. n°2019-616 du 21 juin 2019, JO du 22 juin 2019, p.8) achève la transposition de cette directive en précisant les modalités de mise en œuvre de ce mécanisme, notamment les conditions de recevabilité des demandes d’ouverture d’une procédure de règlement d’un différend. La demande d’ouverture d’une procédure de règlement d’un différend doit être rédigée en français et comporter les informations nécessaires « à l’identification du contribuable ayant introduit la demande et de toute autre personne intéressée », l’exposé des faits, ainsi qu’« une copie des documents émis par l’administration fiscale française et par l’État membre concerné ainsi que tout autre justificatif relatif au différend ». Dans un tel cas, l’administration fiscale dispose, à compter de la réception de la demande, d’un délai de deux mois pour en accuser réception et d’un délai de trois mois pour demander d’éventuelles informations complémentaires au contribuable. Une fois les conditions de la demande de règlement amiable remplies, elle dispose d’un délai de deux mois pour transmettre aux administrations des autres États membres concernés « toutes les communications du contribuable ». Le décret précise que le contribuable est présumé « avoir adressé ses communications à l’ensemble des administrations des autres États membres concernés » une fois ce délai de deux mois écoulé. Le contribuable peut retirer sa demande à tout moment de la procédure, ce qui entraîne sa clôture immédiate. Le décret précise également le déroulé de la procédure amiable, les modalités de saisine de la commission consultative, sa composition et son fonctionnement ainsi que les modalités de publicité de la décision définitive. Il précise en outre, qu’« en l’absence d’accord entre l’administration fiscale française et les autres États membres concernés les frais […] sont répartis en parts égales entre les États ». Ces mesures s’appliquent aux demandes d’ouverture de procédures introduites auprès de l’administration fiscale française à compter du 1er juillet 2019 portant sur des différends relatifs à des revenus ou capitaux perçus à compter du 1er janvier 2018 pour les particuliers et à des exercices fiscaux ouverts à compter du 1er janvier 2018 pour les entreprises.

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