La suppression de la redevance et la réforme du financement de l’audiovisuel public

Publié le 04/10/2022
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La loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 a prévu la suppression de la contribution à l’audiovisuel public versée aux sociétés de l’audiovisuel public, dont elle constitue la principale ressource. Si le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les dispositions de la loi de finances rectificative relatives au nouveau financement de l’audiovisuel public, il a souhaité les assortir de deux réserves d’interprétation « encadrant les choix à venir du législateur ».

L. n° 2022-1157, 16 août 2022, de finances rectificative pour 2022

La contribution à l’audiovisuel public, plus connue sous le nom de « redevance », qui représente aujourd’hui près de 90 % du financement de l’audiovisuel public, a fait l’objet, depuis plusieurs années, d’importantes critiques qui sont de nature à justifier sa suppression. Elle a notamment été qualifiée « d’obsolète » car elle reste liée à la possession d’un téléviseur alors que les Français consultent de plus en plus les programmes de l’audiovisuel public sur d’autres équipements (ordinateurs, smartphones…)1. Elle est aussi considérée comme étant injuste dans la mesure où chaque foyer fiscal, quel que soit son revenu, doit la payer. Elle est par ailleurs adossée à la taxe d’habitation sur les résidences principales qui sera définitivement supprimée pour l’ensemble des Français en 2023. La suppression de cet impôt local rend du reste nécessaire la réforme de la contribution à l’audiovisuel public.

La redevance audiovisuelle a été créée par la loi du 31 mai 1933 portant fixation du budget général de l’exercice 1933 au moment de l’essor de la radiodiffusion publique. Assise sur les postes de radio, elle a été conçue comme un droit d’usage « en vue d’en consacrer le produit aux dépenses de la radiodiffusion ». Avec la loi n° 49-1032 du 30 juillet 1949, la redevance audiovisuelle a été étendue aux récepteurs de télévision. La redevance pour les postes de radio a été supprimée par le décret n° 80-201 du 10 mars 1980. L’article 29 de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision est venu ensuite modifier la dénomination de la redevance audiovisuelle en « contribution à l’audiovisuel public ».

La loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 20222 vient supprimer cette contribution à l’audiovisuel public qui est définie, à titre principal, aux articles 1605 à 1605 ter du Code général des impôts. Il s’agit d’une taxe affectée qui a pour objet de financer, par l’intermédiaire du compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public », les sociétés du secteur public de l’audiovisuel (France Télévisions, ARTE France, Radio France, France Médias Monde, TV5 Monde) et l’institut national de l’audiovisuel (INA).

La loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 remplace le produit de cette imposition par l’affectation au secteur public de l’audiovisuel d’une fraction du produit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ; laquelle TVA est actuellement la première ressource fiscale de l’État. Le projet de loi initial avait lui prévu le remplacement de la « redevance » par une enveloppe du budget de l’État.

Tout en validant la suppression de la redevance audiovisuelle3, qui était une promesse de campagne d’Emmanuel Macron4, le Conseil constitutionnel a émis des réserves, notamment à propos de la « garantie des ressources du secteur de l’audiovisuel public », afin que les organismes de l’audiovisuel public puissent « exercer les missions de service public qui leur sont confiées ».

Nous examinerons tout d’abord le contenu de la réforme du financement de l’audiovisuel public (I). Nous verrons ensuite que, dans sa décision du 12 août 2022 relative à loi de finances rectificative pour 2022, le Conseil constitutionnel a conditionné la validation des dispositions relatives au financement de l’audiovisuel public à des réserves d’interprétation (II).

I – Le nouveau dispositif de financement de l’audiovisuel public

L’article 6 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 supprime la contribution à l’audiovisuel public qui a été instituée par l’article 1605 du Code général des impôts au profit des sociétés nationales de programme France Télévisions et Radio France, de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France, des sociétés ARTE France et TV5 Monde et de l’institut national de l’audiovisuel.

Tirant les conséquences de cette suppression, le législateur a modifié le paragraphe VI de l’article 46 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 qui ouvre dans les écritures du Trésor un compte de concours financiers, intitulé « Avances à l’audiovisuel public », lequel retrace en recettes les remboursements d’avances correspondant au produit de la contribution à l’audiovisuel public accordées à ces sociétés et à cet établissement.

En effet, les dispositions de l’article 6 de la loi de finances rectificative pour 2022, qui abrogent l’article 1605 du Code général des impôts, modifient le paragraphe VI, de l’article 46 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 afin de remplacer, dans les recettes de ce compte de concours, le produit de la contribution à l’audiovisuel public par une fraction du produit de la taxe sur la valeur ajoutée.

Elles prévoient, pour les années 2023 et 2024, que les recettes du compte de concours financiers « proviennent (…) d’une fraction du produit de la taxe sur la valeur ajoutée déterminée chaque année par la loi de finances de l’année » et, pour l’année 2022, que « les recettes du compte de concours financiers (…) sont constituées, d’une part, des remboursements d’avances correspondant au produit de la contribution à l’audiovisuel public à hauteur de 100 000 000 € et, d’autre part, d’une fraction du produit de la taxe sur la valeur ajoutée à hauteur de 3 585 003 724,00 € ».

Les dispositions de l’article 6 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 ont fait l’objet d’âpres débats parlementaires. Elles ont été introduites par voie d’amendements lors de l’examen du texte en première lecture par l’Assemblée nationale. Elles sont issues des amendements déposés par des députés des groupes Renaissance, Démocrate (MoDem et indépendants), Horizon et apparentés, et Les Républicains5. Le Conseil constitutionnel a jugé à ce propos que « ni le droit d’amendement ni les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire n’ont été méconnus »6.

Force est de constater que le projet de loi initial proposait de remplacer la contribution à l’audiovisuel public non pas par l’affectation à ce secteur d’une fraction d’un impôt existant mais par une dotation budgétaire versée aux sociétés de l’audiovisuel public.

Il est à noter à ce sujet qu’un rapport remis au Premier ministre par l’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) a fait valoir qu’un financement par le budget de l’État ferait courir un risque de « volatilité des financements, là où la [contribution à l’audiovisuel public] constituait un socle stable »7. Ce rapport rendu public le 13 juillet 2022 a aussi mis en évidence « un risque d’attrition si l’on se réfère aux exemples de l’Espagne et des Pays-Bas dont le niveau de financement de l’audiovisuel public est très décroché par rapport aux autres grands pays européens (…), ou au Danemark où la décision de budgétisation s’accompagne également d’une réduction des financements publics ». Par ailleurs, les détracteurs de « la budgétisation » du financement de l’audiovisuel public ont soutenu qu’elle serait susceptible de porter atteinte à l’indépendance des médias de service public qui est « un principe protégé conventionnellement en Europe ». On observera que la nécessité de garantir l’indépendance de ces médias est affirmée par plusieurs recommandations du comité des ministres du Conseil de l’Europe, « lesquelles, bien que ne revêtant pas de caractère contraignant pour les États membres, constituent une expression politique et morale forte »8.

Enfin, la suppression de la contribution à l’audiovisuel public, qui est acquittée par près de 23 millions de foyers et 80 000 entreprises, a été présentée par le gouvernement comme une mesure destinée à améliorer le pouvoir d’achat des Français. Comme l’indique l’exposé des motifs du projet de loi de finances rectificative pour 2022, la suppression de cette taxe, « qui tenait insuffisamment compte des capacités contributives des redevables et ne reflétait plus la réalité des usages du service public de l’audiovisuel, contribuera, dès cette année, à soutenir le pouvoir d’achat de près de 23 millions de foyers (…) ». Le montant de la contribution à l’audiovisuel public avait été fixé pour l’année 2022 à 138 € par an en métropole et à 88 € dans les départements d’outre-mer9.

II – La décision du Conseil constitutionnel du 12 août 2022 et le financement de l’audiovisuel public

Le Conseil constitutionnel a été saisi par deux recours émanant respectivement de plus de 60 députés et de plus de 60 sénateurs contre la loi de finances rectificative pour 2022. Il a notamment été reproché aux dispositions de l’article 6 de cette loi de priver de garantie légale la liberté de communication des pensées et des opinions ainsi que l’indépendance et le pluralisme des médias, faute d’assurer la pérennité du financement de l’audiovisuel public. Les sénateurs et députés requérants font valoir qu’elles ne prévoient l’affectation à ce secteur d’une fraction de taxe sur la valeur ajoutée que jusqu’au 31 décembre 2024. Pour les années 2023 et 2024, les députés requérants ont soutenu que le montant affecté n’était pas garanti dès lors qu’il pouvait être modifié par le législateur.

En s’appuyant notamment sur ses décisions nos 86-217 DC du 18 septembre 1986, 93-333 DC du 21 janvier 1994 et 2000-433 DC du 27 juillet 2000, le Conseil constitutionnel a rappelé que la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 178910 « ne serait pas effective si le public auquel s’adressent les moyens de communication audiovisuels n’était pas à même de disposer, aussi bien dans le cadre du secteur privé que dans celui du secteur public, de programmes qui garantissent l’expression de tendances de caractère différent dans le respect de l’impératif d’honnêteté de l’information ». Toujours en s’appuyant sur ces décisions, le Conseil a précisé que « les auditeurs et les téléspectateurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l’article 11[précité], doivent être à même d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ».

Reprenant une formule à laquelle il a déjà eu recours11, le Conseil constitutionnel a indiqué qu’il était loisible au législateur, statuant dans le domaine qui lui est réservé par l’article 34 de la Constitution12, « de modifier des textes législatifs antérieurs ou d’abroger ceux-ci » dès lors que, dans l’exercice de ce pouvoir, il ne prive pas « de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ».

Certes, en supprimant, à compter du 1er janvier 2022, la contribution à l’audiovisuel public, les dispositions contestées sont, selon le Conseil constitutionnel, susceptibles d’affecter « la garantie des ressources du secteur de l’audiovisuel public qui constitue un élément de son indépendance, laquelle concourt à la mise en œuvre de la liberté de communication ». Toutefois, le Conseil relève que ces dispositions prévoient que, au titre de l’année 2022, les recettes du compte de concours financiers seront constituées d’une fraction du produit de la taxe sur la valeur ajoutée d’un montant équivalent au produit de la contribution à l’audiovisuel public au titre de cette même année. Il ajoute que ces dispositions prévoient également qu’à compter du 1er janvier 2023 et jusqu’au 31 décembre 2024, les recettes du compte de concours financiers proviendront d’une fraction du produit de la taxe sur la valeur ajoutée déterminée chaque année par la loi de finances de l’année.

On rappellera que dans sa décision n° 2019-796 DC du 27 décembre 2019 relative à la loi de finances pour 2020, le Conseil constitutionnel, qui a validé la réforme du financement des collectivités locales et a notamment écarté les griefs tirés de la méconnaissance du principe d’autonomie financière des collectivités territoriales, a admis des mécanismes de compensation de ce type.

Si le Conseil constitutionnel a estimé que les dispositions litigieuses ne méconnaissent pas les exigences résultant de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, il a formulé deux importantes réserves d’interprétation. Il a effectivement jugé qu’il incombera au législateur, d’une part, dans les lois de finances pour les années 2023 et 2024 et, d’autre part, pour la période postérieure au 31 décembre 2024, de déterminer le montant des recettes du compte de concours financiers « afin que les sociétés et l’établissement de l’audiovisuel public soient à même d’exercer les missions de service public qui leur sont confiées ». Le Conseil constitutionnel a souligné qu’il sera « le juge du respect de ces exigences »13.

Enfin, le juge constitutionnel n’a pas suivi les députés requérants qui soutenaient que les dispositions de l’article 6 de la loi de finances rectificative pour 2022 méconnaîtraient un principe fondamental reconnu par les lois de la République, qui résulterait de la loi du 31 mai 1933 portant fixation du budget général de l’exercice 1933, selon lequel le secteur de l’audiovisuel public doit être financé par une redevance. Pour la haute juridiction, en se bornant à prévoir que, « en vue d’en consacrer le produit aux dépenses de la radiodiffusion, il est institué (…) sur les installations réceptrices de radiodiffusion, une redevance pour droit d’usage », l’article 109 de la loi du 31 mai 1933 n’a eu ni pour objet ni pour effet de consacrer un principe selon lequel le secteur de l’audiovisuel public ne pourrait être financé que par une redevance. Par conséquent, cette loi ne saurait avoir donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

Notes de bas de pages

  • 1.
    AN, avis, n° 146, 13 juill. 2022, p. 6.
  • 2.
    L. n° 2022-1157, 16 août 2022 : JO n° 0189, 17 août. 2022, texte n° 1.
  • 3.
    Cons. const., DC, 12 août 2022, n° 2022-842 : JO n° 0189, 17 août 2022, texte n° 4.
  • 4.
    Annoncée le 7 mars 2022 par Emmanuel Macron en tant que candidat à l’élection présidentielle, la suppression de la contribution à l’audiovisuel public a été confirmée en conseil des ministres le 11 mai 2022. « La contribution à l’audiovisuel public sera supprimée de manière pérenne dès cette année et le financement de l’audiovisuel public sera assuré dans le respect de l’objectif à valeur constitutionnelle de pluralisme et d’indépendance des médias », affirme le compte rendu du conseil des ministres.
  • 5.
    Ces amendements (n° 974, 975, 976 et 977), qui ont été enregistrés le 20 juillet 2022, ont été adoptés par l’Assemblée nationale le 23 juillet 2022, avec le soutien du gouvernement, au terme de débats tumultueux (v. les observations du gouvernement sur la loi de finances rectificative pour 2022, enregistrées le 9 août 2022, p. 7). On remarquera également que l’Assemblée nationale a écarté l’amendement défendu par le groupe socialistes et apparentés qui proposait d’instituer « une contribution audiovisuelle, universelle et progressive » directement affectée au financement de l’audiovisuel public, inspirée des modèles nordiques.
  • 6.
    Cons. const., DC, 12 août 2022, n° 2022-842, cons. 17.
  • 7.
    IGF-IGAC, Réforme du financement de l’audiovisuel public, juin 2022, p. 28.
  • 8.
    IGF-IGAC, Réforme du financement de l’audiovisuel public, juin 2022, p. 31.
  • 9.
    La loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 avait prévu de ne pas tenir compte de l’inflation pour le calcul de la contribution à l’audiovisuel public et de conserver le montant retenu en 2021 (L. n° 2021-1900, 30 déc. 2021 : JO, 31 déc. 2021). L’indexation des tarifs de la contribution à l’audiovisuel public sur l’inflation aurait conduit à une augmentation de son produit de 23 M€. On notera que la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009, relative à a communication audiovisuelle et au nouveau service de la télévision a instauré le principe de l’indexation annuelle de la redevance audiovisuelle sur l’indice des prix à la consommation hors tabac.
  • 10.
    Selon l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, à laquelle se réfère le préambule de la Constitution, « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
  • 11.
    Cons. const., DC, 29 juill. 1986, n° 86-210 – Cons. const., DC, 18 sept. 1986, n° 86-217 – Cons. const., DC, 29 juill. 2021, n° 2021-821, cons. 28.
  • 12.
    Aux termes de l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, « la loi fixe les règles concernant (…) la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias (…) ».
  • 13.
    Cons. const., communiqué de presse, 12 août 2022.