François Bayrou : le défi des moyens

Publié le 24/05/2017

La passation de pouvoir entre Jean-Jacques Urvoas et son successeur François Bayrou a eu lieu le 17 mai à 17 heures à la Chancellerie. François Bayrou hérite d’une institution judiciaire qui commence à espérer sortir de la misère. Il s’est engagé à mettre en œuvre la loi de programmation promise par Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle.

Il y avait foule mercredi 17 mai en fin de journée dans les salons du premier étage de la Chancellerie pour assister à l’installation de François Bayrou dans ses nouvelles fonctions de ministre de la Justice. C’est la deuxième cérémonie de ce type en moins de deux ans puisque Christiane Taubira avait remis les clés du ministère à Jean-Jacques Urvoas, le 27 janvier 2016, après trois ans et demi de fonctions. Pour la justice, ce changement intervient à un moment délicat, voire inopportun. Parce qu’il n’avait pas le temps en l’espace d’un peu plus d’un an de porter une grande réforme, Jean-Jacques Urvoas a choisi lors de sa nomination de concentrer ses efforts sur les moyens de l’institution judiciaire. Et le combat a porté ses fruits. Il a obtenu des déblocages budgétaires qui ont enfin permis aux cours et tribunaux de régler leurs factures dans des délais raisonnables l’an dernier. Mais, au-delà de ce soulagement ponctuel, il semble bien que Jean-Jacques Urvoas soit parvenu à amorcer un cercle vertueux. En déclarant, lors de son entrée en fonction, que la justice était en voie de clochardisation, il a certes choqué quelques magistrats qui lui ont reproché de dévaloriser la justice aux yeux du public, mais il a aussi et surtout déclenché un électrochoc. L’exécutif et le législatif semblent avoir enfin pris la mesure du problème et décidé d’agir. Dans un rapport daté de janvier dernier1, l’Inspection générale des finances constate elle-même l’état calamiteux des juridictions et avance une explication. Les frais de fonctionnement (354 millions d’euros en 2017) ne représentent que… 4 % du budget total du ministère ! Autrement dit l’épaisseur du trait. Résultat, personne ne semble s’être jamais soucié de défendre ce poste. Et pourtant, comme le souligne le rapport avec une fraîcheur désarmante : « si ces volumes budgétaires sont minoritaires au sein de la mission Justice, ces dépenses correspondent au quotidien des magistrats, fonctionnaires, et par répercussion, du public accueilli (professions de justice et justiciables), ce qui explique leur caractère sensible et symbolique et l’intérêt qu’elles suscitent ». On ne saurait mieux dire pour résumer le manque de tout dans les tribunaux – depuis le papier et les crayons jusqu’au chauffage en passant par les crédits pour payer les experts – et les délais de plus en plus insupportables infligés aux justiciables. Le rapport pointe également les dysfonctionnements au sein du ministère qui entravent notamment le processus nécessaire de révolution numérique. Un sujet que Jean-Jacques Urvoas a tenu à régler avant son départ en signant les décrets qui renforcent les pouvoirs du secrétaire général du ministère, conformément aux recommandations de l’IGF. Mais il n’y a pas que cela, la mission du Sénat sur les moyens de la justice, pilotée par le sénateur LR Philippe Bas, conclut, elle aussi, à la nécessité de sauver la justice, c’est d’ailleurs le titre de son rapport publié le 12 avril dernier2. Actuellement de 8,5 milliards d’euros, le budget devra selon les sénateurs passer à 10,9 milliards en 2022, ce qui représente une augmentation de 5 % par an. Côté recrutement, le rapport estime nécessaire de créer 500 emplois de magistrats et 950 de greffiers supplémentaires en cinq ans. Des propositions qui rejoignent en grande partie celles que Jean-Jacques Urvoas a émises à l’intention de son successeur dans une longue lettre publiée il y a quelques semaines. C’est cette dynamique inespérée que François Bayrou va devoir continuer d’alimenter.

Sous les ors, la misère

Ce que Jean-Jacques Urvoas n’a pas manqué d’indiquer à son successeur lorsqu’il a évoqué les grands chantiers du ministère. Trois sont à ses yeux majeurs, à commencer bien sûr par celui des moyens. Il a souligné que derrière les ors de la Chancellerie, la situation des juridictions et des prisons était bien moins « flatteuse » et qu’il était urgent de s’en occuper. « Pour y répondre, vous bénéficiez d’un atout puissant : l’engagement du nouveau président de la République pris à l’occasion de son discours de Lille, le 14 mars dernier, d’une « loi quinquennale pour donner de la visibilité sur les moyens et les embauches », a relevé Jean-Jacques Urvoas. Pour préparer le terrain à son successeur, il a indiqué avoir donné mission au secrétaire général du ministère de préparer tous les documents afin que la loi de programmation puisse être élaborée avant l’été. Des propositions seront transmises au nouveau ministre à la fin du mois de mai. La deuxième priorité selon Jean-Jacques Urvoas consiste à poursuivre la modernisation de la justice amorcée avec la loi dite J21 et notamment à mener à son terme la révolution numérique. La troisième, enfin, impose de mener à bien la réforme de l’indépendance de la magistrature que le précédent gouvernement n’a pu mettre en œuvre afin que les magistrats « puissent exercer leurs missions dans la sérénité et dans le respect du principe de l’égalité de tous devant la loi ». Sur tous ces sujets, il a encouragé François Bayrou à s’appuyer sur le Parlement et en particulier sur les commissions des lois. Cela renvoie, on l’aura compris, aux travaux notamment de Philippe Bas, dont la commission a d’ailleurs indiqué qu’elle préparait un texte de réforme pour que son rapport ne demeure pas lettre morte. Enfin, s’agissant de la loi de moralisation de la vie publique : « Il vous faudra chercher à concilier le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs et l’indispensable regard extérieur sur les intérêts des uns et des autres. Vous aurez donc à répondre à cette question : jusqu’où le retour à la confiance dans nos institutions impose-t-il la défiance vis-à-vis de ceux qui les incarnent ? Là encore, vous me trouverez en tout cas à votre côté pour travailler sur ce beau texte dans un esprit de dialogue et d’ouverture, car l’État de la France requiert nos efforts à tous ».

Confiance, moralisation, programmation

François Bayrou, qui a pris la parole à sa suite, a visiblement placé son action sous le signe de la confiance : « la justice est la clé de voûte d’une société de confiance. Et s’il y a une chose que je ressens si profondément, c’est qu’une société démocratique ne peut pas vivre sans confiance et spécialement sans confiance dans sa justice ». Cette confiance se décline à ses yeux à différents niveaux : « confiance des citoyens dans la justice, confiance à l’intérieur de l’univers de la justice, quelles que soient ses formes, confiance de l’univers de la justice dans ceux qui ont la charge de la conduire et de porter les décisions à prendre ». Il s’agit d’une ambition exprimée de manière récurrente par tous les gardes des Sceaux lors de leur prise de fonction. La réussite passe nécessairement dans la gestion du problème non moins récurrent des moyens. À ce sujet, le ministre a indiqué : « Pour moi, la loi de programmation qui a été promise par le président de la République est une ardente obligation et cette loi-là, elle va permettre de donner à l’ensemble du monde de la justice une visibilité sur son avenir ». Mais le premier chantier lancé le soir même portera sur le projet de loi de moralisation de la vie publique dont il a annoncé vouloir déposer le texte sur la table du conseil des ministres avant les législatives : « Tout le monde sait ici que c’est une loi qui me tient particulièrement à cœur ; qu’il y a des années que je me bats avec l’idée que cette loi, nous devrons l’écrire et que tout est naturellement, dans cette affaire, d’une importance capitale pour que les citoyens retrouvent un minimum de considération et de confiance dans leur vie publique ».

Dès le 12 mai, la conférence des premiers présidents de cours d’appel s’alarmait du fait que les juridictions ne seraient plus en mesure de payer leurs factures cet été et réclamaient « l’attribution rapide de crédits » pour payer notamment les experts judiciaires. On comprend leur inquiétude. Ils viennent de perdre le premier garde des Sceaux qui leur avait donné l’espoir de voir enfin l’institution sortir de la misère…

Notes de bas de pages

  • 1.
    Rapport de l’Inspection générale des finances (mené conjointement avec l’Inspection des services judiciaires), « Les dépenses de fonctionnement courant des juridictions », janv. 2017, en ligne sur www.igf.finances.gouv.fr.
  • 2.
    Rapport d’information de Philippe Bas, président-rapporteur, Esther Benbassa, Jacques Bigot, François-Noël Buffet, Cécile Cukierman, Jacques Mézard et François Zocchetto, « Cinq ans pour sauver la justice », fait au nom de la commission des lois, n° 495 (2016-2017), 4 avr. 2017 (publication intégrale le 12 avr.), en ligne sur www.senat.fr.
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