Conflit masqué et conflit masquant

Pour une lecture des ressorts psychologiques de la médiation en matière familiale
Publié le 27/01/2020

La médiation familiale bénéficie d’un franc succès dans la pratique. Le présent article, portant sur ses ressorts psychologiques, se propose de donner une des clefs de lecture de sa réussite. Il faut, en effet, pour bien comprendre l’intérêt de ce mode alternatif de règlement des conflits, dissocier le conflit masqué du masquant.

D’un point de vue sociologique, la famille est un groupe élémentaire formé d’individus que relie entre eux un fait d’ordre biologique (union de sexes, procréation, etc.). D’un point de vue juridique, il s’agit de l’ensemble des personnes unies par le mariage, la parenté, la filiation ou l’alliance. Il est usuel, au sens étroit du terme, de limiter la famille aux époux et à leurs descendants. Les deux données de la famille sont donc l’union (mariage, pacs, etc.) et la filiation (naturelle ou adoptive). Il arrive, en revanche, qu’une désunion de fait bouscule cette cellule, laquelle peut rendre intolérable la continuation de la vie commune. Les dissentiments préexistent au divorce ou, plus largement, à la séparation, et perdurent parfois au-delà de la décision juridique1.

C’est en embrassant ce temps long, celui de la gestion du conflit, que les mécanismes alternatifs revêtent tout leur intérêt en droit de la famille2. Assurément, les MARC sont une formule plus souple que le jugement, parce qu’ils contraignent les parties uniquement par l’accord qu’elles ont conclu entre elles. C’est une façon de concilier efficacité et douceur dans la gestion du conflit. Comme chacun sait, l’adhésion des parties à la solution trouvée est la meilleure garantie de pacification. Ne dit-on pas d’ailleurs qu’une « mauvaise transaction vaut mieux qu’un bon procès »3 ? Cette efficacité est particulièrement sensible dans un très vieux mécanisme de l’antiquité, l’accord, que l’ancien droit et le droit positif ont fait revivre. La diversité de l’offre amiable étant assez ample4, l’accord, lorsqu’il n’émane pas directement des parties, peut être aidé par un conciliateur ou un médiateur. Contrairement aux apparences, ces deux termes recouvrent deux réalités différentes5 ; si le médiateur est nécessairement un tiers distinct du juge, le conciliateur6 peut avoir plusieurs casquettes (tiers, magistrat, etc.)7. C’est donc la garantie d’indépendance qui marque la frontière de ces deux mécanismes. La raison est simple : les textes législatifs qui les ont institués ont été rédigés à des époques différentes et superposés, sans cohérence, à l’ensemble des modes alternatifs8. La conséquence, en revanche, est plus compliquée ; il est difficilement pensable aujourd’hui qu’un conciliateur ne soit pas indépendant9. L’indépendance, aujourd’hui, tient tout autant dans la volonté de contourner la sphère judiciaire et d’éviter le juge10. Les faits parlent d’eux-mêmes ; la conciliation par le magistrat est en échec, alors que la conciliation déléguée montre de bons résultats11. Par ailleurs, la médiation, dont le mécanisme procédural est plus abouti, entre en pleine ascension12 ; répondant aux exigences d’indépendance et d’impartialité, elle ajoute l’obligation de confidentialité qui permet de garantir les meilleures conditions pour un dialogue serein entre les parties13.

C’est ce dialogue qui, ici, nous intéresse particulièrement. En cas de divorce, par exemple, la médiation « permet de ne pas étendre le conflit aux environnements familial et amical immédiats, pris très souvent dans la spirale du tiraillement entre les époux qui se séparent »14. Ce point, relevé par les praticiens, mérite d’être développé.

Il nous semble, en effet, qu’il existe dans la gestion des différends deux types de conflits, souvent très liés l’un à l’autre. Le juge, lorsqu’il traite une affaire, ne voit qu’une seule partie de l’iceberg…

La situation conflictuelle est souvent antérieure à l’affaire qui mène au juge. Mais on ne la voit pas au premier coup d’œil. Dans le cas d’un divorce, il peut s’agir d’un dissentiment général qui a pu naître d’injures, d’adultère ou de prémisses d’adultère (galanteries préparatoires, flirts imprudents, etc.), de sévices physiques ou psychologiques, de difficultés à admettre une rupture ou, plus généralement et quelle qu’en soit la cause, de toute émotion vive qui ne permet pas de restaurer un lien social et paisible entre deux personnes qui se sont séparées.

Cette situation conflictuelle, présente « sous la braise », peut engendrer d’autres conflits qui, le plus souvent, seront portés devant le juge. Il s’agit là de ce que nous voudrions appeler la théorie du conflit masquant et du conflit masqué.

Pour éclaircir le propos, prenons un litige : deux personnes, qui ont un enfant ensemble, ont divorcé et ne s’entendent pas ; chaque rapport est conflictuel. Pour nourrir la dispute sous-jacente, l’un des parents refuse de payer la pension alimentaire qu’il doit verser à son ex-époux malgré sa solvabilité ou refuse de respecter les modalités de garde d’enfants. Cette affaire est portée devant le juge. Il est possible que ce dernier ne parvienne pas à raisonner les parties et que son jugement, s’il est bien fondé en droit, ne permette pas de réguler la situation de fait. Le juge, en effet, intervient sur le conflit masquant (le non-paiement des pensions alimentaires), et non sur le conflit masqué (dissentiment des ex-époux). C’est là, en vérité, que peut intervenir le médiateur. En favorisant le dialogue entre les parties, il va peut-être pouvoir agir non pas sur le conflit masquant, mais sur le conflit masqué. La médiation familiale peut être une bonne solution lorsque l’affaire est bloquée et il faut se réjouir, croyons-nous, de sa mise en place…

Notes de bas de pages

  • 1.
    Le procédé, traitant des conflits internes aux familles qui sont autant de petites communautés, est très bien détaillé par Tercq N. et Mbanzoulou P., La médiation familiale pénale, Paris, 2004, L’Harmattan ; Moutardier H. et Vincot A., « Convention de procédure participative », AJ fam. 2017, p. 120 ; Aufière P., « Processus de médiation familiale et divorce par convention sous-seing privé », AJ fam. 2017, p. 117 ; Thouret S. et Avena-Robardet V., « Divorce par consentement mutuel conventionnel », AJ fam. 2017, p. 125 ; Casey J., « Convention de divorce par consentement mutuel », AJ fam. 2017, p. 96 ; Aufière P., Housty F. et Schellino E., « La médiation par consentement mutuel et le divorce privé », AJ fam. 2017, p. 49, Aufière P. et Schellino E., « Modèle de requête conjointe du couple marié demandant la mise en place d’une médiation familiale et patrimoniale avant de signer une convention de divorce par consentement mutuel », AJ fam. 2017, p. 111 ; Moutardier H., « La procédure participative et le divorce par consentement mutuel », AJ fam. 2017, p. 54.
  • 2.
    Le mécanisme est particulièrement bien reçu dans la doctrine et chez les praticiens. Juston M. et Comba G., « Pratique de la médiation familiale », AJ fam. 2005, p. 399 ; Summa F., « Bilan et perspectives d’avenir de la médiation familiale en France et à l’étranger (1990 à 2005) » AJ fam. 2006, p. 155 ; Avena-Robardet V., « La médiation familiale encouragée ! » AJ fam. 2013, p. 328 ; Juston M. et Gargoullaud S., « La médiation familiale au soutien de la coparentalité », AJ fam. 2014, p. 263 ; Ganancia D., « Quand la médiation familiale entre dans le Code civil » AJ fam. 2003, p. 48 ; Lienhard C. et Copin J.-P., « Médiation pénale familiale : un mode alternatif au contentieux pénal familial », AJ fam. 2002, p. 254 ; Ganancia D., « La médiation familiale internationale : une solution d’avenir aux conflits transfrontières », AJ fam. 2002, p. 327 ; Lienhard C., « Médiation familiale et contrat de coparentalité : l’histoire s’accélère », AJ fam. 2014, p. 360 ; Van Kote A., « Les enfants et la médiation familiale », AJ fam. 2009, p. 337 ; Bensimon S., « Autre mode de règlement alternatif des litiges : la médiation », AJ fam. 2010, p. 258 ; Avena-Robardet V., « Rénovation de la politique familiale », AJ fam. 2013, p. 326 ; Juston M., « La médiation familiale - Regard d’un juge aux affaires familiales sur la médiation familiale à distance et internationale », AJ fam. 2016, p. 333.
  • 3.
    Aynès L. et Malaurie P., « La transaction », Defrénois 30 juin 1992, p. 769.
  • 4.
    Amrani Mekki S., « Les “nouveaux” titres exécutoires : les accords amiables homologués », Dr. & patr. Mensuel 2013, p. 231.
  • 5.
    Malgré toute la difficulté de la distinction, Dion N., De la médiation. Essai pour une approche créatrice et pacifiée du conflit, Paris, 2011, Mare et Martin, p. 56.
  • 6.
    Le conciliateur est un tiers impartial soumis à la confidentialité ayant pour mission de rechercher le règlement amiable d'un différend, CPC, art. 1530 et CPC, art. 1531. Il y a trois types de conciliation ; la conciliation par le juge (souvent intégrée dans l’instance, par exemple : devant la juridiction de proximité, le conseil des prud’hommes ou le juge aux affaires familiales), la conciliation déléguée par le juge à un conciliateur de justice ou la conciliation conventionnelle menée par un conciliateur de justice.
  • 7.
    Conseil d’État, Régler autrement les conflits, Paris, Documentation française, 1993, p. 39 ; Guillaume-Hofnung M., « La médiation », AJDA 1997, p. 30 ; Guyomar M., Contentieux administratif, Paris, 2014, Dalloz, p. 248.
  • 8.
    Brochier M., « Pour une clarification des procédures de médiation et de conciliation dans le Code de procédure civile », D. 2015, p. 389.
  • 9.
    Brochier M., « Pour une clarification des procédures de médiation et de conciliation dans le Code de procédure civile », D. 2015, p. 389.
  • 10.
    Magendie J.-C., Célérité et qualité de la justice, les conciliateurs de justice, Paris, ministère de la Justice, 2010, p. 46-47 ; Martin R., « Quand le grain ne meurt... de conciliation en médiation », JCP 1996, 3977.
  • 11.
    Joly-Hurard J., Conciliation et médiation judiciaires, thèse, 2002, dactyl. Paris, § 371 ; Jarrosson C., « La compétence d’attribution du conciliateur de justice est-elle calquée sur celle du juge d’instance ? », RGDP 1999, n° 4, p. 762 ; Joly-Hurard J., « Le nouveau pouvoir d’injonction du juge en matière de conciliation judiciaire », D. 2003, p. 928.
  • 12.
    Et dans tous les domaines, Mélin N., « La médiation : points d’actualité », Gaz. Pal. 13 août 2015, n° 236k9, p. 9 ; Cornevaux A., « Les modes alternatifs de règlement des litiges », LPA 26 juin 1998, p. 56 ; Vayre P., « Transaction extrajudiciaire : règlement amiable des complications des actes médico-chirurgicaux », Gaz. Pal. 20 juin 2002, n° C6564, p. 27 ; Ganancia D., « Enjeux et perspectives de la médiation au tribunal de grande instance de Paris », Gaz. Pal. 28 mai 2011, n° I6015, p. 14.
  • 13.
    Il s’agit là d’un « souci pragmatique », selon l’expression de Korodi F., « La confidentialité de la médiation », JCP G 2012, 49, 1 ; malgré cette avancée, le processus reste encore fragile et devrait être davantage appuyé par les textes ; sur ce sujet, Schenique L., « De la confidentialité en médiation », LPA 18 juin 2014, p. 6 ; sur la tentative de conciliation, Guinchard S., « L’ambition d’une justice civile rénovée », D. 1999, p. 65.
  • 14.
    Juston M., « La médiation familiale - Désamour et Droit », AJ fam. 2016, p. 322.
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