La « médiation agressive » : oxymore ou émergence d’une médiation d’un nouveau genre ?

Publié le 05/06/2018

La posture du médiateur doit-elle nécessairement être empathique ? La pratique contemporaine de la médiation aux États-Unis – incarnée notamment par l’agressive mediation (ou « médiation agressive ») – incline à répondre négativement à cette interrogation. La présente étude entend, donc, décrire – dans les grandes lignes – le fonctionnement de cette forme nouvelle et iconoclaste de médiation ainsi qu’en expliciter les vertus éventuelles tout en vérifiant sa conformité avec les préceptes déontologiques fondamentaux du médiateur.

1. L’engouement législatif pour les MARD : la promotion du développement d’une « culture » de la médiation. Les modes amiables de règlement des différends (MARD) – au premier chef desquels se trouve la médiation – n’ont jamais eu autant le vent en poupe en France, à tout le moins, d’un point de vue législatif1. L’on ne compte plus, en effet, les lois et les décrets promulgués ou en passe de l’être en la matière. À telle enseigne que l’exposé des motifs du projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022 va même jusqu’à proposer de « développer la culture du règlement amiable des différends »2. Ce texte se poursuit en indiquant qu’« à cette fin, [il convient d’] étendre le pouvoir d’injonction [du juge] de rencontrer un médiateur ». Ainsi, si ce cap est maintenu, la médiation est promise, en France, à un avenir radieux3.

2. L’absence de règles officielles régissant l’activité de médiateur. Cela étant – aussi paradoxal que cela puisse paraître et à la différence de certaines institutions « voisines » telles que le Défenseur des droits qui disposent depuis peu d’un véritable Code de déontologie4 – il n’existe toujours pas, à l’heure actuelle, en France, un corpus « officiel »5 de règles déontologiques régissant l’activité de médiateur6, même si l’on trouve ça et là quelques codes « privés » de déontologie du médiateur7. C’est, au reste, l’une des raisons qui a poussé le collectif Médiation 218 à décider d’organiser la tenue des états généraux de la médiation, à l’assemblée nationale, le vendredi 15 juin prochain. L’objectif majeur de cette manifestation – selon ses organisateurs eux-mêmes – réside dans le fait « de parler d’une voix forte aux pouvoirs publics, mais aussi [et surtout] de réaliser un livre blanc à partir des résolutions traitant de thèmes qui seront présentés et votés lors de ces états généraux »9. Au titre des thématiques traitées par ce livre blanc à venir, l’on retrouve donc – pour le moins logiquement – le statut du médiateur et l’éthique et la déontologie de ce dernier. On mesure ainsi que l’avènement d’une véritable culture de la médiation dans la sphère juridique (voire extra-juridique) française ne pourra véritablement se réaliser qu’une fois que le statut du médiateur et ses principes éthiques et déontologiques seront clairement définis.

3. Confiance dans la médiation et confiance dans le médiateur grâce à la déontologie. Le recours à un mode amiable de règlement des différends ne pourra, en effet, devenir un réflexe pour les personnes confrontées à un litige qu’à partir du moment où elles ont confiance dans le processus amiable mis en œuvre. Or « la confiance des parties ne dépend pas du mode de résolution amiable choisi : elle va dépendre à la fois de la personnalité et de l’empathie10 du tiers et de l’adéquation du processus choisi par rapport à leur situation »11. Il apparaît donc pour le moins nettement que la confiance que les futurs ou potentiels médiés12 auront dans la médiation – par exemple – sera fonction de la confiance que leur inspirera la personne même du médiateur. Ainsi, comme l’a soutenu un éminent auteur, « la médiation exige, c’est évident, la confiance dans le médiateur »13. Ce dernier poursuit son propos en ajoutant que « la confiance repose aussi sur la déontologie du médiateur, une déontologie qui garantit son indépendance, sa neutralité, le respect de la confidentialité »14 et l’exercice de son activité avec impartialité et humanité, à l’instar, des avocats15 notamment.

4. L’agressivité ou l’ennemi de la médiation ? Or l’on peut assez légitimement se demander si des atteintes substantielles pourraient être portées à, au moins, trois de ces principes déontologiques fondamentaux – à savoir l’humanité, la neutralité et l’impartialité – si d’aventure le médiateur se montre hostile envers les parties en médiation, ie envers les médiés. Plus précisément, le fait, pour le médiateur, d’adopter une posture agressive dans l’animation proprement dite du processus de médiation est-il totalement incompatible avec l’éthique attendue d’un médiateur digne de ce nom ? Ces dernières années, l’on a pu, en effet, assister à l’émergence aux États-Unis d’une nouvelle technique de médiation qui passe pour être extrêmement iconoclaste en ce qu’elle est fondée sur l’antipathie voire l’hostilité du médiateur envers les médiés. Celle-ci est, généralement, désignée par l’expression agressive mediation ou, encore, hostile mediation et est censée permettre de maximiser les chances de réussite du processus de médiation en créant un sentiment d’entraide voire de solidarité entre les parties en médiation qui se voient poussées dans leurs retranchements par celui étant en passe de devenir leur « ennemi commun », à savoir le médiateur. Dans ces conditions, l’expression « médiation agressive » sonne-t-elle réellement comme un oxymore ou bien aurait-elle tout de même quelques vertus ?

5. Annonce du plan. Afin d’être en mesure d’apprécier si le comportement acariâtre du médiateur à l’égard des médiés est susceptible de porter atteinte aux principes d’humanité, de neutralité et d’impartialité qu’il doit strictement respecter (II), il est impératif de tenter – au préalable – de les définir et d’en saisir – le plus nettement possible – le contenu (I).

I – Les principes d’humanité, de neutralité et d’impartialité du médiateur : essai d’une définition homogène et explicitation de leur contenu

6. Ouverture. Il conviendra de tenter de proposer une définition relativement homogène et d’expliciter le contenu de chacun des trois principes directeurs suivants : l’humanité (A), la neutralité (B) et l’impartialité (C).

A – Le principe d’humanité

7. L’humanité, notion cardinale de la médiation. Même si le principe d’humanité n’a jamais été consacré dans les différents textes – ni par les différents codes de déontologie d’essence privée – régissant la médiation tant au niveau international que national, il n’en demeure pas moins que les médiateurs doivent être obligatoirement mus par un tel principe ; à tout le moins, afin de maximiser les chances de succès de la médiation entreprise. Il est, en effet, évident que l’humanité, voire l’humanisme, est consubstantielle au processus de médiation.

8. Proposition doctrinale de définition générale du principe d’humanité. Bien que la notion soit quelque peu évanescente, la doctrine a tout de même tenté d’en proposer une définition générale. Ainsi a-t-il été soutenu que :

« 1) La personne humaine est au cœur de la médiation et la médiation au cœur de la personne humaine.

2) La médiation a pour objectif de rétablir ou d’améliorer le dialogue entre les personnes parties au processus, de manière à leur permettre de trouver elles-mêmes à leur problème ou différend une solution mutuellement avantageuse.

3) La médiation a pour effet d’atténuer, de mettre fin ou de prévenir les souffrances ou les préoccupations des parties »16.

À la lecture de cette définition, il semble donc permis d’affirmer que la médiation est un mode amiable et humaniste de règlement des différends, vecteur d’irénisme par excellence. Autrement dit, la médiation est un humanisme !

9. Les manifestations du principe d’humanité : la gestion émotionnelle, psychologique et empathique du conflit. Il relève quasiment du truisme de préciser que les aspects psychologiques relatifs au processus de médiation sont de toute première importance17. Nul ne peut contester, en effet, que « la principale mission du tiers [ie du médiateur] consiste à s’intéresser aux personnes et aux liens entre ces personnes, à les aider, à les rétablir ou à les reconstruire. (…) D’une part, le processus de médiation va s’intéresser surtout aux personnes : à leurs émotions, valeurs, besoins, préoccupations et intérêts. (…) D’autre part, le processus va conduire chacune des parties à une introspection, à un voyage au sein de soi-même, pour s’y découvrir et re-connaître l’autre. (…) La tâche du médiateur vise essentiellement à permettre aux parties de renouer, reconstruire ou préserver leurs liens, par le dialogue retrouvé ou renouvelé. Son objectif tend à reconstruire l’avenir (…). La manifestation de la souffrance humaine des parties n’est pas éliminée du processus, bien au contraire : elle peut s’y exprimer librement (…). Dans les conflits commerciaux (…), les émotions ne sont pas non plus absentes chez les représentants des personnes juridiques. La diminution de la souffrance ou des préoccupations humaines n’est cependant que la conséquence du processus, le médiateur n’étant pas le thérapeute des parties, mais celui qui leur accorde toute son empathie, et qui facilite l’expression parfois libératrice de leurs émotions »18. Partant, afin d’être en mesure d’atteindre ces objectifs, les médiateurs doivent être pourvus de qualités humaines exacerbées et être mus par des sentiments de paix19. C’est, notamment, la raison pour laquelle le Code national de déontologie du médiateur précise, dans son préambule, que « les organisations et les personnes physiques, signataires du présent Code de déontologie, affirment leur attachement aux Droits Humains (…)»20. Les aspects anthropologiques de la médiation sont, donc, par hypothèse, fondamentaux21.

B – Le principe de neutralité

10. Propositions de définition. De manière générale, il est permis d’affirmer que « le tiers médiateur n’instruit pas le cas, parce qu’il ne suit pas la démarche du syllogisme22 juridique ; il gère essentiellement la communication et la négociation entre les parties. Ce faisant il s’interdit de donner son opinion personnelle et demeure neutre jusqu’à la fin du processus et même au-delà »23. C’est là, donc, un principe déontologique majeur du médiateur. Partant, il n’est pas surprenant de le voir consacré dans le Code national de déontologie du médiateur précédemment cité. Au titre de la « posture du médiateur », ce texte prévoit ainsi que : « le médiateur accompagne les personnes dans leur projet, sans faire prévaloir le sien. Pour ce faire, le médiateur s’engage, impérativement, à un travail sur lui-même et sa pratique. Il s’engage à participer de manière régulière à des séances collectives d’analyse de la pratique. Il est recommandé d’y associer une supervision »24. Ainsi, « la neutralité correspond au souci de ne pas infléchir, soit au profit d’une mission complémentaire (sécurité, assistance, aide, équité, justice) soit d’un résultat que le médiateur estimerait bénéfique. L’absence d’inflexion corrobore l’autonomie de la médiation et de ses fonctions ainsi que la liberté des médieurs. Il les accompagne dans leur projet sans faire prévaloir le sien »25.

C – Le principe d’impartialité

11. Considérations d’ordre général. À titre liminaire, il semble permis d’affirmer que l’impartialité de ce tiers qu’est le médiateur « s’analyse en une absence de prévention, de parti pris, soit par antipathie, soit par affinité. Elle est le minimum qu’on puisse exiger d’un médiateur, qui doit éviter le soupçon de partialité »26. De manière plus précise et technique (voire recherchée), il a été relevé que « s’il faut reconnaître qu’en pratique la probité des médiateurs ne fait pas sérieusement défaut, sur le plan de l’apparence – au cœur de la légitimité de la médiation – l’impartialité [peut paraître] illusoire. Pour que la médiation soit une alternative crédible à l’appareil judiciaire, il faut qu’elle apparaisse impartiale aux yeux des justiciables. La formule de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) selon laquelle “justice must not only be done ; it must also be seen to be done” vaut certes pour les juridictions, mais elle doit également s’appliquer dans le cadre de la médiation ; sinon ce mode [amiable] de résolution des conflits ne révélera pas tout son potentiel »27. L’impartialité du médiateur s’impose donc comme étant un principe cardinal de la médiation. Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que l’article 2.2 du Code de conduite européen pour les médiateurs dispose que : « l’action du médiateur doit en permanence être impartiale et elle doit être vue comme telle. Le médiateur doit s’engager à servir toutes les parties d’une manière équitable dans le cadre de la médiation »28. On ajoutera que l’article 1530 du Code de procédure civile prévoit, également, l’impartialité du médiateur dans le cadre – notamment – de la médiation conventionnelle29.

12. La « multipartialité » : le dérivé idoine de l’impartialité ? D’aucuns ont pu soutenir – de manière, au demeurant, très subtile – que « certes le médiateur doit agir sans prévention ni préférence, mais il n’a pas à opérer un choix dans la recherche de la solution, qui appartient aux seules parties. Il n’est tout simplement pas dans un contexte d’impartialité. Un médiateur impartial est donc un oxymore. C’est donc à juste titre que le néologisme multipartialité a été forgé pour qualifier à la fois l’état d’esprit qui anime le médiateur et les prestations positives qu’il doit fournir de manière égale ou tout au moins équivalente aux parties, en leur accordant à tous son empathie. Le concept contient aussi l’idée d’équité et celle d’égalité envers les parties, que l’on rencontre parfois dans la littérature »30. Les tenanciers de cette doctrine considèrent, donc, que le « médiateur impartial » doit s’effacer au profit du « médiateur multipartial »…

13. Le médiateur empathique, l’archétype du médiateur humaniste, neutre et impartial ? Partant, en vertu des principes déontologiques susmentionnés, la posture « classique » – qui vient le plus spontanément à l’esprit lorsque l’on pense à un médiateur – est celle d’une personne empathique et bienveillante mue par la compassion et la sollicitude31. Est-ce toutefois à dire que le médiateur qui ferait délibérément le choix de mener les débats en adoptant une attitude très désagréable voire agressive envers les médiés violerait les principes fondamentaux présidant à la médiation ? Autrement dit, l’aggressive ou hostile mediation – ainsi que se plaisent à la qualifier les anglo-américains – est-elle totalement antithétique avec le respect des principes en question ? Pire encore, cette pratique doit-elle être littéralement considérée comme une non-médiation ? En somme, à l’instar du sportif qui, violant gravement les règles du jeu, se rend coupable d’un comportement antisportif (unsportsmanlike conduct en anglais), doit-on nécessairement qualifier d’unmediatorlike conduct (que l’on pourrait traduire par « comportement contraire à la médiation »), l’attitude du « médiateur agressif » ?

II – L’aggressive ou hostile mediation : un type de médiation en contradiction avec les principes déontologiques du médiateur, voire une non-médiation ?

14. Ouverture. Avant de confronter la « médiation agressive » aux principes déontologiques essentiels du médiateur (B), il conviendra au préalable, d’exposer les principaux outils traditionnels dont il dispose ainsi que les nouvelles techniques pouvant s’offrir à lui à l’heure actuelle (A).

A – La « boîte à outil » du médiateur : exposé des principales techniques tant traditionnelles que contemporaines

15. Les outils traditionnels du médiateur : l’écoute et la communication non violente. On apprend généralement aux aspirants médiateurs des techniques leur permettant de dédramatiser, d’apaiser un conflit face à des parties récalcitrantes voire, littéralement, en colère32. En somme, on leur fournit des outils pour gérer une situation conflictuelle voire de crise avec flegme et maîtrise. Dans la panoplie du médiateur, l’on trouve, donc, habituellement un recours intensif aux différentes techniques d’écoute, de compréhension et de reformulation telles que théorisées, notamment, par Carl R. Rogers33. La « communication non violente » (ou CNV) a, également, une place de choix dans l’arsenal à disposition du médiateur. Son concepteur – à savoir Marshall B. Rosenberg – la définit lui-même, dans son livre fondateur, comme « le langage et les interactions qui renforcent notre aptitude à donner avec bienveillance et à inspirer aux autres le désir d’en faire autant »34. Dès lors, autant dire qu’en la matière, le maître-mot semble être l’empathie.

16. L’émergence de nouvelles techniques de médiation fondées sur l’agressivité du médiateur. Est-ce à dire, néanmoins, que cette posture traditionnelle du médiateur soit, en toutes hypothèses, la seule à même de permettre aux parties de parvenir à un accord mettant un terme à leur différend ? Autrement dit, le fait que le médiateur puisse se montrer lui-même hostile voire agressif envers les médiés ne pourrait-il pas avoir des vertus sur le terrain de la résolution des conflits des parties à la médiation ? La « communication agressive », ou plutôt, « antipathique » n’aurait-elle, donc, jamais droit de cité en médiation ?

Aussi paradoxal voire surprenant que cela puisse paraître de prime abord, de très récentes études américaines35 tendent, en effet, à démontrer que le fait pour un médiateur d’adopter une posture hostile voire agressive envers les médiés36 peut permettre aux parties de maximiser leurs chances de parvenir à un accord. Ainsi, il a été démontré qu’un médiateur optant pour une posture bilieuse et irascible matérialisée par un discours aux accents corrosifs voire sarcastiques peut faciliter la résolution d’un litige. Un comportement aussi antipathique – au sens littéral du terme – peut en effet, dans certaines situations, faire naître un véritable sentiment de solidarité entre les médiés leur permettant de s’unir en vue d’atteindre un objectif commun et transcendant37. Cette agressivité du médiateur conduira les parties à identifier, dès les premières minutes du processus de médiation, un ennemi commun en la personne de celui-ci. C’est ainsi que les parties se ligueront contre ce médiateur en se mettant d’accord sur les points cruciaux qui les opposaient jusque-là38.

B – Les principes déontologiques essentiels du médiateur à l’épreuve de la « médiation agressive »

17. « Médiation agressive » vs principe d’humanité. L’on pourrait, néanmoins, se demander, pour le moins légitimement, si cette attitude belliqueuse du médiateur, fût-elle uniquement de façade, n’est pas antinomique avec, tout d’abord, le principe d’humanité devant impérativement le caractériser. Nous ne le pensons pas. Car, cette posture cynique est en quelque sorte un mal nécessaire, un mal qui fait in fine du bien39. Cette attitude est, en effet, raisonnée et poursuit un dessein spécifique, une finalité supérieure, à savoir susciter la haine pour obtenir la paix. Ainsi cette quête irénique n’est-elle pas la preuve d’un penchant aigu pour l’humanisme ? À la faveur d’une analyse téléologique de bon sens, une réponse par l’affirmative ne peut que s’imposer. Cette médiation « agressive » ou « hostile » consiste, donc, dans un processus de sublimation de l’aversion ou de la haine largo sensu en vue d’atteindre le Graal absolu du médiateur, à savoir une solution consensuelle des parties. Autrement dit, cette pratique spécifique de la médiation induit une certaine abnégation – pour ne pas dire une abnégation certaine – de la part du médiateur au profit de la réalisation d’un idéal bien supérieur : la résolution du litige opposant les médiés. Or le don de soi n’est-il pas l’expression de l’une des plus belles valeurs humanistes ?

18. « Médiation agressive » vs principe de neutralité. Quid, à présent, du principe de neutralité du médiateur ? Tel que défini précédemment, le principe de neutralité du médiateur lui commande de ne pas faire prévaloir son projet au détriment de celui des parties/médiés. Autrement dit, le médiateur ne doit pas tenter d’imposer à ceux-ci les principes de solution qu’il préconiserait40. Il ne doit, en effet, aucunement infléchir sur l’accord final des médiés41. Or en quoi une posture antipathique voire agressive du médiateur serait en contradiction avec cette absence d’inflexion ? Bien au contraire, une telle attitude de médiateur renforce, selon nous, la neutralité de ce dernier. Car, ce comportement permet aux médiés de se désolidariser totalement du discours du médiateur en les incitant à s’entendre voire à s’unir dans le but d’élaborer une solution à leur litige qui les satisfasse mutuellement et qui soit exclusivement le reflet de leurs desiderata respectifs. En somme, certes le médiateur, dans le cadre d’une « médiation agressive », donnera nécessairement au processus de médiation une intensité mélodramatique mais qui ne peut être analysée comme une atteinte au principe de neutralité auquel il doit une stricte observance. L’on ajoutera que cette attitude – pour le moins iconoclaste du médiateur – tendant à faire montre d’une agressivité raisonnée au cours du processus de médiation n’est pas sans rappeler la pratique à laquelle ont recours certains médiés via la reasonably aggressive settlement offer que l’on pourrait traduire par « proposition modérément agressive de règlement », sous-entendu du litige42.

19. « Médiation agressive » vs principe d’impartialité/multipartialité. Il convient, enfin, de confronter la « médiation agressive » au principe d’impartialité/multipartialité. Ainsi que nous l’avons évoqué précédemment, le principe d’impartialité du médiateur se matérialise, notamment, par l’absence de parti pris du médiateur soit par antipathie, soit par affinité. Partant, l’on pourrait tenter de croire que la « médiation agressive », reposant essentiellement sur l’attitude antipathique voire agressive du médiateur, heurterait de front le principe d’impartialité. Cela dit, si l’on appréhende cette question sous l’angle de la « multipartialité », cette difficulté semble s’estomper. Si l’on part en effet du principe que, dans le cadre d’une « médiation agressive », le médiateur fait montre de la même hostilité (en termes d’intensité notamment) à l’encontre de chaque médié43, l’on ne pourra pas raisonnablement le taxer de partialité voire de favoritisme. Ainsi tous les médiés sont-ils logés à la même enseigne et jouissent-ils d’une égalité de traitement de la part du médiateur. En outre, ce comportement spécifique du médiateur peut même s’avérer, dans certaines situations, plus respectueux du principe d’impartialité du médiateur que la posture empathique usuelle de celui-ci. La ligne démarcation entre l’empathie raisonnée et raisonnable, en totale harmonie avec les préceptes de la médiation, et l’empathie excessive envers un médié en particulier confinant au favoritisme et critiquable déontologiquement parlant peut parfois, en effet, s’avérer des plus ténues.

20. Propos conclusifs : le médiateur « agressif », un homo mediator bonus ? Au terme de cette brève étude, il semble permis d’affirmer que l’agressivité (du médiateur) ne doit pas (ou plus) être considérée, à tout le moins dans tous les cas, comme un tabou en médiation, en ce qu’elle ne porte pas substantiellement (et surtout systématiquement) atteinte aux principes d’humanité, de neutralité et d’impartialité du médiateur lorsque l’on en fait, naturellement, un usage raisonné et raisonnable. Ainsi, le recours, par le médiateur, à la « communication antipathique » dans le cadre d’une « médiation agressive » peut, parfois, avoir des vertus sur le terrain du règlement des différends opposant les médiés. En somme, la « médiation agressive » peut s’avérer utile44. Cela dit, cette posture d’un nouveau genre ô combien iconoclaste – ne doit pas pour autant être systématiquement mise en œuvre. Il appartiendra, en effet, au médiateur de déterminer en amont, grâce, notamment, à des entretiens préalables avec les médiés, quelle posture (empathique ou antipathique) devra être privilégiée au cours du processus de médiation proprement dit afin d’en maximiser les chances de succès. En somme, un médiateur, adoptant une altitude hostile, de manière assumée et calculée, envers les médiés dans le but exclusif de leur permettre de faire émerger un accord, n’en demeurera donc pas moins, d’un point de vue éthique, un véritable homo mediator bonus mû par des valeurs résolument humanistes. Autrement dit, un médiateur, qui opterait pour une telle posture pour les besoins de la cause, devra être considéré comme un honnête et juste médiateur, ie comme un médiateur humaniste, neutre et impartial. Qui a dit – au reste – que la médiation était nécessairement une « maïeutique sans douleur » ?

Notes de bas de pages

  • 1.
    Belloubet N., « Préface », in Casaux-Labrunée L. et Roberge J.-F. (dir.), Pour un droit du règlement amiable des différends. Des défis à relever pour une justice de qualité, 2018, LGDJ-Lextenso, p. VI : « Autant d’hommages du législateur contemporain aux pratiques anciennes, qui font de l’histoire récente du droit une période largement favorable à l’alternative au juge ».
  • 2.
    Rappr. idem : « Consécration suprême d’une véritable culture française de l’alternative, la diversité de l’offre de formation accompagne ces évolutions ; ainsi de nombreuses universités proposent-elles aujourd’hui à leurs étudiants un troisième cycle consacré à l’étude et à l’analyse d’outils juridiques permettant une certaine pacification des relations sociales. (…) Que manque-t-il ? Peut-être (…) le développement d’une véritable culture de la conciliation ».
  • 3.
    Comp. Boissavy M., « L’avenir de la médiation en France », in Clay T., Fauvarque-Cosson B., Renucci F. et Zientara-Logeay S. (dir.), États généraux de la recherche sur le droit et la justice, 2018, LexisNexis, Mission de recherche Droit & Justice, p. 397-403.
  • 4.
    V. Déc. n° 2018-07, 29 janv. 2018, portant adoption du Code de déontologie du Défenseur des droits : https ://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000036630260.
  • 5.
    Ie qui aurait été introduit en droit positif via un texte législatif proprement dit.
  • 6.
    V., en ce sens, Casaux-Labrunée L., « La confiance dans le règlement amiable des différends. Pour un changement de culture juridique », in Casaux-Labrunée L. et Roberge J.-F. (dir.), Pour un droit du règlement amiable des différends. Des défis à relever pour une justice de qualité, 2018, LGDJ-Lextenso, p. 34-35. Adde Meyer N., « De l’activité au métier. L’enjeu de la professionnalisation de la médiation », in Casaux-Labrunée L. et Roberge J.-F. (dir.), op. cit., p. 406 et p. 408.
  • 7.
    Tels que, par exemple, le Code national de déontologie du médiateur (v. http://www.anm-mediation.com/images/anm/documents/code-de-deontologie.pdf) ou encore le Code de conduite européen pour les médiateurs (v. http://www.cimj.com/fr/base-documentaire/article/8-code-de-conduite-europeen-pour-les-mediateurs). Sur ceux-ci, v. infra.
  • 8.
    Qui regroupe de nombreuses associations, organisations et fédérations de médiation.
  • 9.
    http://www.etatsgenerauxmediation.fr/infos/.
  • 10.
    Étant précisé, néanmoins, que l’antipathie voire l’hostilité de façade et assumée dont peut faire montre à dessein un médiateur correspond à un type spécifique d’animation ou de conduite du processus de médiation pouvant s’avérer hautement efficace (v. infra sur ce point).
  • 11.
    Mirimanoff J. (dir.), Dictionnaire de la résolution amiable des différends (RAD/ADR) en matière civile, commerciale, familiale et sociale, 2015, Larcier, V° « Confiance », p. 89.
  • 12.
    Il convient de préciser que les parties en médiation sont souvent appelées – non sans que cela suscite, au demeurant, quelques critiques parfois acerbes – des « médiés » voire des « médiants ». Ce sont là, en effet, des néologismes aux sonorités pouvant prêter massivement à confusion… Cela étant, le fait d’utiliser une terminologie spécifique et différenciée est tout de même opportun, tant il est vrai que les parties à une médiation ne sont pas des parties comme les autres, loin s’en faut. Ainsi, « le rôle des parties (médiants) confrontées à un problème ou à un conflit dans le processus de médiation se distingue essentiellement de celui qui est le leur dans une procédure judiciaire ou arbitrale : les médiants en sont les acteurs principaux, dans toutes les étapes. En effet, la médiation se préoccupe avant tout des personnes, avec leurs sentiments, leurs émotions, leurs valeurs, leurs besoins et leurs intérêts, alors que les procédures judiciaire ou arbitrale sont focalisées sur les faits, les aspects juridiques et les conclusions des parties, c’est-à-dire l’objet du litige. », Mirimanoff J. (dir.), Dictionnaire de la résolution amiable des différends (RAD/ADR) en matière civile, commerciale, familiale et sociale, op. cit., V° « Médiants », p. 203-204. En somme, en médiation, les parties peuvent être rapprochées d’« agents plénipotentiaires ». C’est, notamment, la raison pour laquelle « les médiants, de parties à un conflit, deviennent, partenaires à la médiation », ibid., p. 204. D’où le terme de « médieurs » que d’aucuns préfèrent parfois utiliser, v. not. en ce sens, Guillaume-Hofnung M., La médiation, 6e éd., 2012, PUF, Que sais-je ?, p. 70.
  • 13.
    Canivet G., Allocution d’ouverture au colloque « Confiance et médiation », 22 nov. 2006, https ://www.courdecassation.fr/publications_26/discours_entretiens_2039/archives_2201/discours_2006_4059/m._canivet_9596.html.
  • 14.
    Ibid.
  • 15.
    « Je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ».
  • 16.
    Mirimanoff J. (dir.), Dictionnaire de la résolution amiable des différends (RAD/ADR) en matière civile, commerciale, familiale et sociale, op. cit., V° « Humanité (principe d’) », p. 172-173.
  • 17.
    V., sur ce point spécifique, Fiutak T., Le médiateur dans l’arène : réflexion sur l’art de la médiation, 2009, Erès. Adde, plus largement sur les rapports entre la psychologie et le droit, v. Relmy J.-P., « L’étude des relations entre la psychologie et le droit : la psychologie juridique », in Clay T., Fauvarque-Cosson B., Renucci F. et Zientara-Logeay S. (dir.), États généraux de la recherche sur le droit et la justice, 2018, LexisNexis, Mission de recherche Droit & Justice, p. 121-132.
  • 18.
    Mirimanoff J. (dir.), Dictionnaire de la résolution amiable des différends (RAD/ADR) en matière civile, commerciale, familiale et sociale, op. cit., V° « Humanité (principe d’) », p. 172-173. Adde Pekar Lempereur A., Salzer J. et Colson A., Méthode de médiation, 2008, Dunod.
  • 19.
    Rappr. Poli C., « La médiation : une technique juridique au service de la paix en droit des affaires », in La Paix, un possible objectif pour les juristes en droit des affaires ?, 2016, LGDJ, p. 277-312.
  • 20.
    http://www.anm-mediation.com/images/anm/documents/code-de-deontologie.pdf.
  • 21.
    Rappr. Kerneis S., « Aspects anthropologiques des MARC », in Manuel interdisciplinaire des modes amiables de résolution des conflits, 2015, Larcier, p. 151-173.
  • 22.
    Rappelons que cette notion de syllogisme est classiquement définie comme un raisonnement objectif ou logique. Plus précisément, le Littré considère qu’il correspond à un « argument composé de trois propositions telles que la conséquence est contenue dans une des deux premières, et l’autre fait voir qu’elle y est contenue ; ces trois propositions s’appellent la majeure, qui contient l’attribut de la conséquence ; la mineure, qui en contient le sujet ; et la conséquence ou conclusion », https ://www.littre.org/definition/syllogisme.
  • 23.
    Mirimanoff J. (dir.), Dictionnaire de la résolution amiable des différends (RAD/ADR) en matière civile, commerciale, familiale et sociale, op. cit., V° « Neutralité », p. 226 ; comp. avec l’exigence de neutralité de la médiation en droits de l’homme, v. Fricero N., Le Guide des modes amiables de résolution des différends (MARD), 2e éd., 2015, Dalloz, p. 315-316, n° 251.16.
  • 24.
    www.anm-mediation.com/images/anm/documents/code-de-deontologie.pdf.
  • 25.
    Guillaume-Hofnung M., La médiation, 6e éd., 2012, PUF, Que sais-je ?, p. 73.
  • 26.
    Ibid.
  • 27.
    Nicolas-Gréciano M., « La médiation civile : bilan et perspectives », in Gréciano P. (dir.) La médiation dans un monde sans frontière, 2017, Mare et Martin, p. 45.
  • 28.
    http://www.cimj.com/fr/base-documentaire/article/8-code-de-conduite-europeen-pour-les-mediateurs.
  • 29.
    « La médiation (…) s’enten[d] de tout processus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers choisi par elles qui accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence ».
  • 30.
    Mirimanoff J. (dir.), Dictionnaire de la résolution amiable des différends (RAD/ADR) en matière civile, commerciale, familiale et sociale, op. cit., V° « Multipartialité », p. 215.
  • 31.
    Bompoint Laski C. et Duvernoy C., « Les listes de médiateurs par cours d’appel », https ://www.village-justice.com/articles/les-listes-mediateurs-par-cours-appel-par-claude-bompoint-laski-claude-duvernoy, 27983.html : « Un “bon médiateur” doit présenter des dispositions naturelles, en particulier un “savoir-être” empathique ».
  • 32.
    Schein A. I., « The role of anger in mediation », https ://www.mindengross.com/…/the-role-of-anger-in-mediation.
  • 33.
    Rogers C. R. et Farson R. E., Active listening, 2015, Martino Fine Books. Adde Rogers C. R., Le développement de la personne, 2018, InterEditions (rééd. du best-seller publié par Carl R. Rogers en 1961).
  • 34.
    Rosenberg M. B., Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) : initiation à la communication non violente, 2016, La Découverte.
  • 35.
    La plus importante et aboutie en la matière étant la suivante : Zhang T., Norton M. et Gino F., « The Surprising Effectiveness of Hostile Mediators », Management science juin 2017, vol. 63, 6, p. 1972-1992. La version intégrale de cet article très novateur voire iconoclaste peut être consultée à l’adresse internet suivante : https://pdfs.semanticscholar.org/fbd2/4c139c9eece872b1cfa32b2cb2201a682516.pdf.
  • 36.
    Ce qui le conduit à endosser un véritable rôle de composition eu égard à l’attitude d’ordinaire si empathique qui est attendue de lui.
  • 37.
    On serait alors proche ici de la célèbre maxime de Saint-Thomas d’Aquin : « Mon but n’est pas de convaincre mon adversaire mais de m’unir à lui dans une vérité plus haute ».
  • 38.
    Gino F., « Antagonistic Mediators Can Make Resolving Disputes Easier », Havard Business Review 19 août 2016, https://hbr.org/2016/08/antagonistic-mediators-can-make-resolving-disputes-easier : « Across different types of conflicts, we consistently found that negotiators were more willing and able to reach an agreement with their counterpart in the presence of an antagonistic mediator than in the presence of a nice or neutral mediator. Why ? Because the adversaries united against the common enemy : the hostile mediator. More generally, when two people share a mutual dislike of another person, research has found, those two people will likely forge a closer bond. (…) By becoming the common enemy, a hostile mediator might be more effective in getting parties to find common ground ». Adde Rushton M., « Are hostile mediators more effective ? », jams international adr blog 12 oct. 2016, https ://www.jamsinternational.com/blog/are-hostile-mediators-more-effective.
  • 39.
    D’autres pourront même dire qu’il s’agit de soigner le mal par le mal puisque cela consiste, pour le médiateur, de répondre à l’animosité des médiés par de l’animosité (feinte pour sa part). Cela n’est pas, au reste, sans rappeler le « jugement de Salomon », tel que décrit dans le Premier Livre des Rois (3, 16-28).
  • 40.
    V., en ce sens, Cadiet L. et Clay T., Les modes alternatifs de règlement des conflits, 2e éd., 2017, Dalloz, Connaissance du droit, p. 127 : « La neutralité ajoute à l’impartialité cette idée que le tiers (…) évaluateur n’a pas à imposer de solution, tenterait-il seulement d’user d’un rapport de force psychologique en sa faveur, ni même guider les parties dans un sens particulier quant à la solution à leur litige. Il n’est qu’un facilitateur dont la maïeutique doit permettre aux parties de découvrir elles-mêmes les termes de leur accord ».
  • 41.
    C’est, précisément, ce qu’affirme l’article 131-1 du Code de procédure civile régissant la médiation judiciaire : « Le juge saisi d’un litige peut, après avoir recueilli l’accord des parties, désigner une tierce personne afin d’entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose ».
  • 42.
    Sur cette technique en particulier, v. Amato L. A., « Step out of the zone of comfort : Make a reasonably aggressive settlement offer in Mediation », The Federal Lawyer oct.-nov. 2016, p. 44, http://www.fedbar.org/Resources_1/Federal-Lawyer-Magazine/2016/OctoberNovember.aspx
  • 43.
    C’est ce que les américains appellent la bilateral hostility (l’hostilité bilatérale ou, plus précisément, « bilatéralisée ») que l’on oppose à la unilateral hostility (l’hostilité unilatérale ou, plus précisément, l’hostilité à l’égard d’un seul des médiés) ; étant précisé que cette dernière a pour effet d’annihiler totalement les vertus de la « médiation agressive », en ce qu’elle ne permet pas de créer un sentiment de solidarité entre les médiés.
  • 44.
    Rappr. Cadiet L., « Construire ensemble une médiation utile », Gaz. Pal. 18 juill. 2015, n° 230x3, p. 10. Adde, Ferrand F. et Gautier P.-Y., « Honneur et devoir de juger », D. 2018, p. 951, n° 5 : « Les mesures alternatives de règlement des différends sont utiles […] ».
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