Approches multiniveaux des droits fondamentaux
A. Biad, V. Parisot (dir.) préface L. Burgorgue-Larsen, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Bilan d’application, éditions Nemesis – Anthemis, 2018, 582 p. ; Ch. Huglo, F. Picod (dir.), préface C. Lepage, Décalaration universelle des droits de l’humanité – Commentaire article par article, éditions Bruylant, 2018, 135 p.
Dans un environnement global, l’approche des constructions du droit se fait nécessairement à des niveaux différents : local, national, régional (européen), international, transnational. Ainsi en va-t-il depuis plusieurs décennies pour les droits fondamentaux qui, tels des standards, se sont développés dans des environnements très différents les uns des autres alors qu’ils se rapportent tous peu ou prou à un même ensemble d’objets : l’homme, l’humain, l’humanité. Les deux publications récentes permettent de prendre la mesure de ces approches multiniveaux dans deux contextes très différents : celui spécifique à l’Union européenne et celui plus large d’un universalisme francophone.
Le premier ouvrage est le fruit d’un travail collectif mené à l’initiative du célèbre centre de recherches CREDHO-DIC de l’université de Rouen. Il ambitionne de dresser le bilan de 10 années d’entrée en vigueur de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (CDFUE) signée en 2000. Une approche transversale est ainsi proposée des nombreuses interprétations dont le texte européen a d’ores et déjà été l’objet. Elle est organisée autour de l’interprétation et l’application de la Charte, considérées d’un point de vue général et des développements propres à la dignité, aux libertés, à la solidarité et à la justice. Il se dégage de nombreuses contributions proposées une double impression. La première tient à la singularité de l’instrument dont l’applicabilité est tributaire du domaine d’application du droit de l’UE lui-même. Contrairement à la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) qui s’applique en toutes matières, la CDFUE n’intervient qu’en appui des politiques, actions, réglementations du droit de l’UE. On ne saurait donc l’analyser et la travailler sans une connaissance fine du système de l’UE, notamment de son juge, la Cour de justice de l’UE (CJUE), dont les modes de saisines diffèrent très sensiblement de ceux propres à la Cour européenne des droits de l’Homme (CrEDH). Ce rappel sonne d’autant plus juste que la CJUE a fermé dans son avis 2/13, et sans doute pour longtemps, la porte d’une adhésion de l’UE à la CEDH, ce qui confère à la CJUE une position suprême, insusceptible d’être remise directement en cause a posteriori devant la CrEDH. Ceci étant dit, une deuxième remarque s’impose immédiatement. Contrairement aux scénarios noirs décriés de manière souvent hasardeuse, il n’y a pas de place en Europe pour une lecture de fond divergente entre la CDFUE et la CEDH. La plupart des dispositions de cette dernière ayant été intégrées à la première qui s’est contentée souvent de les enrichir et de les actualiser, on assiste à une convergence des approches même si dans ce temps nécessaire d’amorçage de la CDFUE, la CJUE privilégie délibérément les références à son seul instrument.
Le second ouvrage se présente comme un opus original qui porte l’ambition de proposer un nouvel instrument universel des droits de l’humanité. Les auteurs, universitaires pour l’essentiel, magistrats parfois, majoritairement Français mais comprenant également des signatures belges, proposent ainsi un énoncé et son commentaire, structurés sous la forme d’un préambule et de 16 articles. L’ambition de la déclaration est clairement affichée : fournir les éléments de langage permettant au tandem nature-humanité de se défendre contre les périls des changements climatiques. Les droits dont il est question trouvent leur siège dans les êtres humains, les devoirs prennant quant à eux la forme d’une responsabilité particulière incombant aux entités de masse (États, peuples, organisations intergouvernementales, entreprises, organisations non gouvernementales, autorités locales) et aux individus. Par sa structure, la déclaration distingue les principes (responsabilité, dignité, continuité de l’existence, non-discrimination), des droits (environnement sain, développement durable, patrimoine commun, biens communs, paix, libre détermination) et des devoirs de l’humanité (à l’égard des générations futures en matière de préservation des espèces, des ressources et de l’atmosphère, s’agissant de l’orientation du progrès scientifique, de la gestion à long terme et de l’effectivité des principes, droits et devoirs). Beaucoup de mots sur beaucoup de choses pourra-t-on être tenté de penser. Mais qui peut prétendre que les maux de l’humanité pourront être traités sans mots ni choses !