Affaire J. Cohen-Sabban et X. Nogueras : la défense plaide la relaxe

Publié le 08/02/2023

Le procès des avocats Joseph Cohen-Sabban et Xavier Nogueras s’est achevé mardi. La défense a plaidé la relaxe devant une salle remplie d’avocats pénalistes venus soutenir leurs confrères. 

Balance de la justice ©Renzo Piano
Balance de la Justice dessinée par Renzo Piano. Tribunal judiciaire de Paris (Photo : ©O. Dufour)

Les avocats se serrent encore ce mardi sur les bancs du public pour assister au dernier jour du procès des deux ténors du barreau parisien, Me Joseph Cohen-Sabban et Me Xavier Nogueras. Malgré la grève, la rudesse de la vie judiciaire et les agendas surchargés, les pénalistes sont de nouveau présents pour soutenir leurs confrères dans cette épreuve inédite où ils risquent leur robe. Ils sont en effet accusés de complicité de tentative d’escroquerie au jugement pour avoir transmis à leur insu un faux document en défense de leur client à la justice. Lundi, la journée a été consacrée aux avocats de Me Joseph Cohen-Sabban qui ont plaidé la relaxe. Ce mardi, c’est au tour de ceux de Me Xavier Nogueras de s’exprimer. En réalité, les deux défenses confondent souvent et chaque avocat plaide un peu pour ses deux confrères, mais l’exercice judiciaire permet à la défense de déployer ses ailes, qui oserait le lui reprocher quand la justice a investi tant de moyens dans l’accusation ?

« Vous n’êtes pas l’avocat d’une cause mais l’administrateur d’une preuve »

C’est Me Matthieu Chirez qui plaide en premier pour Xavier Nogueras. Dressé face au parquet, il tonne que non il ne plaidera pas pour les avocats, ni pour la défense mais pour un homme, ce qui lui permet de donner une leçon « Vous n’êtes pas l’avocat d’une cause mais l’administrateur d’une preuve, les causes c’est de l’idéologie, peut-être de la politique et je ne veux pas un instant croire que ce procès est politique » assène l’avocat. La violence du réquisitoire, c’est l’un des fils rouges de la défense. Et pour cause, bien que les réquisitions contre Xavier Nogueras soient légèrement plus faibles que celles visant Joseph Cohen-Sabban (2 ans de prison au lieu de 3), le parquet a été infiniment plus violent avec lui dans ses propos sans que l’on comprenne pourquoi. Matthieu Chirez développe deux axes de défense. D’abord il rappelle que c’est Xavier Nogueras qui, commis d’office dans ce dossier puis décidant de conserver la défense de Robert Dawes poursuivi dans une lourde affaire de stupéfiants, conteste dès le départ la validité des écoutes réalisées par la justice espagnole, puis sollicite la transmission de toute la procédure menée en Espagne auprès du juge français qui ne l’accordera qu’après la clôture de l’instruction. À charge pour le défenseur de trouver le temps d’éplucher en entier les 114 DVD et surtout d’en obtenir une traduction. C’est dans ce contexte qu’il les transmet à l’homme de main de Robert Dawes, lequel s’est proposé d’aller le confier à un avocat de l’équipe espagnole.  Pour la justice, cette remise – quelle qualifie de violation du secret professionnel – a permis la réalisation du faux. Mais ce n’est pas démontré, objecte Matthieu Chirez qui pointe le fait que d’autres avocats ont eu accès à ces DVD et qu’il en manque par ailleurs une copie. En tout état de cause, il a agi dans l’intérêt de la défense, ce qui remet en cause l’infraction de violation du secret.

Ce n’est pas la seule faiblesse de l’accusation. Xavier Nogueras se serait rendu complice de la tentative d’escroquerie via la production des faux ? Chronologiquement, plaide l’avocat, ça ne tient pas. Il transmet le dossier des mois avant que n’apparaissent dans le dossier les premiers éléments fondant dans l’esprit des juges l’amorce d’une stratégie de manipulation par l’accusé. Où est l’intention caractérisant la complicité d’une infraction qui n’existe pas encore ? Quant aux conclusions relatives à ces pièces déposées au procès d’assises, Xavier Nogueras n’est pas dans le bureau des juges quand Joseph Cohen-Sabban et Hubert Vigier annoncent l’arrivée de ces documents, pas plus qu’il n’a rédigé les écritures en lien avec ceux-ci. Par ailleurs, il n’assiste que très peu aux audiences car à l’époque il défend en appel le fameux Jawad Bendaoud, le logeur de deux des terroristes du 13 novembre en fuite. L’avocat conclut à la relaxe pour les deux délits.

« Xavier, tu as toute ta place parmi nous »

Depuis le début de l’audience, on se demande pourquoi Hervé Temime a changé de travée. Il était à gauche quand on fait face au tribunal, le voici installé du côté du box où se tient Robert  Dawes entouré de ses gardes cagoulés et de ses avocats. « Si j’ai traversé, c’est pour être en face de toi Xavier car je ne t’ai pas vu, j’étais derrière toi quand tu as entendu les réquisitions du procureur, mais on m’a dit la souffrance, la violence du coup que tu as ressenti » débute Hervé Temime. Les deux avocats se font face, l’un est en robe pour défendre l’autre qui joue la sienne.  Le défenseur se tourne vers le parquet : « Vous avez été d’une violence inutile et contraire à la loi et je vais vous le démontrer » lance-t-il, n’hésitant pas à qualifier l’accusation de « monstrueuse ». Hervé Temime prend soin de préciser que dans ce dossier la défense n’a jamais fait appel aux associations professionnelles pour venir la soutenir, pas même à l’association des avocats pénalistes qu’il a créée et que Christian Saint-Palais, l’un des avocats de Joseph Cohen-Sabban, a longtemps présidée. « C’est vous qui avez changé la face du procès par vos excès et personne d’autre » tonne l’avocat. Et en effet, les pénalistes sont venus assister à l’audience en nombre le jour suivant les réquisitions.  Hervé Temime se tourne de nouveau vers Xavier Nogueras et lui déclare, avec tout le poids de son âge et de sa réputation : « Xavier, tu as toute ta place parmi nous ».  L’instant est solennel.  Il vient d’effacer l’outrage du réquisitoire sur le front de son jeune confrère. L’intéressé a rougi, il se mord le poing sans parvenir à endiguer les larmes qui lui montent aux yeux et qu’il essuie d’un geste furtif. Dans ce procès, les avocats pleurent, et c’est un spectacle judiciaire bien dérangeant.

L’accusation est handicapée par une aberration totale 

Si Hervé Temime est un homme d’affect, c’est aussi un fin juriste.  Et des arguments juridiques, il en a de si solides qu’il ose déclarer aux magistrats : « Pourquoi vous allez évidemment relaxer Maitre Xavier Nogueras ? Parce que la prévention n’a aucun sens. L’accusation n’est même pas bancale, elle est handicapée par une aberration totale ». Le ton est donné. L’aberration, c’est de poursuivre pour violation du secret et tentative d’escroquerie mais pas pour faux, car le point est admis, les avocats ne savaient pas que les documents étaient faux.  « Qui ne peut pas le moins, peut le plus, c’est n’importe quoi ! » s’emporte Hervé Temime. Autre incohérence, sur quatre avocats actifs dans le dossier, seuls deux sont poursuivis. Une collaboratrice, présente dans la salle, n’a pas été inquiétée. Hugues Vigier, arrivé tardivement dans le dossier, non plus. Ils ne devaient pas l’être, souligne Hervé Temime, bien qu’ils aient tous les deux rédigé les écritures relatives aux actes discutés dans ce dossier. Mais alors pourquoi les deux autres le sont-ils ? « Non tu n’as pas tout bien fait, et ton pire juge c’est toi, déclare Hervé Temime à Xavier Nogueras, mais en quoi il y a une infraction pénale ? Il n’y en a pas ».

Factuellement, l’accusation ne tient pas davantage.  Les cinq juges de la cour d’assises avaient accès à la copie du dossier contrairement à une cour d’assises ordinaire. « Vous croyez qu’on peut vouloir tromper un magistrat alors que l’original est au dossier ? Certainement pas. On ne peut pas concevoir que ce type d’infraction puisse être commis dans un tel contexte » assène Hervé Temime. « Il faudrait être d’une bêtise abyssale ». En tout état de cause, les avocats ont déposé des conclusions aux fins de vérification. Puis il souligne l’état de sidération, dans lequel se trouvent ses confrères et notamment Xavier Nogueras lorsqu’il écrit le 17 décembre 2018 alors que le procès a commencé le 10 et que les pièces ont été présentées aux magistrats le 7 décembre par Me Cohen-Sabban et Me Vigier « j’espère que nous ne sommes pas manipulés ». Quelle était l’obligation déontologique pour la communication de pièce ? rappelle l’avocat. Celle de l’article 21.4.4 du règlement intérieur et uniquement elle « A aucun moment, l’avocat ne doit sciemment donner au juge une information fausse ou de nature à l’induire en erreur ». Il n’y a donc pas d’obligation de vigilance contrairement à ce que soutient le parquet, souligne Hervé Témime, mais simplement l’obligation de ne pas agir sciemment.

« Les juges n’ont pas à dire quelle est la loi applicable mais à appliquer la loi »

« Ce qui nous réunit messieurs les procureurs ce n’est pas la grande famille judiciaire, je n’y crois pas, ce qui nous réunit c’est l’application de la loi. Les juges n’ont pas à dire quelle est la loi applicable mais à appliquer la loi ». Il balaie enfin toutes les jurisprudences invoquées dans l’ordonnance de renvoi pour étayer la thèse selon laquelle l’élément intentionnel de la complicité pourrait découler du non-respect par un professionnel des obligations à sa charge : sur les dix décisions citées, six ne concernent pas des avocats mais des notaires, experts-comptables et même un concessionnaire automobile. Les quatre autres ont trait à des avocats conseils ayant consciemment rédigé des faux.

Il est l’heure de conclure. « La seule force qui doit vous guider c’est le respect le plus strict de la loi et la loi ne vous permet pas de condamner Xavier et Joseph » déclare Hervé Temime au tribunal. Puis, sa voix se fait plus douce, il se tourne vers Xavier Nogueras.  « Je ne connaissais pas ton histoire, mais je suis sûr que tu vas rester derrière ton bureau, que tu pourras porter ta robe sur les épaules et que celle de ton père (NDLR : il était juge d’instruction) et la casquette de ta sœur (NDLR : de policière) resteront sur ton étagère ». Pudiquement, Hervé Temime à cet instant, a plaidé pour son client, et pour lui seul. Nous n’en dirons pas plus que son défenseur sur la tragédie familiale qui hante son existence, car cette fêlure qui forge les plus grands avocats n’appartient qu’à lui.

Le délibéré est fixé au 18 avril à 13h30 en salle 2-01.

Et Robert Dawes ?

À l’origine de cette affaire il y a Robert Dawes, citoyen britannique, condamné à 22 ans de réclusion pour trafic de stupéfiants. Surnommé « Drug lord » il serait le trafiquant international qui aurait permis l’entrée en France de 1,4 tonne de cocaïne. L’essentiel de l’accusation repose sur la fameuse procédure espagnole incomplète. Lors de sa plaidoirie, son avocat Me Thomas Bidnic a rappelé que son client jusqu’à cette affaire n’était qu’un petit délinquant ordinaire de Nottingham, dont les mentions au casier évoquent un trafic de cannabis, du vol à l’étalage et même un cambriolage. Et brusquement, il serait devenu un trafiquant de drogue de niveau international. L’avocat pointe le manque de moyens de la justice : un seul juge d’instruction à Nanterre contre trois à Paris pour cette affaire de faux. La faiblesse du dossier d’accusation aussi. Un recours devant la CEDH a été déposé. Il prépare une requête en révision. Et dans ce dossier, il plaide la relaxe. Le faux ? Ce n’est pas lui, mais un ami maladroit, ou un ennemi habile. La violation du secret ? Comment diable un délinquant britannique connaitrait-il les règles du secret professionnel d’un avocat français ? Quant à la tentative d’escroquerie au jugement, il nie aussi en être l’auteur. Précisons, que cette défense-là, particulièrement difficile, s’est exercée non pas contre mais aux côtés de celle des deux ex-avocats de Robert Dawes.

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