« Lorsqu’un avocat est injurié, c’est toute la défense que l’on injurie ! »

Publié le 23/06/2022

Le procès des attentats du 13 novembre touche à sa fin. On entendra vendredi les avocats de Salah Abdeslam. Il y a quelques jours, l’interview de l’un d’entre eux, Me Olivia Ronen, a ravivé la polémique autour du rôle de la défense. Me Julia Courvoisier, avocat de partie civile dans cette affaire, souligne le chemin parcouru depuis le début du procès. 

"Lorsqu'un avocat est injurié, c'est toute la défense que l'on injurie !"
Photo : ©AdobeSTock/Lusyaya

Après neuf mois d’un silence médiatique presque complet,  respectueux des parties civiles et de l’ampleur de ce procès hors norme, Maître Olivia Ronen, l’avocate de Salah Abdeslam (elle le défend aux côtés de Maitre Martin Vettes), a accepté de répondre aux questions de Yan Barthès la semaine dernière, dans l’émission Quotidien.

Si l’immense majorité des avocats a, à très juste titre, salué son élégance et son courage, de nombreuses critiques, parfois violentes, ont fleuri sur les réseaux sociaux.

Avant tout, je voudrais préciser une chose : lorsqu’un avocat est injurié, menacé ou violenté, ce sont tous les avocats qui le sont. Et c’est donc la défense dans toute sa diversité qui l’est.

La défense ne se résume pas à défendre des accusés. Il n’y a d’ailleurs ni avocat de la défense, ni avocat de victimes (ce n’est pas une spécialité) : il n’y a que des avocats. Nombre d’entre nous sont, au gré des dossiers, d’un côté ou de l’autre de la barre. L’avocat défend ainsi son client, quelle que soit la place qu’il occupe dans le procès pénal.

Je suis et serai toujours solidaire, quels que soient leurs opinions, leurs clients, leurs combats, de ceux de mes confrères qui seront menacés pour avoir simplement porté haut la défense. Encore plus en ces temps troublés par la violence des réseaux sociaux.

Il ne s’agit pas de corporatisme : il s’agit uniquement du respect que je porte à ma robe et à tous ceux qui, avant moi, l’ont portée.

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La semaine dernière donc, Maitre Ronen a accepté de répondre à quelques questions et d’évoquer, avec pudeur, son client : Salah Abdeslam. Et notamment son « humanité », et « l’équipe » de défense qu’ils forment.

Comment diable cette interview a-t-elle pu générer autant de haine ? Comment se fait-il que nous en soyons arrivés, en 2022, à ne plus savoir faire la différence entre le client et son avocat ? Allons-nous continuer à ignorer l’importance fondamentale pour notre démocratie de l’existence de la défense, quelle qu’elle soit ?

La haine pure et dure

Depuis janvier 2020 où je suis devenue active sur Twitter, j’ai découvert avec effarement la haine, pure et dure. Une haine très différente de celle à laquelle je fais face dans certains de mes dossiers. Une haine gratuite, facile, multiple, anonyme et qui, par le biais de nos réseaux sociaux, peut en outre, trouver un écho médiatique assez rapidement.

Lorsque les auteurs de ces propos haineux sont ensuite jugés, parce que cela arrive de plus en plus, l’on découvre bien souvent qu’ils sont comme vous et moi, et qu’ils ont été pris dans l’engrenage d’un défouloir facile.

Ce constat m’amène à me poser quelques questions. La haine et la violence seraient-elles, finalement, parties intégrantes de ce que nous sommes ?

Dans le dossier des attentats du 13 novembre, les parties civiles sont face à Salah Abdeslam et ses 13 co-accusés depuis le 8 septembre dernier. Certains de mes confrères ont été présents tous les jours.

Il y a eu, c’est vrai, beaucoup de sentiments différents.

D’abord, je dois le dire, de la haine. Une haine rapide et furtive, mais dont j’ai eu beaucoup honte. Pourquoi ? Car je crois que ma robe de défenseur m’interdit de ressentir de la haine. De la colère oui, de la rage oui, mais de la haine, non. Jamais. Je n’avais, d’ailleurs, avant ce 8 septembre 2021, jamais ressenti cela en exerçant mon métier. Lorsqu’il s’est présenté comme « combattant de l’état islamique », j’ai eu mal au fond de moi. Un mal profond, que je ne suis pas la seule à avoir ressenti.

Indispensable confiance

Puis les semaines ont passé.

Grâce au travail colossal de ses avocats, et à la relation qu’ils ont pu nouer avec lui, Salah Abdeslam a parlé. Il a même parfois, il faut le dire, fait preuve d’une once d’humanité.

Il faut bien comprendre une chose : pour nouer un lien avec un client, l’avocat peut parler de bien d’autre chose que du dossier avec lui.

J’ai par exemple un client qui me téléphone tous les 15 jours. Il comparaitra dans quelques semaines devant une cour d’assises pour des faits très graves. Nous parlons de tout, de l’actualité, de politique, mais aussi de sa vie, de son passé, de sa famille, de sa petite amie, et de son avenir. Il évolue à chaque fois, il grandit et la confiance qu’il me porte, que je lui rends avec beaucoup de respect, nous permet de préparer cette audience. Il a aujourd’hui pris conscience de ce qu’il a fait et de son implication, ce qui n’était pas du tout le cas la première fois que je l’ai rencontré. Il pourra, j’espère, adopter un comportement respectueux et adulte envers la famille de la victime décédée.

Créer un lien, nouer une relation, c’est pareil avec tout le monde : il faut parler. « Papoter » comme je dis souvent à mes clients. On peut parfois rigoler, être ému, se confier certaines choses. De sorte que l’on apprend nécessairement à se connaitre. A s’apprécier. Parfois même, à s’aimer professionnellement.

Derrière ce rôle de défense, l’avocat peut aussi aider son client à évoluer sur la façon dont il regarde les faits pour lesquels il est suspecté. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il pourra donner des réponses et des explications aux victimes.

Le Parquet a requis la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté incompressible contre Salah Abdeslam, afin qu’il termine ses jours en prison. Il la mérite très certainement. Mais je lui souhaite aussi de pouvoir, un jour, apaiser sa haine et enfin, pouvoir parler sereinement avec sa conscience. Et, qui sait, regretter sincèrement ses actes.

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