Cette semaine chez les Surligneurs : E. Macron pourrait-il briguer un troisième mandat ?

Publié le 09/12/2022

Pour l’ancien garde des sceaux et professeur de droit Jean-Jacques Urvoas, rien n’empêcherait E. Macron de se présenter une troisième fois s’il n’achevait pas son deuxième mandat. Un avis que ne partagent pas les Surligneurs, ils vous expliquent pourquoi. Cette semaine, les spécialistes du legal checking se penchent également sur la question de l’indemnité parlementaire   d’Adrien Quatennens, la décision de David Lisnard de retirer sa place de marché à un commerçant et sur le phénomène de l’obstruction parlementaire. 

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Jean-Jacques Urvoas défend la possibilité pour Emmanuel Macron de briguer un troisième mandat 

L’ancien garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas s’appuie sur un texte relatif à l’élection du président de la Polynésie française qui interdit plus de “deux mandats de cinq ans successifs”, pour affirmer qu’en cas de démission de son second mandat, Emmanuel Macron pourrait se représenter pour un troisième.

Le raisonnement est le suivant : le Président actuel pourrait en venir à dissoudre l’Assemblée dans les prochaines semaines, et ensuite se heurter à une défaite aux élections législatives. Dans ce cas, il pourrait démissionner et ainsi, comme l’indique la Constitution, laisser sa place au président du Sénat dans l’attente d’une nouvelle élection présidentielle. Jusque-là, rien de très novateur sur le plan constitutionnel. Mais Jean-Jacques Urvoas en déduit une conclusion surprenante : “Comme [Le Président] n’aurait pas effectué deux mandats successifs complets, il pourrait être candidat de nouveau”.

Il est vrai que par un avis du 18 octobre dernier concernant l’élection du président de la Polynésie française, le Conseil d’État a admis que l’actuel président de la Polynésie, Édouard Fritch, candidat à sa propre succession, puisse se représenter pour la troisième fois. Mais il faut rappeler le contexte : sur deux mandats précédents, le premier réalisé par Édouard Fritch n’avait duré que quatre ans, puisqu’il était venu remplacer Gaston Flosse après que ce dernier avait démissionné. Selon le Conseil d’État en somme, l’idée de mandats complets était tout aussi importante que celle de mandats successifs : était donc admise la possibilité de briguer un troisième mandat, quand l’un des mandats précédents n’a pas duré le temps normal.

Reste que cet avis du Conseil d’État se base sur un texte de loi relatif à l’organisation institutionnelle de la Polynésie Française qui interdit plus de “deux mandats de cinq ans successifs”. C’est pourquoi ce raisonnement est difficile à transposer au cas de l’élection à la Présidence de la République. La condition du mandat complet ne se retrouve pas dans les articles de la Constitution relatifs à l’élection du président de la République. Depuis la révision constitutionnelle de 2008 (article 6 de la Constitution), “Le président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs”. Ce texte met l’accent sur le nombre de “mandats consécutifs” (deux), sans préciser si leur durée doit être complète. On peut en déduire qu’un candidat ayant déjà exercé deux mandats à la suite, complets ou non, ne pourra pas se représenter pour un troisième mandat à la suite.

Pour cette raison, même si le président démissionnait avant la fin de son second mandat, il ne pourrait pas se représenter pour un troisième. Quoi qu’il en soit, rien n’empêche Emmanuel Macron, en l’état actuel du droit, de passer le flambeau à un membre de son parti pour 2027, puis de se représenter en 2032, puisque seuls plus de deux mandats consécutifs sont interdits. On peut donc imaginer deux mandats consécutifs, un autre président, puis une nouvelle candidature d’Emmanuel Macron, cinq années plus tard.

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La « crise Adrien Quatennens », entre suspension et absentéisme 

La “non-participation” d’Adrien Quatennens à l’activité du groupe parlementaire LFI depuis ses déboires judiciaires pour violences conjugales, a été décidée par ce même groupe. C’est une bien curieuse décision sur le plan juridique. L’intéressé n’est pas exclu de l’Assemblée nationale : son mandat électif est indépendant de la discipline partisane au sein du groupe parlementaire, et le Conseil constitutionnel a consacré le principe de “respect de la liberté des membres du Parlement dans l’exercice de leur mandat” en 2018. Cela n’interdit donc pas l’exercice d’une discipline de groupe, qui est de nature politique et non juridique. Un parlementaire peut même être exclu de son groupe, ce qui lui laisse le choix d’adhérer à un autre groupe ou de demeurer non-inscrit.

Reste qu’Adrien Quatennens n’est pas non plus officiellement sanctionné par son groupe. Après qu’il s’est mis “en retrait” volontairement de ses fonctions, son groupe a entériné sa décision : le député ne participera pas à l’activité de notre groupe parlementaire jusqu’à ce qu’une décision de justice soit rendue à son propos. Cela donne une suspension qui ne dit pas son nom en somme, et surtout un député absent. Or, il existe, dans le Règlement de l’Assemblée nationale des sanctions en cas d’absentéisme, avec un barème de réduction de l’indemnité parlementaire, selon le nombre d’absences. Adrien Quatennens, s’est d’abord fait excuser par certificat médical, ce qui lui avait permis d’échapper aux sanctions. Mais depuis la fin de son “arrêt maladie”, il s’expose à des sanctions financières.

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Le maire de Cannes-La Bocca retire sa place de marché à un commerçant au motif que son fils a été condamné pour vol avec violences

En tant que maire (de Cannes-La Bocca en l’occurrence), David Lisnard détient un pouvoir de police administrative sur les marchés municipaux, assurant le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité. Un des moyens peut consister en un retrait d’emplacement à l’encontre d’un commerçant, au motif qu’il hurle à tous vents tout le bien qu’il pense de sa marchandise, qui ne respecte pas les règles d’hygiène, qu’il vend des marchandises interdites, etc.

Or, par une décision qui n’est pas publiée car nominative et donc couverte par le droit au respect de la vie privée, la mairie de Cannes-La Bocca a supprimé le droit pour un commerçant d’occuper l’emplacement qu’il exploitait jusqu’alors, et s’en est expliquée dans un communiqué de presse : le fils a “sauvagement agressé” une dame de 89 ans ; il a été renvoyé de plusieurs collègues pour avoir insulté un agent de l’éducation nationale et blessé un autre élève ; il aurait fait l’objet d’une ”information préoccupante” (dont on ne saura pas le contenu) ; “la famille est également connue” de la caisse d’allocation familiale pour des fraudes.

Or, pour qu’un juge admette la légalité d’une mesure de police telle que le retrait d’une place de marché ou n’importe quelle autre mesure, il lui faut des motifs précis tels que des troubles à l’ordre public avérés au sein du marché, ou au moins des craintes plausibles. Le délit commis par le fils est évidemment en soi un trouble grave à l’ordre public, mais il ne concerne pas le marché municipal. Or la police des marchés ne peut être actionnée que dans le but de maintenir l’ordre au sein des marchés. Pas pour sanctionner la famille d’un délinquant.

Ajoutons au passage la flagrante atteinte à la vie privée de toute une famille : la mairie n’a aucun droit de “déballer” publiquement des informations qui, en outre, ont été obtenues dans le cadre d’enquêtes administratives ou pénales, et qui affectent non seulement le fils, mais toute la famille.

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L’obstruction parlementaire revient en force

L’obstruction est une technique qui permet aux députés et sénateurs de l’opposition de retarder voire d’empêcher le vote d’une loi qu’ils ne souhaitent pas voir adoptée. Depuis la création des niches parlementaires en 2008 (article 48 de la Constitution), les gouvernements qui se sont succédé pouvaient s’appuyer sur une majorité absolue d’au moins 289 députés. La probabilité qu’un texte puisse être adopté lors d’une niche sans le vote des députés de la majorité était donc quasi nulle et la question de l’obstruction par la majorité ne se posait pas. Mais depuis les dernières élections législatives, le gouvernement doit s’appuyer sur une majorité relative de 251 députés (dont les groupes Modem et Horizons).

Le soir du 24 novembre, le camp macroniste s’est retrouvé en situation de minorité car les élus Renaissance n’étaient pas tous présents dans l’hémicycle et que la grande majorité des groupes d’opposition étaient favorables au texte. Conscient que le texte risquait d’être adopté dans la soirée, le gouvernement a décidé de jouer la montre et de faire obstruction pour empêcher le vote, en recourant à deux méthodes classiques : celle des amendements en masse (un classique de la guérilla parlementaire), et celle de l’anti-jeu : jouer la montre en multipliant les prises de parole et rappels à l’ordre, voire les demandes de suspension de séance. Le but, puisqu’une niche parlementaire dure une journée : tenir jusqu’à minuit et empêcher le vote du texte en discussion.

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