Cette semaine chez les Surligneurs : les subtilités de la « perpétuité incompressible »

Publié le 01/07/2022

Salah Abdeslam, condamné le 30 juin à la perpétuité incompressible, ne pourra-t-il réellement jamais sortir de prison ? C’est un peu plus subtil que cela. Les Surligneurs, spécialisés en legal checking vous expliquent pourquoi. On découvre aussi cette semaine qu’Éric Piolle se trompe quand il prétend que le Conseil d’État « retoque 10cm de jupette ». Enfin, mieux vaut ne pas trop compter sur la baisse de la TVA à 5,5% sur le carburant avancée par le député RN Philippe Ballard.  

Cette semaine chez les Surligneurs : les subtilités de la "perpétuité incompressible"

Procès du 13-novembre : qu’est-ce que la perpétuité incompressible à laquelle a été condamné Salah Abdeslam ?

En réponse à une proposition de Marine Le Pen qui voulait que quand “on rentre en prison on n’en sort pas”, Éric Dupond-Moretti affirmait sans nuance le 19 avril dernier que la perpétuité réelle existait déjà en droit français, qu’elle était même “écrite en toutes lettres dans le Code pénal”. Mercredi 30 juin, après dix mois d’un procès historique, le principal accusé des attentats du 13 novembre 2015, Salah Abdeslam, a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté incompressible. Cette peine, la plus lourde du Code pénal, symbolise la fermeté de la justice envers les actes terroristes. Mais il est imprudent de parler de “perpétuité réelle”, simple formule rhétorique.

D’où sort ce concept de “perpétuité réelle” ? Qu’est-ce que la perpétuité “incompressible” ? Une personne condamnée à une telle peine est-elle véritablement condamnée à ne jamais sortir, quoiqu’il arrive ?

Considérer qu’il existe un fondement pour prononcer une sentence verrouillant définitivement les effets déterminés d’une perpétuité réelle reviendrait à appliquer la notion dans le sens d’unedeterminate life sentence prévue par le droit fédéral américain. Au contraire, en Europe, la Cour européenne des droits de l’homme a pu sanctionner à plusieurs reprises le Royaume-Uni pour le maintien, incompatible avec la Convention, des whole life orders dans le panel des décisions possibles. Cette sanction a depuis été rendue compatible.

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme en matière de réclusion à perpétuité se fonde sur l’interdiction des traitements inhumains et dégradants. À cet égard, dans une décision de 2016, la Cour siégeant à Strasbourg a précisé que la peine de réclusion à perpétuité n’était compatible avec la Convention que si le droit prévoyait un réexamen en vue d’un aménagement de la peine, notamment d’une libération conditionnelle.

Ainsi, Salah Abdeslam condamné hier à la perpétuité incompressible ne pourra pas bénéficier d’un aménagement de peine et effectuera au moins 30 ans de prison. Après cette échéance, une commission composée de cinq magistrats pourra rendre un avis afin d’envisager sa libération. Mais celle-ci sera conditionnée à une garantie de réadaptation et l’absence de trouble grave à l’ordre public. Autrement dit, les possibilités de libération de Salah Abdeslam sont très faibles.

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Face à l’inflation, Philippe Ballard (député RN) propose de baisser la “TVA de 20 % à 5,5 % sur les produits énergétiques – gaz, électricité, fioul, carburants” et la “TVA à taux 0 pour cent produits de première nécessité”

La taxe sur la valeur ajoutée est un impôt indirect sur la consommation. Autrement dit, elle n’est pas collectée par l’État directement mais par le vendeur qui la reversera ensuite à l’État. Car en réalité, c’est le consommateur qui paie la TVA, avec un taux assis sur le prix du produit ou du service, ce qui fait que mécaniquement, plus le prix augmente, plus la TVA augmente. En période d’inflation, c’est un peu la double peine pour les consommateurs.

La France est certes libre de fixer ses taux de TVA, mais ces taux doivent respecter certains seuils fixés par une directive de l’Union européenne, adoptée par le Conseil – qui réunit les États membres. Cette directive a récemment élargi la liste des produits qui pouvaient bénéficier d’un taux réduit, mais cela ne comprend pas les carburants comme l’essence ou le diesel, puisque l’objectif de cette modification était de favoriser les énergies bénéfiques pour l’environnement.

Quant à la proposition d’un taux zéro de TVA sur les produits de première nécessité, la législation européenne ne l’autorise pas non plus. Seuls des cas spécifiques listés par la directive peuvent bénéficier d’une exonération de TVA, or, les produits de première nécessité y sont limités : médicaments, vêtements pour enfants, électricité, services de réparation d’électroménager ou de vêtements, etc. Et encore, la France ne pourrait choisir que sept de ces produits et services pour y appliquer un taux nul.

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Éric Piolle sur l’interdiction du burkini : le Conseil d’État “retoque 10 cm de jupette, j’en prends acte”

Par sa décision très commentée du 21 juin 2022, le Conseil d’État vient de confirmer la décision du tribunal administratif de Grenoble du 25 mai 2022, suspendant le règlement des piscines de Grenoble à la demande du préfet de l’Isère. En clair, le règlement des piscines grenobloises qui avait été modifié pour permettre aux femmes de porter le burkini a été une première fois suspendu par le tribunal, et en appel le Conseil d’État a confirmé cette suspension, ce qui fait que l’ancien règlement des piscines, interdisant tout vêtement trop ample (donc entre autres le burkini), redevient le règlement en vigueur. Pour autant, Éric Piolle, maire de Grenoble, se méprend sur le sens de la décision du juge.

Le juge n’a en aucun cas “retoqué 10 cm de jupette”, cette façon de voir étant très réductrice et ne rendant pas compte du raisonnement du juge. Comme nous l’avions dit, ce n’est pas le burkini en soi qui posait problème. Si l’usager n’est pas soumis au principe de laïcité, le service public l’est. Il ne peut donc prendre aucune mesure en fonction d’une religion. Or la modification du règlement des piscines était trop “ciblée” vers une religion. Écoutons le juge : “il apparaît que cette dérogation très ciblée répond en réalité au seul souhait de la commune de satisfaire à une demande d’une catégorie d’usagers et non pas, comme elle l’affirme, de tous les usagers”. Il en résulte que ce n’est pas la baigneuse qui enfreint le principe de laïcité, mais le service public, qui sans autoriser explicitement le burkini a autorisé un vêtement qui y ressemble en tous points. La même décision aurait été prise si la commune avait autorisé en la décrivant, mais sans la nommer, une soutane comme costume de bain.

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L’espace Schengen à bout de souffle ?

Dans une décision du 26 avril dernier qui a éveillé peu d’intérêt mais qui est pourtant d’une importance capitale pour la France, la Cour de Justice de l’Union européenne a rappelé le fonctionnement de l’espace Schengen : les États qui en sont membres ne peuvent pas établir de contrôles au sein de leurs frontières intérieures pour une durée allant au-delà de six mois et cela au nom du principe de libre circulation. La seule exception admise pour le rétablissement de ces contrôles est une nouvelle menace nationale.

Problème : depuis les attentats de 2015 en France et dans d’autres États en Europe comme en Autriche, les contrôles sont renouvelés bien au-delà des six mois. L’Autriche et la France font valoir à chaque fois l’existence d’une menace persistante. Le signal d’alarme tiré par la Cour de Justice de l’Union européenne est une tentative de remettre un peu d’ordre dans des habitudes prises par les gouvernements européens.

La France, qui enfreint le droit européen depuis toutes ces années, semble bien désobéir délibérément à l’Union. Plusieurs associations ont porté ces dernières années des actions en justice afin qu’il soit mis un terme à ces contrôles illégaux, mais sans succès. Elles ont également tenté de questionner cette légalité devant la Cour de Justice de l’Union européenne mais le Conseil d’État a refusé de la transmettre la question à la justice européenne.

Désormais, avec cette nouvelle décision de la justice européenne, toute nouvelle contestation des contrôles aux frontières devant la justice française pourrait bien marquer leur disparition. La riposte ne s’est pas fait attendre : selon le journal Le Monde, quatre associations ont déjà saisi le Conseil d’État. Les jours des contrôles aux frontières sont donc comptés. À moins que le gouvernement n’apporte la preuve de l’existence d’une nouvelle menace.

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