Cette semaine chez les Surligneurs : non, A. Quatennens n’a pas « purgé sa peine »

Publié le 14/04/2023

Le député LFI Aymeric Caron a-t-il raison de vouloir passer à autre chose dès lors qu’Adrien Quatennens a purgé sa peine ? Pas vraiment. Les Surligneurs vous expliquent pourquoi. Cette semaine, les spécialistes du legal checking reviennent également sur la question complexe des réquisitions en cas de grève et sur le projet de loi concernant les influenceurs. 

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Aymeric Caron (député LFI) à propos de la réintégration d’Adrien Quatennens : on “peut passer à autre chose une fois qu’une peine a été purgée”

En décembre 2022, Adrien Quatennens était reconnu coupable de violences conjugales et condamné à quatre mois d’emprisonnement avec sursis. En avril 2023, le groupe LFI a voté en faveur du retour du député au sein de l’Assemblée Nationale. C’est cette décision que soutient Aymeric Caron ajoutant que lorsque la “peine a été purgée”, on peut alors “passer à autre chose” et “réintégrer la vie active, en principe”. Or, non seulement Adrien Quatennens n’a pas purgé sa peine, mais Aymeric Caron laisse entendre qu’il a été réhabilité, ce qui est également faux.

 Premièrement, le sursis signifie que la peine prononcée n’est pas exécutée et que si le condamné ne commet pas de nouvelles infractions dans un certain délai, dit délai d’épreuve (ici cinq ans), la peine sera considérée comme purgée (art. 132-35s. du Code pénal). Si l’on veut être précis juridiquement, la peine d’Adrien Quatennens ne sera pas purgée jusqu’à décembre 2027 (sous certaines conditions).

Deuxièmement, la réhabilitation a pour effet d’effacer la condamnation (art 133-1 du Code pénal) ce qui favorise la réinsertion. Elle est prévue par la loi, s’opère automatiquement et suppose que la personne n’ait pas fait l’objet d’une nouvelle condamnation dans un certain délai après la fin de sa peine (art 133-13.s du Code pénal). Dans le cas d’Adrien Quatennens, le délai pour obtenir une réhabilitation légale est de cinq ans et commence à courir à compter de la fin du délai d’épreuve, soit en 2027. La réhabilitation légale ne pourra donc intervenir qu’à partir de 2032. Une réhabilitation judiciaire est également envisageable dans un délai de trois ans pour les délits. Cette réhabilitation suppose de prouver des gages importants de réinsertion. Sa réintégration à l’Assemblée est une mesure qui ne repose que sur la volonté du groupe politique auquel il appartient, et non sur une réhabilitation au sens du droit.

Cela étant dit, l’idée générale du propos d’Aymeric Caron se comprend : en principe, une personne dont la peine est purgée devrait pouvoir obtenir un emploi ou une formation, car elle a “payé sa dette envers la société”. Or, ce principe, qui s’applique à un député comme à toute autre personne, n’est guère effectif pour les nombreux autres condamnés et en particulier ceux qui ont été incarcérés.

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Réquisitions de grévistes : quand syndicats, préfets et juges jouent au chat et à la souris

La grève des raffineurs de l’automne 2022, conjuguée à celle de ces mêmes raffineurs et des éboueurs de l’hiver 2023, ont incité les préfets à ordonner des réquisitions, tandis que les syndicats ont saisi et saisissent encore le juge pour les faire déclarer illégales. Leur argument : ces réquisitions sont des atteintes au droit de grève.

La réquisition n’est pas illégale en soi, mais tout dépend de l’utilisation qui en est faite, comme tous les pouvoirs de l’administration. Elle est prévue notamment par le code de la santé publique, le code de la sécurité intérieure, mais la plus fréquemment utilisée et décriée est celle prévue par le code général des collectivités territoriales, comme outil de police administrative notamment en cas de grèves pouvant avoir des conséquences graves.

La réquisition est donc un outil de police administrative très contrôlé et soumis à trois conditions de fond : l’urgence, une “atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques” et l’absence d’autre moyen de contrer cette atteinte. Les conditions de procédure et de forme sont aussi importantes : il faut un arrêté préfectoral dûment motivé par l’urgence et l’atteinte au bon ordre, et démontrant l’absence d’alternatives. Enfin, chaque agent réquisitionné doit se voir individuellement notifier cette décision.

Le juge contrôle le respect de ces conditions légales auxquelles s’ajoutent des conditions jurisprudentielles comme la proportionnalité de la mesure par rapport aux troubles redoutés ou avérés, et selon les cas, d’autres règles, comme le droit de grève qui doit être concilié avec la préservation de l’ordre public, les deux ayant valeur constitutionnelle.

Toutes ces conditions à respecter dépendent étroitement des circonstances de chaque affaire. C’est pourquoi il n’est pas surprenant qu’un même tribunal puisse juger une chose et son contraire dans un court laps de temps. Ce n’est pas le droit qui bouge, mais les faits : l’urgence à un moment et pas à un autre ; le risque ou l’existence d’atteintes au bon ordre dépendent de chaque cas ; la proportionnalité de l’atteinte au droit de grève par rapport à la gravité de l’atteinte au bon ordre résulte d’un équilibre qui s’apprécie aussi dans chaque cas. Ce n’est donc pas le tribunal qui change d’avis : il applique une grille d’analyse unique, dont le résultat dépendra de chaque affaire.

Le juge tente ainsi d’éviter la “banalisation du recours aux réquisitions”, même s’il est également parfois accusé de bienveillance envers des préfets lorsqu’il emploie certaines notions pouvant s’interpréter de façon très large, comme “les besoins essentiels de la population”.

Enfin, il semble que les préfets aient appris à jouer avec les points faibles de la procédure juridictionnelle du référé-liberté, en édictant des arrêtés de réquisition successifs et de courte durée, parfois de quarante-huit heures, juste le délai de jugement en la matière. Cela, pour éviter que ne se reproduisent les pénuries de l’automne 2022, en atténuant les effets des grèves par petites doses. De plus, le référé-liberté est une procédure d’urgence qui ne permet qu’une analyse juridique et factuelle sommaire du litige : il faut que la réquisition critiquée soit “manifestement” illégale pour que le juge la suspende, ce qui limite encore les cas où les syndicats peuvent obtenir gain de cause.

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Projet de loi sur l’activité d’influenceur : vers un encadrement plus strict des pratiques commerciales sur les réseaux sociaux

Jeudi 30 mars, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi afin d’élaborer une définition juridique des influenceurs visant à encadrer le marketing digital. Cette loi, si elle est aussi votée par le Sénat, permettra notamment de renforcer l’interdiction de dérives telles que les promotions en ligne de produits médicamenteux, les incitations trompeuses à investir dans les cryptomonnaies ou d’autres publicités mensongères.

Puisque la définition actuelle de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité est assez imprécise, le texte adopté propose d’y remédier en désignant les influenceurs comme des “personnes physiques ou morales qui mobilisent leur notoriété pour communiquer au public par voie électronique des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque en contrepartie d’un bénéfice économique ou d’un avantage en nature”.

Beaucoup d’influenceurs ont déjà été condamnés pour des pratiques illégales : dénigrement, parasitisme, tromperie, escroquerie. La proposition de loi tend notamment à clarifier les pratiques et à interdire la publicité de produits de santé (déjà interdite), placements et investissements financiers (déjà sous contrôle de l’Autorité des marchés financiers), jeux d’argent (sous contrôle de l’Autorité nationale des jeux). Elle vise aussi à encadrer le dropshipping, obligeant l’influenceur à informer son audience sur l’identité de son fournisseur.

La proposition prévoit également que tout individu promouvant en ligne des produits contre rémunération ou avantage devra déclarer le caractère commercial de ses messages. Elle crée aussi des sanctions pénales en cas de violation des règles de la publicité.

Cependant plusieurs interrogations subsistent quant à l’effectivité du texte. Bon nombre d’influenceurs exercent depuis l’étranger et c’est pourquoi le texte prévoit qu’un influenceur est soumis au droit français dès lors que son activité d’influence commerciale par voie électronique est à destination d’un public français. Il est cependant à craindre que, pour les influenceurs basés à l’étranger, la loi française soit peu dissuasive et qu’une coopération inter-étatique sera difficilement mise en place, notamment avec Dubaï où certains vivent. Enfin, il reste à déterminer qui sera l’autorité chargée de contrôler les influenceurs, et surtout, avec quels moyens ? Sans parler de la conjugaison de ce texte avec la régulation des GAFAM, bien plus puissante…

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