Cette semaine chez Les Surligneurs : Non, on ne peut pas interdire la grève la moitié de l’année

Publié le 10/02/2023

Peut-on limiter le droit de grève en l’interdisant à certaines périodes, comme le propose la députée Véronique Besse ? Pas sûr. Les Surligneurs vous expliquent pourquoi. Cette semaine, les spécialistes du legal checking corrigent également l’idée reçue selon laquelle il existerait un « service minimum » dans les transports. Et puis ils ont eu l’idée de faire passer un examen de droit à ChatGPT. Le résultat n’est pas brillant…

Cette semaine chez Les Surligneurs : Non, on ne peut pas interdire la grève la moitié de l'année

Véronique Besse (députée non-inscrite) propose que « toute grève [soit] interdite dans le secteur des transports les veilles de vacances scolaires, durant les vacances scolaires et les jours fériés »

“Toute grève est interdite dans le secteur des transports les veilles de vacances scolaires, durant les vacances scolaires et les jours fériés” : s’inspirant de la législation italienne qui prohibe les grèves pendant les fêtes de fin d’année, de Pâques, les vacances d’été et celles de la Toussaint, la proposition de loi en France est justifiée par sa rédactrice comme permettant “d’apporter à tous les voyageurs des garanties afin qu’ils soient certains de pouvoir jouir d’un droit fondamental : celui de voyager”.

Le droit de grève, ayant valeur constitutionnelle doit cependant être concilié avec deux autres principes à valeur constitutionnelle : la liberté d’aller et venir (Décision n° 79-107 DC du 12 juillet 1979) – et non pas le “droit de voyager” – et la continuité des services publics (Décision n° 79-105 DC du 25 juillet 1979).

Pour des raisons de sécurité certains agents publics sont privés du droit de grève comme les soldats. Il est peu probable que les personnels du secteur des transports entreraient dans la catégorie définie par le Conseil constitutionnel comme celle des “agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays” (Décision n°79-105 DC du 25 juillet 1979).

En comptant les différentes zones, les vacances s’étalent sur 20 semaines tandis que les agents des transports travaillent 47 semaines dans l’année. La proposition de loi de Véronique Besse prohibe donc l’exercice de ce droit constitutionnel pendant quasiment la moitié de l’année. Cette limitation des conditions d’exercice du droit de grève ne serait-elle pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par le législateur ?

Conscients du risque d’inconstitutionnalité de la proposition de Madame Besse, des sénateurs LR ont annoncé leur intention de déposer une proposition de loi qui se limiterait à “interdire la grève dans les transports les jours fériés et lors des départs et retours de vacances”.

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“ChatGPT est-il assez intelligent pour passer un examen de droit ?

Une intelligence artificielle, ChatGPT peut-elle répondre à un cas juridique simple, binaire (légal ou illégal ?), d’une déclaration politique contraire à la loi ? Le résultat n’est pas encore probant.

Nous avons donc posé une question : celle d’un maire qui prétendait être parfaitement en droit de payer les jours de grève pour les agents de sa mairie (comme René Revol, maire LFI dans l’Hérault).

Or, c’est illégal en raison de la règle du service fait qui interdit de rémunérer un agent pour un service non effectué. La première difficulté est de savoir comment poser la question, tant les termes peuvent être ambivalents. Voici donc deux versions de la même question.

Première version de la question posée : un maire peut-il payer les agents grévistes ? Réponse de ChatGPT : “Non, un maire ne peut pas payer les agents grévistes. Les grèves sont des moyens légaux de pression pour obtenir des changements, et le paiement des agents grévistes pourrait être considéré comme une forme de corruption”. Il n’a pas compris.

Autre tentative : existe-t-il une loi qui interdit à un maire de payer les agents de la mairie qui font grève ? Réponse : “Non, il n’existe pas de loi qui interdit à un maire de payer les agents de la mairie qui font grève. Cependant, le maire peut choisir de ne pas payer les agents qui font grève, et il peut également prendre des mesures disciplinaires contre les agents qui font grève”.

Le résultat est très insuffisant en somme, sur une question qui appelait une réponse simple, fondée sur une seule source légale, sans ambiguïté. Cette intelligence artificielle reste tout de même très impressionnante et rendra sûrement de grands services aux juristes, mais n’est pas encore prête à les remplacer.

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Pouvoir syndical en France : la remontada ?

Le 7 février, les Français ont manifesté pour la troisième fois contre la réforme des retraites. Alors qu’elles semblaient en recul ces dernières années, les grandes centrales syndicales ont réalisé une vraie démonstration de force en parvenant à mobiliser massivement. L’occasion de faire un point sur l’état du pouvoir syndical et l’impact des grèves en France.

Contrairement au pourcentage d’adhésions, celui des salariés couverts par des conventions collectives reste très important : “En France, nous avons d’un côté 10 % de syndiqués et de l’autre près de 90 % de salariés couverts par des accords collectifs négociés par les syndicats.”

Selon le politiste Denis Maillard, fin connaisseur des évolutions du monde du travail et du milieu syndical, la décennie 2008-2018 a vu se succéder différentes réformes qui, quel que soit le gouvernement, visaient toutes à “rationaliser” le dialogue social pour légitimer ses acteurs et mieux les installer au niveau de l’entreprise. Par exemple, les ordonnances travail du 22 septembre 2017 ont instauré une instance unique, le comité social et économique (CSE), produit de la fusion des trois instances représentatives du personnel (IRP) pour les entreprises de plus de 10 salariés.

Ces dernières années, de nouveaux acteurs de la mobilisation du monde du travail se sont multipliés, en marge, en parallèle, ou en concurrence, voire en contestation des syndicats traditionnels. C’est le cas, par exemple, avec le collectif des contrôleurs de la SNCF, “national ASCT”,  “Médecin pour demain” en 2022, ou encore avec le “Mouvement des Policiers en Colère” en 2016.

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Une fois pour toutes : il n’existe pas de “service minimum” imposé aux grévistes dans les transports en commun terrestres !

Trop de confusions circulent dans la parole politique et dans les médias sur un “service minimum” imposé aux grévistes dans les transports en commun terrestres. En tout état de cause, les concernant, il n’existe pas de “service minimum”.

Un service minimum imposé aux agents des services publics consisterait à restreindre leur droit de grève en les contraignant à faire fonctionner un service public selon un mode plus ou moins réduit, et cela pour assurer l’effectivité du principe de continuité des services publics (Décision n° 79-105 DC du 25 juillet 1979). Il s’agit donc de concilier deux droits à valeur constitutionnelle : le droit de grève (Préambule de la Constitution de 1946, al. 6) et la continuité des services, dans la mesure où certains services publics sont indispensables à la continuité de la vie nationale.

Dans d’autres cas, la continuité de la vie nationale peut se satisfaire d’un service public réduit imposé à l’organisateur du service public, appelé parfois “service minimum”, comme pour la radio (décret de 1982).

Le service minimum, lorsqu’il a été prévu par un texte ou un accord, ou en raison d’impératifs de sécurité, pourra justifier soit l’interdiction de la grève à certaines catégories d’agents, comme la police, soit des réquisitions d’agents grévistes par l’autorité. Ces dernières consistent à obliger un agent, même gréviste, à rejoindre son poste. Or, on ne voit pas en quoi l’absence de transports en commun crée une “atteinte au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques”.

Dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, il existe un dispositif très différent, issu de la loi  21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public qui oblige uniquement tout agent qui entend cesser le travail dans le cadre d’un mouvement collectif, à se déclarer gréviste au moins 48 heures à l’avance.

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