Cette semaine chez les Surligneurs : Philippe Poutou, champion des propositions juridiquement discutables ?

Publié le 18/03/2022

Les Surligneurs, spécialistes de legal checking, ont fort à faire en cette période électorale pour tester la faisabilité juridique des multiples réformes proposées par les candidats à l’élection présidentielle. Cette semaine, c’est le programme de Philippe Poutou qui a retenu leur attention en raison du très grand nombre de mesures portant atteinte tant à la Constitution qu’aux engagements internationaux de la France. Une bonne occasion de réviser les fondamentaux de notre état de droit. 

Cette semaine chez les Surligneurs : Philippe Poutou, champion des propositions juridiquement discutables ?

 

Florilège du programme de Philippe Poutou (NPA) : réquisitions sans indemnisation, interdictions, suppression de la publicité et autres promesses

Quelque peu frustrés par la décision de TF1 de n’accueillir que certains candidats au détriment des autres dans son show télévisé du 14 mars, nous avons décidé d’éplucher le programme de Philippe Poutou, du Nouveau parti anticapitaliste (NPA). Voici, sans prétendre à une exhaustivité qui nécessiterait plus de précisions sur ce programme, un florilège.

Le NPA propose la réquisition, sans indemnité ni rachat, de secteurs clés de l’économie sous le contrôle des travailleurs·euses et de la population” (programme, p. 7)

Cette proposition de Philippe Poutou revient à effectuer une confiscation à l’instar de celles survenues après la Libération (nationalisation de Renault). Toutefois, afin de pouvoir mettre en œuvre juridiquement sa proposition, Philippe Poutou devra au préalable abroger les articles de la Déclaration des droits de l’homme protégeant le droit de propriété (articles 2 et 17) et sortir du Conseil de l’Europe. Cela reste possible comme le démontre le précédent de la Grèce en 1969 par exemple.

Arrêt des productions inutiles (publicité, armement, etc.)” (programme, p. 8)

Là encore la proposition de Philippe Poutou se heurte au droit. Ainsi, la liberté de commerce et d’industrie a été consacrée par le Conseil d’Etat en liberté fondamentale en 1930, et le Conseil constitutionnel lui a emboîté le pas en 1982 en consacrant  la liberté d’entreprise issue du principe de liberté lui-même issu de la Déclaration des droits de l’homme. Attention cependant, cette liberté n’est pas absolue : l’intérêt général (l’ordre public, la santé publique, l’environnement, etc.) constitue ainsi une dérogation autorisant ainsi une légère entorse à cette liberté. Ajoutons à cela que la publicité commerciale est aussi protégée au niveau européen par la Cour de justice de l’Union européenne depuis 2004, car elle fait partie des garanties de la libre circulation des marchandises.

 Réquisitionner les grands groupes de (l’énergie et de l’eau), sans indemniser les actionnaires qui se sont assez gavés” (programme, p. 15)

Même remarques que ci-dessus à propos de ce qui s’apparente à une nationalisation punitive, pas à une simple réquisition (laquelle, en l’état du droit, suppose une indemnisation).

Nationalisation de l’enseignement privé” (programme, p. 16)

L’enseignement privé est protégé par la Constitution au titre de la liberté d’opinion et de conscience. Cette liberté a été ensuite élevée au rang de principe constitutionnel en 1977. Sur le plan international, cette liberté est également garantie par les accords internationaux en vigueur, tel l’article 2 du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme. Difficile dans ces conditions d’appliquer une nationalisation de l’enseignement privé tel que le propose Philippe Poutou…

 Amnistie pour les prisonniers politiques” (programme, p. 21)

Philippe Poutou semble ici effectuer une confusion entre la définition de prisonnier politique et celle de droit commun. En effet, le prisonnier politique se définit, selon le Conseil de l’Europe, comme un prisonnier dont la “détention a été imposée pour des raisons purement politiques sans rapport avec une infraction, quelle qu’elle soit.” Cependant en France, un individu ne peut être emprisonné qu’en cas de commission d’infraction ( délit ou crime), mais en aucun cas pour délit d’opinion.

Par voie de conséquence, en cas d’emprisonnement d’un individu pour délit ou crime de nature politique, cela ne fait pas pour autant de lui un prisonnier politique mais plutôt un prisonnier de droit commun. Si on suit le raisonnement de M. Poutou, nos prisons françaises seraient remplies de prisonniers politiques….

 Éducation antisexiste” (programme, p. 22)

Là encore difficile de voir où veut en venir Philippe Poutou. Qu’est-ce qu’une éducation dite “antisexiste” ? Sans davantage d’éléments d’information sur ce type d’éducation promue par M. Poutou, la Cour européenne des droits de l’homme serait ainsi susceptible de condamner la France pour endoctrinement…

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Selon Yannick Jadot (EELV) : « Total Energies se rend complice de crimes de guerre avec la Russie »

Cela fait plusieurs fois que Yannick Jadot, candidat à l’élection présidentielle, demande le retrait de Total Energies des activités économiques exercées en Russie. Selon lui, le refus de cette dernière permet ainsi d’établir que Total Energies s’est rendue complice de crimes de guerre. Or la réalité juridique est tout autre…

En effet, ce que semble oublier M. Jadot est que le crime de guerre correspond à des définitions juridiques bien précises, notamment en droit international avec les Conventions de Genève de 1949. De plus, il convient de bien se souvenir que pour qualifier un agissement de complicité de crime de guerre il faut la réunion de deux éléments fondamentaux que tous les juristes connaissent bien : d’une part, un élément dit “matériel”, et d’autre part, un élément dit “moral”, ce qui n’est pas nécessairement évident dans le cas de Total Energies.

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Selon Thierry Breton : « Il a été demandé à la Commission européenne de revenir avec un plan pour n’être plus dépendant qu’à 3 % à la fin de cette année des énergies russes »

 Sur France Inter le 14 mars dernier, le commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton a donné une interprétation erronée de la Déclaration de Versailles des 10 et 11 mars 2022, en avançant le fait que, selon lui, la Commission européenne avait été mandatée par le Conseil européen pour réduire de deux tiers la dépendance de l’Europe au gaz et au pétrole russes. Cet élément n’apparaît pourtant pas dans les conclusions de la Déclaration de Versailles…

En réalité, lors de la réunion des chefs d’Etat et de gouvernements de l’Union européenne à Versailles,  il a été posé notamment pour objectifs la réduction des dépendances stratégiques à la Russie à l’instar de l’énergie. Toutefois, aucun objectif chiffré n’a été avancé lors de ce sommet contrairement à ce qui est affirmé par Thierry Breton. Par conséquent, il semblerait que le commissaire européen au marché intérieur ait largement exagéré le soutien des Etats membres à cette proposition de la Commission.

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Pour la professeure de droit Laurence Burgorgue-Larsen, « le droit,  c’est l’antidote contre l’arbitraire”

 Pour la professeure de droit Laurence Burgorgue-Larsen, l’invasion russe en Ukraine nous rappelle que le droit a une fonction démocratique, et qu’il doit être respecté.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, la reconstruction s’est faite par le droit grâce à des juristes de renom. Il s’agit d’un outil essentiel d’un point de vue démocratique. Le droit permet donc de réguler les conflits en mobilisant des institutions chargées de veiller à la bonne application de la règle de droit.

Par ailleurs, il faut prendre garde à ce que le droit ne fasse pas l’objet d’instrumentalisation. En effet, le droit est susceptible d’être manipulé par les hommes car il s’agit d’une boîte à outils qui peut être mise au service du meilleur comme du pire.

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