Chez les Surligneurs : la commission de déontologie ne peut pas « blanchir » Anne Hidalgo

Publié le 17/11/2023

Saisie en urgence au retour de la Maire de Paris, Anne Hidalgo, d’un voyage à Tahiti, la commission de déontologie n’a aperçu aucune irrégularité dans ce déplacement. Peut-on, pour autant, considérer qu’elle l’a blanchie ? Les Surligneurs expliquent que ce n’est pas dans les pouvoirs de cette commission. Cette semaine, les spécialistes du legal checking abordent aussi le boycott de TPMP, la prière collective dans un hall d’aéroport et le souhait d’Olivier Marleix de modifier la Constitution pour échapper au juge européen. 

Chez les Surligneurs : la commission de déontologie ne peut pas "blanchir" Anne Hidalgo

La Commission de déontologie de la ville de Paris peut-elle dédouaner Anne Hidalgo pour son voyage en Polynésie française ?

La polémique fait rage : le voyage officiel d’Anne Hidalgo, maire de Paris, en Polynésie française, est évidemment l’occasion de postures politiques, mais il faut bien admettre que la communication autour de ce voyage, ainsi que ses modalités et son but même, pose question. Pour cette raison, à son retour, Anne Hidalgo a saisi la “Commission de déontologie de la Ville de Paris”, laquelle n’a pas trouvé à redire.

Cette Commission de déontologie est l’organe mis en place par la ville de Paris en vertu de l’article L.1111-1-1 du CGCT, qui oblige les collectivités à créer une fonction de “référent déontologue chargé de (leur) apporter tout conseil utile au respect des principes déontologiques”. Une “charte de l’élu local” prévoit en particulier que ce dernier “s’engage à ne pas utiliser les ressources et les moyens mis à sa disposition pour l’exercice de son mandat ou de ses fonctions à d’autres fins”. Compte tenu du nombre d’élus et de collaborateurs d’élus de la ville de Paris, un référent déontologue ne suffisait pas : il fallait une commission.

Cette commission “apporte tout conseil utile au respect des principes déontologiques”. Elle peut donc être saisie en amont d’un projet (ici un projet de voyage) ou a posteriori. Il est prévu que les élus doivent lui déclarer annuellement les voyages effectués dans le cadre de leurs mandats. Mais cette commission, contrairement au juge, n’est pas compétente pour “blanchir” quoi que ce soit ou qui que ce soit aux yeux de la loi.

Sur le fond, le code de déontologie de la ville de Paris prévoit que tout voyage doit être justifié par un “intérêt lié directement à la ville de Paris et/ou aux mandats ou fonctions exercées”. Il doit en outre être validé (donc en amont) au Bureau d’appui aux élus de la ville, “éventuellement au référent déontologique”, qui est donc la commission de déontologie. Ce texte ne fait que rappeler un principe général selon lequel les dépenses publiques ne sauraient porter sur autre chose que des missions d’intérêt général en lien avec la mission de l’institution. Au niveau d’une mairie, c’est le maire qui, en tant qu’ordonnateur des dépenses, en apprécie l’opportunité sous le contrôle du juge financier et des conseillers municipaux.

Il est reproché par ailleurs à la maire d’avoir mis à profit un voyage officiel pour y inclure un voyage privé, et une plainte a été déposée au pénal. Sans préjuger de la sanction judiciaire, le droit prévoit également une sanction politique : devant les élus municipaux, le maire doit justifier ses dépenses et leur résultat. Et il faudra aussi convaincre les électeurs lors du prochain scrutin municipal, que tout cela était bien utile.

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Cyril Hanouna : “le boycott de ‘Touche pas à mon poste’ (…), c’est un acte antisémite »

Cyril Hanouna, célèbre animateur de l’émission “Touche pas à mon poste”, a vu son audience baisser. Il impute ce revers à des appels au boycott qui seraient selon lui des actes antisémites, en raison de la manière dont auraient été traitées dans son émission les attaques terroristes du Hamas le 7 octobre 2023. Or en droit, un boycott n’est pas forcément un acte répréhensible, et l’acte antisémite n’est pénalement répréhensible que s’il répond à la définition de la provocation à discrimination fondée sur la religion ou à d’autres délits de dicrimination.

L’appel au boycott est considéré comme une manifestation de la liberté d’expression tant qu’il ne s’accompagne pas d’une rhétorique de provocation à la haine raciale. Des appels au boycott de produits ou d’entreprises israéliennes constituent un délit lorsqu’ils “portent atteinte aux droits d’autrui”, notamment par une “provocation publique à la discrimination à raison de l’origine de la société” (Cass, crim., 17 octobre 2023). Mais ils n’en sont pas lorsqu’ils “s’inscrivent dans le cadre d’un débat d’intérêt général” et que “les propos incriminés ne contiennent pas, même sous une forme implicite, en eux-mêmes d’appel ou d’exhortation à la discrimination” (Cass, crim., 23 mai 2018 et CEDH, 11 juin 2020).

En conséquence, pour que Cyril Hanouna ait raison, il faudrait prouver que les appels au boycott de son émission comme des sociétés dont il est actionnaire, s’accompagnent par exemple de slogans incitant à la discrimination en raison de sa religion.

Indépendamment du caractère moralement inadmissible de toute opinion raciste, antisémite, homophobe, etc., ces opinions n’en restent pas moins des… opinions et il n’existe en France pas de police des opinions.

De plus, “l’acte antisémite” n’existe pas en tant que tel dans le Code pénal, qui évoque et reprime notamment des “provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence” en raison de l’origine, l’appartenance ou la non-appartenance réelle ou supposée à une “ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée” (article 24 de la loi du 29 juillet 1881). Le mobile raciste, donc aussi antisémite, d’un crime ou d’un délit est une circonstance aggravante (article 132-76 du code pénal).

Quant à boycotter les sociétés dont Cyril Hanouna serait actionnaire, c’est là encore en fonction de la manière dont l’appel au boycott est lancé. Cyril Hanouna étant une personnalité publique qui véhicule certaines opinions, il s’expose inévitablement à des courants hostiles. Boycotter au nom de positions pro-palestiniennes un personnage public en raison de ses supposées prises de positions pro-israéliennes, n’est pas juridiquement répréhensible.

Reste que, dans tous les cas, il faut bien le reconnaître, la limite entre appel au boycott “politique” et appel à la discrimination n’a rien d’évident.

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Prière collective dans un hall d’aérogare : Clément Beaune rappelle les « règles nécessaires »

Tout semble être parti d’un tweet de l’ancienne ministre des Affaires européennes et ancienne membre du Conseil constitutionnel Noëlle Lenoir, qui a publié sur X un cliché montrant une séance de prière de pèlerins musulmans, dans un hall aéroportuaire qui n’est pas prévu pour la pratique religieuse. Augustin de Romanet, PDG d’Aéroports de Paris, a réagi en affirmant que la police aux frontières avait « instruction d’interdire cela«  et ordre de « redoubler de vigilance », ce que que le ministre des transports Clément Beaune a ensuite repris dans son propre tweet, restant toutefois plus vague. Et pour cause : l’interdiction de prier dans les aérogares, cela n’existe pas…

De nombreux internautes ont pointé ce qu’ils considèrent comme une atteinte au principe de laïcité. Toutefois, ce principe issu de la loi du 9 décembre 1905 et inséré depuis dans la Constitution (article 1er), n’est pas en cause. Ce principe de laïcité s’impose aux agents en charge d’un service public (art. L. 121-1 et L. 121-2 CGFP), même s’ils travaillent dans une entreprise privée (Loi du 24 août 2021, article 1er). Mais ce principe ne s’impose pas aux usagers du service public, même s’il existe certaines exceptions, en particulier à l’école publique (loi du 15 mars 2004 sur le port de signes religieux en milieu scolaire).

Les individus sont libres de pratiquer leur religion, sous réserve du respect de l’ordre public, ce qui est valable pour toutes les libertés. Ainsi par exemple, les prières de rue ne sont pas interdites en France, dès lors qu’elles ne viennent pas troubler l’ordre public et qu’elles sont déclarées en tant que manifestation. La liberté de conscience (art. 10 DDHC) garantit le droit de prier n’importe où sans troubler l’ordre public. Existait-il, en l’occurrence, un trouble au sein de l’aéroport de Roissy ? La presse rapportant des propos de source aéroportuaire, ne fait mention d’aucun trouble majeur, de type prosélytisme en plein aéroport. De plus, les Aéroports de Paris ne sont pas dotés d’un règlement intérieur qui interdirait les prières dans les halls d’attente. Enfin, l’épisode n’a duré que dix minutes.

Dans ces conditions, ces prières au sein d’un espace dédié au service public constituent-elles en soi un trouble à l’ordre public, au point d’en interdire la tenue de manière automatique ? Il est vrai qu’il existe des espaces dédiés dans les aéroports, des chapelles consacrées aux principales religions. Mais cela ne saurait, en droit, signifier que la prière est interdite ailleurs, faute de texte allant dans ce sens.

En réalité, il semble que ce ne soit pas la prière qui pose problème, mais le regroupement de fidèles qui monopolisent momentanément une partie de l’espace public le temps d’une prière, au risque de gêner la circulation des autres passagers. Si la photo prise par Noëlle Lenoir ne montre aucune gêne de ce type, cette hypothèse constituerait certainement un trouble.

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Immigration : Olivier Marleix (LR) souhaite modifier la Constitution pour contourner les juges européens

Alors que les débats sur le projet de loi “Immigration” ont commencé au Sénat, le président du groupe LR à l’Assemblée nationale, Olivier Marleix, a déclaré qu’en matière d’immigration : “changer la loi ne suffit plus, puisqu’un juge peut refuser de l’appliquer sous prétexte qu’elle serait contraire à une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Il faut changer la Constitution !”. Vraiment ?

La hiérarchie entre les normes nationales (lois, règlements, Constitution) et les normes supranationales (les traités internationaux) est sujette à débat. L’article 55 de notre Constitution prévoit que les traités sont supérieurs aux lois nationales. Mais rien n’est dit sur le rapport entre les traités et notre Constitution. Le Conseil d’État et la Cour de cassation déclarent que si les traités européens sont supérieurs aux lois nationales, ils ne priment pas sur la Constitution (CE Sarran et Levacher, 30 octobre 1998, Cass. Fraisse, 2 juin 2000).

C’est pourquoi Olivier Marleix pense qu’en modifiant la Constitution, il espère s’affranchir du droit de européen en matière d’immigration et voter des lois sans risque qu’elles soient remises en cause par les juges nationaux au nom du droit de européen. Il s’agirait par exemple d’insérer dans la Constitution un article restrictif sur l’immigration, ce qui permettrait au législateur d’apporter les précisions nécessaires, et le juge national ne pourrait y échapper. C’est vrai en l’état de notre droit national.

À l’inverse des juridictions nationales, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) considèrent que les engagements internationaux et européens priment sur le droit national, y compris sur les dispositions constitutionnelles.

La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE, aujourd’hui CJUE) a posé ce principe dans sa décision Costa contre ENEL de 1964. La Cour ne distingue pas entre les lois et les constitutions nationales : elle soumet tous les textes internes au droit européen. La seule réserve réside dans le fait qu’une norme internationale peut entrer en conflit avec ce qui fait l’identité nationale d’un État (Conseil constitutionnel, 15 octobre 2021). D’ailleurs, “l’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale” (article 4 du TUE). Il est donc possible pour les États membres de l’UE d’invoquer la clause d’identité nationale pour qu’une disposition de droit interne, considérée comme inhérente à l’identité du pays, ne soit pas soumise au droit européen.

De son côté, la Cour internationale de justice a également jugé que les États ne pouvaient invoquer leur Constitution pour échapper à leurs obligations internationales (Nicaragua, 1986 et LaGrand 2001).

Si la France adoptait un texte constitutionnel contraire à au droit de l’Union, elle serait sanctionnée par la CJUE. Il en irait de même s’agissant de la CEDH et la France pourrait être contrainte de verser une “satisfaction équitable” à un individu dont un droit fondamental a été entravé (article 41 de la Convention EDH).

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