Chez les Surligneurs : Éric Zemmour était-il en état de légitime défense en Corse ?
Eric Zemmour était-il en situation de légitime défense quand il a porté un coup à une militante après avoir reçu des oeufs en Corse, le 4 mai dernier ? Les Surligneurs vous répondent. Cette semaine, les spécialistes du legal checking se penchent aussi sur la possibilité de modifier, voire de renoncer, à l’État de droit et sur la force juridique de la Charte de l’environnement.
Altercation avec des militants de gauche en Corse : Éric Zemmour peut-il revendiquer la légitime défense ?
Le samedi 4 mai 2024, à Ajaccio, une militante de gauche s’approche du candidat Éric Zemmour après avoir tenté de lui jeter des œufs quelques secondes plus tôt. Les gardes du corps d’Éric Zemmour interceptent cette femme en se plaçant entre le candidat et elle. Soudain, on voit la main du candidat d’extrême droite surgir et porter un coup à l’arrière du crâne de la militante. Une polémique bien malvenue pour le candidat en pleine campagne des élections européennes. Selon les soutiens d’Éric Zemmour, il n’a pas riposté, mais a eu un « pur réflexe de légitime défense« . Sa collaboratrice, Sarah Knafo, y voit aussi un geste de “légitime défense au sens du Code pénal« .
Rappelons, en préambule, qu’à ce stade de l’affaire, il est juridiquement hors de propos d’évoquer la légitime défense. En effet, pour l’heure, la seule plainte déposée après cet épisode est celle d’Éric Zemmour contre X pour « violences volontaires« . Dans ce cadre, il n’a pas à justifier d’une quelconque légitime défense, puisque la justice ne va s’intéresser qu’à l’agression dont il se prétend victime, sauf si le parquet décide d’ouvrir une enquête ou si la militante décide de porter plainte à son tour.
À supposer que la justice vienne à s’intéresser au coup porté par le polémiste, serait-il possible d’affirmer sans aucun doute qu’Éric Zemmour était en situation de légitime défense ?
Le code pénal encadre le concept de légitime défense (art. 122-5 al 1ᵉʳ) et prévoit cinq conditions : l’attaque doit être injustifiée, la défense doit se faire pour soi ou pour autrui, elle doit être immédiate, nécessaire à la protection, et doit également être proportionnée. S’il manque une de ces conditions, alors la légitime défense ne pourra pas être retenue comme cause d’irresponsabilité pénale.
Concernant le cas d’Éric Zemmour, prenons ces critères un à un. Tout d’abord, le motif de l’agression : en l’état actuel de la jurisprudence, il est peu probable qu’un juge considère les agressions pour motif politique ou militant comme justifiées. Il en va de même concernant la réplique d’Éric Zemmour. L’agression dont il se dit victime est bien dirigée contre sa personne et son geste semble proportionné. Les trois premiers critères semblent remplis pour plaider la légitime défense.
C’est au niveau de la condition d’immédiateté que l’argumentation des proches du candidat pourrait en partie coincer. En effet, la question est de savoir si Éric Zemmour a répliqué immédiatement ou plus tard. Pour l’heure, difficile de trancher. Ce n’est pas tant la durée que le lien direct entre l’agression supposée et la riposte qui est en jeu. À partir du moment où la personne attaquée n’est plus en danger, on ne peut plus retenir la légitime défense. Ou alors, c’est une autre agression qui est commise.
Or, la vidéo est sujette à interprétation. Soit, le coup porté par Éric Zemmour n’était pas nécessaire car la militante était déjà maîtrisée par le service de sécurité, auquel cas il s’agirait d’une vengeance du candidat. Soit il n’est pas certain qu’elle ait été immobilisée. Elle aurait donc pu “revenir à la charge”.
Sans éléments supplémentaires et faute d’enquête de police, il est impossible d’affirmer avec certitude qu’Éric Zemmour était bien en situation de « légitime défense au sens du Code pénal« .
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Laurent Fabius : « Dans une démocratie avancée comme la nôtre, on peut bien sûr modifier l’état du droit, mais il faut toujours respecter l’État de droit »
Réagissant à des commentaires politiques suscités par des décisions récentes du Conseil constitutionnel, son président Laurent Fabius a déclaré que « dans une démocratie avancée comme la nôtre, on peut bien sûr modifier l’état du droit, mais il faut toujours respecter l’État de droit : la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, la légalité des délits et des peines, les grandes libertés ». Si la formule semble s’imposer avec la force de l’évidence chez toutes les personnes politiquement attachées au respect de ces principes, d’un point de vue juridique, elle ne fait pas l’unanimité.
Le concept d’État de droit est traditionnellement défini comme désignant un système de gouvernement dans lequel le pouvoir politique se soumet à des règles de droit dont la méconnaissance est sanctionnée par un organe indépendant de celui-ci, le plus souvent une autorité juridictionnelle qui est elle-même subordonnée à ces règles. Le « on » de Laurent Fabius paraît donc viser ici les trois composantes de l’État que sont les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
Parmi ces règles de droit, on trouve traditionnellement des principes éminents comme la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, la légalité des délits et des peines ou encore ce qu’il appelle les « grandes libertés ». Ces principes sont inscrits dans des conventions internationales auxquelles la France est partie (CEDH) mais aussi dans des textes nationaux de valeur constitutionnelle. Pour assurer le respect de ces textes, certaines autorités bénéficiant de garanties d’indépendance ont été instituées : la Cour européenne des droits de l’Homme au niveau international ; la Cour de cassation, le Conseil d’État ou le Conseil constitutionnel au niveau national.
Toutefois, certains juristes considèrent que ce n’est pas parce qu’un État décide de se soumettre au droit qu’il ne peut pas revenir sur sa décision. À condition, bien sûr, de respecter les règles de modification fixées par le droit lui-même, sans quoi nous serions confrontés à une forme de coup d’État. Suivant ce raisonnement, et contrairement à ce qu’affirme Laurent Fabius, sous réserve du respect des procédures fixées par les textes, il serait possible de dénoncer, d’abroger ou de modifier toutes les règles de droit auxquelles la République française se soumet. Y compris, les principes considérés comme inhérents à l’existence d’un État de droit précédemment mentionnés. En somme, l’État français pourrait modifier l’état du droit jusqu’à supprimer l’État de droit.
Pour autant, cette analyse ne fait pas l’unanimité chez les juristes. En retenant une autre interprétation du droit, il est possible de donner raison à Laurent Fabius. L’idée selon laquelle le respect de l’État de droit est un impératif auquel il est impossible de déroger peut être fondée sur deux textes particuliers. D’une part, l’alinéa 5 de l’article 89 de la Constitution, selon lequel « la forme républicaine du gouvernement [qui impliquerait notamment le respect de certaines libertés fondamentales] ne peut faire l’objet d’une révision ». D’autre part, l’article 16 de la DDHC, qui proclame que « toute Société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
Selon certains juristes, ces dispositions contiennent bien des principes sur lesquels se fonde l’État de droit en France, mais ils n’ont jamais qu’une valeur constitutionnelle. Il serait donc possible de les remettre en cause au moyen d’une révision de la Constitution. Selon d’autres juristes, vers lesquels semble incliner Laurent Fabius, ces deux textes présentent au contraire un caractère intangible. Cette interprétation du droit est partiellement corroborée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision du 12 août 2004), en ce qui concerne les révisions de la Constitution conditionnées au respect de l’article 89 alinéa 5 de la Constitution. Certaines dispositions de la Constitution, qui fondent et organisent l’État de droit, ne pourraient donc jamais être remises en cause.
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Agnès Pannier-Runacher : « La Charte de l’environnement a un rôle, mais dans la limite de la loi »
S’exprimant au sujet du Projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture, Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, a expliqué que les enjeux environnementaux ne doivent pas empêcher l’agriculture de se développer. La journaliste qui lui faisait face lui a opposé la Charte de l’environnement de 2004, ce elle a répondu que la Charte devait s’appliquer dans la limite de la loi, ce qui en droit est faux : dans la mesure où la Charte a une valeur constitutionnelle, c’est méconnaître la hiérarchie des normes.
La Charte de l’environnement est un texte qui comprend des droits relatifs à un environnement sain et équilibré et des devoirs comme la préservation de la biodiversité et la réparation des dommages causés à l’environnement. Elle a été ajoutée à la Constitution de 1958 depuis la révision constitutionnelle de 2005, puisqu’une révision y est faite dans son préambule. La Charte est un texte à valeur constitutionnelle (Conseil constitutionnel, 19 juin 2008 et 7 mai 2014).
L’État de droit repose, dans notre système, sur une hiérarchie entre les normes : les actes réglementaires ont une valeur inférieure à la loi et doivent donc la respecter. La loi a elle-même une valeur inférieure à la Constitution qu’elle doit respecter. Or, en droit français, la Constitution s’entend de ce qu’on appelle le « bloc de constitutionnalité », qui regroupe la Constitution de 1958 et, le préambule de la Constitution de 1946, la DDHC de 1789, et la Charte de l’environnement de 2004.
Par conséquent, ce n’est pas la Charte qui s’applique « dans la limite de la loi » comme le déclare la ministre, mais la loi qui s’applique dans la limite de la Charte.
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Référence : AJU440442