Chez les Surligneurs : les Français risquent-ils d’être « réquisitionnés » pour aller défendre l’Ukraine ?
« Si la France entre en guerre, pouvons-nous être réquisitionnés ? » s’interroge le site Nexus.fr. Les Surligneurs répondent. Cette semaine, les spécialistes du legal checking se penchent aussi sur la liberté d’expression chez soi, la possibilité d’interdire les publicités pour le halal ou encore celle de recourir aux statistiques ethniques.
Nexus.fr : « si la France entre en guerre, pouvons-nous être réquisitionnés ? »
« Macron veut envoyer nos enfants sur le champ de bataille » selon Manon Aubry ; « inquiétant dispositif de réquisition » selon le média Nexus.fr qui s’interroge sur le pouvoir de réquisition tel que réformé par la loi de programmation militaire du 1er août 2023. S’il est vrai que le pouvoir de réquisition a été élargi, il ne faut pas confondre réquisition avec conscription ou mobilisation.
D’abord, la conscription est l’équivalent du service militaire obligatoire, qui a été supprimé sous la présidence Chirac au profit d’un service volontaire. La réquisition ne permet absolument pas de rétablir une conscription, même à petite échelle (article L. 2211-1s du code de la défense). Cet outil permet à l’État de se doter autoritairement de moyens humains et matériels afin de parer à « l’ensemble des menaces et des risques susceptibles d’affecter la vie de la Nation” (article L. 1111-1).
En somme, les guerres étant désormais « hybrides », la loi de programmation militaire permet de moderniser le Code de la défense en étendant les réquisitions à tous les biens, services et personnels aptes à permettre une réponse aux différents types d’agressions. Toutes ces réquisitions font l’objet d’une indemnisation, et ne permettent pas d’enrôler des personnes au sein des armées. D’ailleurs, il est prévu que « l’appel sous les drapeaux fait cesser la réquisition » (article L.2212-1). Les personnes requises « sont utilisées suivant leur profession et leurs compétences, ou, s’il y a lieu, suivant les aptitudes” . La réquisition n’a donc pas vocation à envoyer au combat, d’autant qu’elle peut être prononcée en dehors de toute agression armée. En revanche, la réquisition peut indéniablement conduire à exposer certains personnels civils à des risques.
La mobilisation, ensuite, est décidée par décret en conseil des ministres et ouvre aussi le droit de « requérir les personnes, les biens et les services » (article L. 2141-3). Mais surtout, elle peut être générale ou partielle. La mobilisation générale vise toute personne non exemptée des obligations militaires (article L. 2141-4), sauf objection de conscience (articles L. 116-1s)
C’est donc l’appel sous les drapeaux, et là il s’agit bien d’envoyer « nos enfants » au front sous réserve des conditions d’âge, y compris sous forme de réquisition. L’hypothèse est celle d’une agression armée actuelle ou imminente, mais également celle d’une agression contre un pays auquel la France doit aide et assistance en vertu d’un traité comme celui de l’OTAN. Or, l’Ukraine ne fait pas partie de l’OTAN. Et quand bien même un pays partie à l’OTAN serait attaqué, l’article 5 du traité ne nous oblige pas à entrer en guerre.
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Les abus de la liberté d’expression seront-ils réprimés dans notre salon ?
C’est ainsi qu’a pu être présentée la proposition de loi visant à renforcer la réponse pénale contre les infractions à caractère raciste, antisémite ou discriminatoire, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 6 mars dernier, qui en réalité ne vise qu’à renforcer la répression de certaines infractions particulièrement graves, qui portent sur la diffusion de contenus haineux. La répression de tels abus de la liberté d’expression n’a rien de nouveau, et d’ailleurs cette proposition entend réprimer plus sévèrement certaines infractions qui ne sont actuellement passibles que d’une contravention lorsqu’elles sont commises dans un cadre non public, en les transformant en délit.
Ainsi, la diffamation et l’injure non publiques à caractère raciste ou discriminatoire, des provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence envers les personnes en fonction de leur appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à par exemple une ethnie ou une religion, sont déjà punies de 1 500 euros d’amende. Cette peine passerait à 3 750 € voire à 15 000 € d’amende et un an de prison si l’infraction est commise par une personne dépositaire de l’autorité publique.
Par ailleurs, deux nouveaux délits seraient créés, réprimant l’apologie non publique de crimes de guerre et contre l’humanité et la contestation non publique de crimes contre l’humanité. La notion de diffusion publique suppose que l’injure soit proférée devant un nombre de personnes indéterminé ou déterminé mais non liées par une communauté d’intérêts. Une diffusion non publique s’entend seulement de celle qui vise un cercle de personnes restreint qui sont liées entre elles par une communauté d’intérêts, qui peut par exemple être de nature professionnelle.
De plus, encore faut-il que les propos litigieux n’aient pas été échangés à titre confidentiel, c’est-à-dire en tête à tête s’ils sont verbaux (Cour de cassation, 14 avril 2014), ou par le biais d’une correspondance s’ils sont écrits (Cour de cassation, 7 février 2006). Un espace de totale liberté est donc laissé aux interlocuteurs, la répression des abus de la liberté d’expression ne pouvant s’immiscer jusque dans les relations interpersonnelles.
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Marion Maréchal veut interdire les publicités pour la nourriture Halal
Marion Maréchal, tête de liste du parti Reconquête ! aux prochaines élections européennes, veut interdire les publicités pour les produits alimentaires halal. Selon elle, cette publicité conduirait à mettre en place « une charia alimentaire ». Mais l’interdiction de publicité pour un produit doit respecter un certain nombre de conditions et d’abord le respect de la liberté d’entreprendre.
La publicité d’un produit relève de la liberté d’entreprendre et du droit de propriété selon le Conseil constitutionnel (8 janvier 1991) : c’était à propos de la loi dite Evin qui interdisait la publicité pour le tabac. Or, l’interdiction de la publicité sur le tabac poursuivait un objectif de santé publique auquel le Conseil constitutionnel a aussi reconnu une valeur constitutionnelle, le faisant en l’occurrence primer sur la liberté d’entreprendre. Mais s’agissant de la nourriture halal on ne voit pas quel objectif de santé publique poursuivrait une interdiction de la publicité, ni même tout autre objectif d’ordre public. Marion Maréchal invoque le risque d’une « charia alimentaire » qui, en l’état actuel du droit, ne se rattache à aucune notion juridique. Si elle souhaite appliquer sa proposition, elle devra démontrer qu’il existe un objectif constitutionnel capable de primer sur la liberté d’entreprendre des producteurs de nourriture halal.
Au sein de l’Union européenne, la proposition de Marion Maréchal pose un autre problème : les États membres ont interdiction de faire obstacle à la libre circulation des marchandises (article 28 TFUE). Or, l’interdiction de la publicité est de nature à entraver le libre-échange entre les États membres, sauf justification d’ordre public, sous le contrôle de la cour de justice (CJCE Oosthoek, 1982).
Par exception, les États membres peuvent donc imposer des restrictions à la libre circulation des marchandises, et donc à leur publicité, pour certains motifs comme des raisons de « moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes” (article 36 TFUE). Reste à Marion Maréchal à démontrer que les produits halal constituent une menace pour l’ordre public là encore.
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Selon un sondage, une majorité de Français est favorable à l’utilisation des statistiques ethniques pour lutter contre la délinquance
Selon un sondage, 53 % des Français sont favorables à l’utilisation des statistiques ethniques pour lutter plus efficacement contre la délinquance, sauf qu’en l’état du droit, une telle statistique est contraire à la Constitution.
Selon l’article 6 de la loi Informatique et Libertés, il est « interdit de traiter des données à caractère personnel qui révèlent la prétendue origine raciale ou l’origine ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale d’une personne physique. » Il existe des exceptions, en particulier les statistiques effectuées « à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes ou de poursuites » (article 2 RGPD et article 31 loi Informatique et Libertés). Autre exception prévue par la loi, les statistiques résultant de « traitements justifiés par l’intérêt public”, même si aucun décret n’est venu concrétiser cette possibilité à ce jour.
Le Code pénal interdit de manière générale les statistiques ethniques et prévoit une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende (article 226-19 du code pénal).
Selon le Conseil constitutionnel, l’article 1er de la Constitution interdit toute distinction selon l’origine, la race ou la religion, ce qui rend inconstitutionnelle toute statistique prenant ces critères en compte. En somme, si l’on veut utiliser les statistiques ethniques pour lutter contre la délinquance, il faudra soit modifier la Constitution, soit convaincre le Conseil constitutionnel que les statistiques ethniques répondent à un intérêt général suffisant pour justifier une entorse au principe d’égalité.
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Référence : AJU430268