Chez les Surligneurs : Manuel Bompard, le terrorisme et les crimes de guerre
Pourquoi Manuel Bompard parle plus facilement de « crimes de guerre » s’agissant du Hamas ? Les Surligneurs vous expliquent les enjeux juridiques attachés aux qualifications que l’on emploie. Cette semaine, les spécialistes du legal checking nous parlent aussi d’Elon Musk, de la « Première Dame » et de l’indemnisation des cyber-attaques.
Manuel Bompard (LFI) parle “de crimes de guerre” mais refuse de qualifier le Hamas d’organisation terroriste
Depuis l’attaque armée du Hamas contre les populations civiles en Israël, La France insoumise tente de faire entendre un discours différent des autres formations politiques qui refuse de qualifier le Hamas d’organisation terroriste et préfère parler de crime de guerre, ou encore d’actes terroristes. Qu’en est-il ?
Cette qualification dépend en réalité des droits internes des États, ce qui la rend très relative dans l’absolu. Pour l’Union européenne, une position commune des États membres de 2001 liste parmi les organisations terroristes le Hamas-Izz al-Din al-Qassem. En France, donc, cette branche est juridiquement une organisation terroriste, même son caractère contraignant peut parfois être relatif. D’autres États, en revanche, n’ont pas fait ce choix, comme la Norvège. Mais ne pas classer une organisation comme “terroriste” ne signifie pas qu’on approuve ses actes.
Par ailleurs, il n’existe pas de définition universelle du terrorisme en droit international. L’Union européenne définit un groupe terroriste dans une directive de 2017 comme étant “l’association structurée de plus de deux personnes, établie pour un certain temps et agissant de façon concertée en vue de commettre des infractions terroristes”, qui sont elles-mêmes définies par les États membres.
La qualification de “crimes de guerre” a une importance particulière en droit international car elle ouvre la possibilité d’un procès de ses auteurs devant la Cour pénale internationale (CPI). La CPI est en revanche compétente en matière de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou encore d’infractions graves au droit international humanitaire (comme les prises d’otages). Autrement dit, les auteurs d’actes de terrorisme peuvent, dans ce contexte, être jugés en tant que criminels de guerre, mais des terroristes ne peuvent pas toujours être jugés en tant que criminels de guerre.
La qualification de “terrorisme” a en revanche un intérêt dans l’Union européenne, car c’est parce que la branche terroriste du Hamas est qualifiée d’organisation terroriste par le Conseil de l’Union européenne qu’elle peut faire l’objet de sanctions européennes.
Le débat se place donc ici plutôt ici autour de la qualification de “crime de guerre”. Il s’agit notamment de savoir si les attaquants du Hamas constituent des “combattants” au sens des conventions de Genève. Or l’application des conventions de Genève au Hamas semble faire assez peu débat, dans la mesure où l’organisation exerce effectivement l’autorité sur la bande de Gaza et est impliquée dans un conflit armé largement constaté.
Un autre enjeu peut être relevé : le refus de la qualification de “terrorisme” place, en droit, les deux parties sur un pied d’égalité. Il ressort de l’actualité que la riposte d’Israël pourrait elle-même donner lieu à des exactions visant directement des civils palestiniens, actes eux-mêmes qualifiables de crimes de guerre.
Pour résumer, si on se limite à parler de crime de guerre, Israël et le Hamas peuvent être accusés chacun pour leurs actes (l’attaque et la riposte). Si on parle de terrorisme, seul le Hamas est accusé.
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Elon Musk, X, et Thierry Breton
Mercredi 11 octobre 2023, Thierry Breton, Commissaire européen au marché intérieur, a adressé un courrier à Elon Musk, dirigeant de X (ex-Twitter), le menaçant de sanctions face à la passivité de X à lutter contre les contenus illégaux et la désinformation sur l’attaque perpétrée par le Hamas en Israël.
Elon Musk souhaite transformer X en “une place publique numérique commune où un large éventail de croyances peut être débattu de manière saine, sans recourir à la violence“ : il privilégie une modération automatisée pour déréférencer les contenus haineux sur le site et a rompu les contrats avec de nombreux modérateurs sous-traitants.
L’expansion des contenus terroristes sur la plateforme ainsi que la diminution de la modération pourraient mettre à mal la conformité de Twitter vis-à-vis du règlement dit « TCO » (« terrorist content online ») qui impose aux plateformes en ligne le retrait dans l’heure des contenus terroristes ou leur blocage dans l’Union européenne. Le non-respect de cette obligation peut entraîner une amende allant jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise.
Thierry Breton, chargé de mettre en œuvre le Digital Services Act, a eu un échange en visioconférence avec Elon Musk, pour lui rappeler les grands principes de ce règlement.
X doit introduire un outil facilitant le signalement des contenus illicites et coopérer avec des “signaleurs de confiance”. X doit aussi créer un système interne de traitement des réclamations permettant aux utilisateurs de contester une sanction de la plateforme. Le fonctionnement des algorithmes et leur utilisation doivent être connus des utilisateurs et de la Commission européenne. Enfin, X doit participer activement à l’atténuation des risques de désinformation et à la prévention des crises. Le résultat de cet échange entre Thierry Breton et Elon Musk a permis d’espérer qu’Elon Musk se conformerait au DSA. Mais X a finalement cessé d’adhérer au Code de bonnes pratiques contre la désinformation de la Commission européenne, prévu justement pour assurer le respect du DSA.
Une des dernières décisions d’Elon Musk soulève une grande inquiétude pour le futur de X : Elon Musk a suspendu plusieurs comptes de journalistes américains qui avaient tweeté sur la décision de suspendre le compte qui relayait les trajets de son jet.
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Avec la sortie du film « Bernadette« , un statut de la “Première dame” inversement proportionnel à sa place dans la vie publique
Catherine Deneuve, en Bernadette Chirac, est plus vraie que nature. Dans son dernier film sorti en salles le 4 octobre – date anniversaire de la Constitution de la Cinquième République –, la réalisatrice Léa Domenach offre à quelques acteurs stars de se glisser dans les couloirs secrets du Palais de l’Élysée. Le rôle conféré dans ce long métrage à la première dame, malgré les libertés prises avec la réalité, n’en reste pas moins révélateur du statut paradoxal de la première dame en France : quasiment sans fonction officielle, mais pourtant tellement influente. Quel est le cadre juridique qui lui est réservé ?
Pour l’instant exclusivement féminin, le conjoint du président n’a pas de rôle légalement établi. Depuis le début de la IIIe République en 1875, le droit n’a jamais mentionné le conjoint du président. Il existe cependant un usage voulant qu’il bénéficie d’une place dans l’ordre protocolaire et soit présent lors des réceptions officielles et des voyages diplomatiques. Mais le décret qui fixe l’ordre protocolaire de préséance ne mentionne pas le conjoint. Entre 1997 et 2011, le code de procédure pénale assimilait l’épouse du président à une autorité administrative, avant que ce texte soit abrogé.
Reste que la Première dame a un rôle toujours plus actif sous la Ve République. Elle n’hésite pas à soutenir les choix de son époux et s’exprimer sur les politiques publiques. Sa légitimité est souvent discutée à cet égard, la Première dame n’étant ni élue, ni nommée, son rôle ne repose sur aucun titre juridique. Le conjoint ou la conjointe du président dispose en revanche de moyens. Il ou elle possède un bureau au sein de l’Élysée, et un cabinet de conseillers l’entoure. Ces moyens proviennent toutefois du budget attaché à la fonction du président de la République, pas à une fonction quelconque qu’occuperait la Première dame.
En 2017, avec l’élection à la magistrature suprême d’Emmanuel Macron, fut créée la Charte de transparence relative au statut du conjoint du chef de l’État. Cette charte ne crée pas de cadre juridique, mais énumère des fonctions qui étaient en réalité déjà exercées par les premières dames depuis Danielle Mitterrand. Elle « assure la représentation de la France, aux côtés du président de la République, lors des sommets et réunions internationales ». De même, elle apparaît comme une sorte d’intendante de la maison élyséenne : elle « répond aux sollicitations des Français et des personnalités françaises et étrangères qui souhaitent la rencontrer », « supervise la tenue des manifestations et réceptions officielles au sein du Palais de l’Élysée ».
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Une nouveauté dans la loi : l’indemnisation par l’assureur des pertes et dommages causés par une cyberattaque
Le 24 janvier 2023, la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI), a été adoptée. Elle vise à répondre aux enjeux sécuritaires et territoriaux liés à la transformation numérique, dont les cyber-risques comme les cyberattaques.
Face à l’augmentation toujours plus inquiétante de ces risques, une assurance dédiée s’est peu à peu développée. La LOPMI tente de répondre à la question suivante : l’assureur peut-il indemniser son assuré qui a payé une rançon après avoir été victime d’un rançongiciel (ou ransomware) ?
Un rançongiciel consiste en une intrusion dans le système informatique d’un utilisateur, qui l’empêche d’accéder à ses données. Ensuite, l’auteur de l’attaque fournit des instructions à la victime pour payer une rançon et retrouver ses données. Le nombre d’attaques par rançongiciel aurait augmenté de 255 % en 2020 seulement en France selon France Assureurs.
Le projet de loi prévoyait de faire en sorte que la victime d’une cyberattaque ayant versé une cyber-rançon puisse s’assurer contre ce risque et obtenir une indemnisation auprès de son assureur. Ce point a fait l’objet de nombreux débats lors de l’élaboration de la loi.
Désormais, la loi LOPMI crée un article L. 12-10-1 dans le code des assurances, qui fait entrer l’assurance des cyber-risques dans le droit des assurances. Finalement, le terme « rançon » ne figure plus dans le texte adopté. Est prévue l’indemnisation des « pertes et dommages » causés par une atteinte à un système de traitement automatisé de données. Le champ d’application de cette loi s’étendrait donc au-delà des seuls rançongiciels.
Ainsi, pour être indemnisée par son assureur en cas de cyberattaque, la victime – un particulier – doit avoir non seulement souscrit un contrat d’assurance qui permette une telle indemnisation mais aussi déposé plainte dans le délai indiqué par la loi (72 heures).
Attention toutefois : en autorisant une assurance pour « pertes et dommages » causés par une atteinte à un système, le législateur a supprimé la rançon du texte. Est-ce que cela signifie que les attaques par rançongiciels sont assurables pour les seules pertes et dommages en dehors de la rançon, ou la rançon est-elle comprise dans ces pertes et dommages ? Au juge de trancher.
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Référence : AJU395519