Chez les Surligneurs : pourquoi Manuel Bompard se trompe sur l’abaya
Le député LFI Manuel Bompard a-t-il raison d’affirmer qu’il n’appartient pas à l’État de qualifier un signe ou vêtement de religieux ou laïc ? Non, les Surligneurs vous expliquent pourquoi. Cette semaine, les spécialistes du legal checking se penchent également sur la déclaration de Marine Le Pen (RN) qui souhaite s’émanciper des règles européennes en matière d’asile.
Manuel Bompard (LFI) : « Le principe de la laïcité, c’est que l’État reste indifférent vis-à-vis des religions et […] que ce sont les religions […] qui déterminent quels sont les signes religieux ».
S’exprimant sur RTL, le député LFI, Manuel Bompard a récusé le caractère religieux de l’abaya, critiquant ainsi la décision du ministre de l’Éducation Gabriel Attal de l’interdire explicitement dans les établissements scolaires par une note de service publiée le 31 août 2023. Il estime qu’il n’appartient pas à l’État de qualifier un signe ou vêtement de religieux ou laïc. Il se trompe doublement.
La note de service publiée par le ministère de l’Education nationale ne dit nulle part que l’abaya est un signe ou un vêtement religieux. Le ministre y affirme : “le port de telles tenues, qui manifeste ostensiblement en milieu scolaire une appartenance religieuse, ne peut (…) être toléré” dans les établissements scolaires, “en vertu de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation”. Cet article prévoit l’interdiction du “port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse”. Ainsi, sont interdits deux types de signes ou tenues ostentatoires : ceux qui sont en soi religieux (voile, kippa, grande croix…), et ceux qui, sans être en soi religieux, “manifestent ostensiblement une appartenance religieuse”. Ce sont donc deux notions différentes. Aussi, une tenue n’est religieuse qu’en raison de l’attitude de celui qui la porte.
En tout état de cause, Manuel Bompard se trompe de débat puisqu’il se trompe aussi sur le rôle de l’État. Le principe de laïcité est bien un principe d’indifférence à la religion, comme l’implique la loi du 9 décembre 1905 (article 2) repris par la Constitution, article 1er. Cela ne signifie pas liberté totale mais bien que “Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi” (art. 10 DDHC).
Enfin, le rôle de la loi est de fournir des grandes orientations, que l’exécutif met en œuvre (article 34 de la Constitution) sous le contrôle du juge administratif. D’ailleurs, le Conseil d’État, qui a été saisi en référé contre cette note, s’est prononcé hier *: il a confirmé cette qualification juridique, ajoutant que l’interdiction de l’abaya “ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale” .
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Marine Le Pen appelle à “se délier des règles et des jurisprudences européennes” en matière d’asile
Sur son compte Twitter, l’ancienne présidente du RN appelle les “nations européennes à se délier des règles et jurisprudences européennes en matière d’asile”.
Cette entreprise est compliquée car la France est membre de l’Union européenne et doit à ce titre en respecter les règles, notamment que le droit de l’Union européenne (UE) prime le droit national. Si le projet de Marine Le Pen est de mener une politique contraire au droit de l’UE, elle exposera la France à de lourdes sanctions financières.
Cela précisé, plusieurs options s’offrent à Marine Le Pen si elle entend mener sa politique tout en évitant les sanctions pour non-respect du droit de l’Union.
D’abord, les députés RN au Parlement européen peuvent influencer la politique de l’Union pour la mettre en adéquation avec le programme de leur parti. La France peut aussi négocier au sein de l’Union, avec les autres Etats membres, pour obtenir un statut dérogatoire qui l’exonèrerait de certains dispositifs, comme le futur pacte européen sur la migration et l’asile. Cela s’appelle l’opting-out. Comme nous l’avions rappelé, ce dispositif est souvent confondu avec une sorte de menu à la carte qui offrirait un choix libre parmi les règles européennes à respecter. L’opting-out est bien plus contraignant car il nécessite l’accord de tous les autres Etats membres. Enfin, si toutes ces négociations échouent, il reste l’option ultime de sortir de l’Union européenne, mais Marine Le Pen veut-elle en arriver jusque-là ?
Enfin, les règles en matière d’asile ne sont pas issues uniquement de l’UE. La France est partie à la Convention de Genève de 1951, relative au statut des réfugiés qui fixe déjà certains standards. La France devrait donc également dénoncer et sortir de la convention pour ne plus voir ses effets s’appliquer.
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*Lire notre compte-rendu de l’audience devant le Conseil d’État qui s’est déroulée le 5 septembre dernier. Par ailleurs, un autre recours a été déposé, voir notre article ici.
Référence : AJU388274