Médiapart c/ G. Perdriau : une « censure historique », vraiment ?

Publié le 28/11/2022

Vendredi dernier devant le Tribunal judiciaire de Paris, le site de presse en ligne Médiapart a demandé la rétractation de l’ordonnance rendue sur requête le 18 novembre au bénéfice de Gaël Perdriau, maire de Saint-Étienne. Celui-ci est mis en cause par Mediapart dans une affaire de chantage. La décision concernant la requête est attendue mercredi prochain. Cette affaire a suscité une très vive émotion dans le monde de la presse dès lors que Médiapart a dû renoncer à publier des informations sur l’affaire Perdriau, sur ordre de la justice. Une censure qualifiée de « malheureusement historique » par le journaliste Fabrice Arfi et critiquée tant par les organes de presse que par les avocats spécialisés

Si l’inquiétude suscitée par le sens de la décision quant à la protection de la liberté de la presse est légitime, en revanche, la procédure utilisée ne justifie pas selon Me Pierre-Eugène Burghardt, élu au Conseil scientifique de l’Association des avocats praticiens de presse, que l’on jette l’opprobre sur un avocat et un magistrat.  

Médiapart c/ G. Perdriau : une "censure historique", vraiment ?
Adobe/Richard Villalon

L’affaire avait commencé comme au Cluedo, la victime était connue, le coupable un peu moins et les questions en suspens nombreuses. Quelle mouche avait donc piqué le tribunal judiciaire de Paris en censurant préventivement, par ordonnance du 18 novembre, un article de Médiapart portant une nouvelle fois sur les agissements du maire de Saint-Etienne Gaël Perdriau ? S’agissait-il d’une attaque sans précédent contre la presse comme l’annonce à la France entière ces journalistes et consorts ou l’affaire était-elle en réalité plus complexe qu’elle n’y paraît ?

Un avocat et une magistrate injustement voués aux gémonies

On aura sans doute tout entendu et la magistrate ainsi que l’astucieux confrère ayant obtenu cette ordonnance sont désormais voués aux gémonies. Cela est grave, tant il apparaît que nous avons perdu la raison. Cette décision obtenue par la procédure dite des « requêtes » ne sort pas du néant par on ne sait quel tour de passe-passe. L’article 493 du Code de procédure civile prévoit, en effet, que « l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse ».

En d’autres termes, c’est le critère de l’urgence qui commande l’utilisation de cette procédure, à savoir l’impossibilité d’utiliser une autre voie tant la chronologie est contrainte. Sur le fond, la décision n’ayant pas été rendue publique, il est difficile de se faire une idée précise.

Néanmoins, les débats publics intervenus vendredi 25 novembre devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de rétractation permettent de formuler plusieurs remarques. Le référé d’heure à heure était d’abord impossible compte tenu des délais imposés par Médiapart. Soit on passait par la procédure derequête, soit on laissait publier l’article. On imagine bien que le journal n’avait pas pour volonté d’être particulièrement conciliant dans cette histoire. Les intérêts du client de notre confrère Christophe Ingrain commandaient donc la première. Un avocat de presse n’agit pas en censure par plaisir mais toujours dans l’intérêt de garantir la meilleure protection des droits de son client. Il s’agissait là d’exercer la plénitude de son métier d’avocat. L’utilisation de la procédure sur requête était donc somme toute assez logique. On se doit, au surplus, de remarquer que l’utilisation de cette procédure n’a rien « d’inédit » ou d’exceptionnel. Au motif que l’on entend s’ériger en protection de la liberté de la presse, on ne peut faire preuve de cécité. C’est l’octroi d’une telle ordonnance qui est exceptionnel.

En effet, il est rare de voir des magistrats faire droit à des requêtes en presse au nom du respect du contradictoire. Les experts de la loi sur l’économie numérique (LCEN) en savent quelque chose puisque la justice refuse très souvent de faire droit à des requêtes en identification, c’est à dire de communiquer l’identité et l’adresse IP d’internautes alors même que META ou Google sont considérés comme de simples « opérateurs techniques (…) tiers à la procédure » comme l’a rappelé la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 2 décembre 2021.

En l’espèce donc, la magistrate a fait droit à une telle requête en ce que la parution de l’article portait une atteinte disproportionnée aux droits du maire de Saint-Etienne. C’est là sans doute qu’il est permis de contester une telle analyse, mais seulement au prix d’un débat dépassionné. La publication des enregistrements était-elle disproportionnée en ce qu’elle portait une atteinte sans précédent aux droits de ce dernier ? La magistrate a estimé que oui, nous sommes en droit de penser que non. La publication de l’ordonnance si la requête est retractée devrait permettre de rétablir la vérité sur cette affaire. On relèvera, cependant, que Médiapart et consorts ont laissé entendre qu’il s’agissait d’une interdiction de publication générale et absolue.

Seule la publication des enregistrements semble avoir été interdite

Or, toujours d’après les débats publics intervenus à l’audience de vendredi, seule la publication des enregistrements litigieux semble avoir été interdite. L’article était donc vraisemblablement publiable en l’état. C’est sans doute ce qui a déterminé la magistrate dans sa décision : la balance des intérêts. Il est donc particulièrement curieux de lire dans la presse qu’il s’agissait d’une interdiction intégrale dudit article.

Pourquoi Médiapart n’a-t-il pas choisi de publier sans ces derniers ? Peut-être s’agit-il aussi d’une opération de promotion médiatique. Les médias sont dans leur rôle, comme la partie adverse en ce qui concerne ses intérêts. Sachons dans cette histoire, garder la raison car à trop perdre notre boussole, nous finirons par oublier l’essentiel. La presse et sa liberté sont une pierre angulaire de notre démocratie tout comme la protection des droits individuels.

Il ne faudrait pas que dans cette histoire, la justice finisse comme le colonel moutarde, coupable idéal et victime collatérale.

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