Paris (75)

Philippe Goossens : « Le métaverse pose des questions juridiques amusantes » !

Publié le 30/06/2022
Métaverse, virtuel
A. Solano/AdobeStock

Ira-t-on demain écouter un concert ou bronzer sur une plage dans le métaverse ? La perspective est prise au sérieux, car ce monde parallèle ne cesse de se développer. Mais le métaverse, monde numérique, est-il complètement virtuel pour autant ? Les événements qui s’y produisent ne peuvent-ils pas avoir de conséquences dans le monde réel ? Le monde juridique commence à s’intéresser à ces questions. Le cabinet Advant Altana lance un groupe de travail dédié aux implications juridiques du Metaverse. Philippe Goossens, l’un de ses associés, a accepté de nous livrer leurs premières réflexions.

Actu-Juridique : Pourquoi votre cabinet a-t-il créé un groupe de réflexion sur le métaverse ?

Philippe Goossens : Le metaverse nécessitait qu’on s’interroge sous deux angles : celui des clients et celui du cabinet. Nos clients sont des sociétés petites ou grandes. Si elles s’implantent ou font des opérations dans le métaverse, elles peuvent prendre des risques. Nous devons les leur signaler et leur dire comment se protéger. Nos avocats couvrent toutes les matières qui les concernent et envisagent les risques qui peuvent se poser dans chacune d’entre elles : droit du travail, droit des contrats, droit pénal, droit de la distribution ou de la consommation. Cela fait un moment que chacun de nous réfléchissait dans sa matière. Nous avons désormais un groupe de travail spécifique pour quelques mois. Nous réfléchissons d’autre part à l’échelle de notre cabinet. Comment doit-il se positionner par rapport au métaverse ?

Actu-Juridique : Vous envisagez donc d’implanter votre cabinet dans le métaverse ?

Philippe Goossens : Nous envisageons plusieurs possibilités. La première serait de n’avoir qu’une façade publicitaire : un très beau bureau mais dans lequel rien ne se passerait. Cela poserait déjà des questions par rapport à la publicité. La deuxième possibilité serait d’avoir de vrais bureaux dans lesquels on recevrait des clients. Dans ce cas, nous serions confrontés à plusieurs problématiques que nous avons commencé à isoler, concernant la sécurité des données, la localisation des données et des échanges. Comment être sûr que l’avatar face auquel je me trouve est bien mon client ? Que se passera-t-il si quelqu’un de mal intentionné copie l’avatar de mon client, et que, n’ayant pas suffisamment de sécurité, je lui divulgue des informations confidentielles ? Cela pose une vraie question de sécurité. Au cabinet, nous avons fait le choix de ne mettre aucune information dans le cloud. Tout est sur disque dur. Si vous mettez des données dans le métaverse, et que celui-ci n’est plus sur le territoire français ou européen, cela pose des difficultés en termes de protection des données. Troisième option : on pourrait se contenter d’avoir des bureaux dans le métaverse, avec une belle vue mer ou montagne, mais dans lesquels nous ne recevrions pas de clients. Se poseraient néanmoins des questions de management et de cohésion de cabinet. En effet, si on ne se rencontre qu’entre avatars, le même lien se crée-t-il que lorsque des personnes se voient en vrai ? Si non, faudrait-il alterner des moments en présentiel et des moments dans le métaverse ? Peut-on faire un entretien d’embauche dans le métaverse ? S’implanter dans le métaverse pose plein de questions concernant la relation clients et le fonctionnement du cabinet.

Actu-Juridique : Que se passe-t-il aujourd’hui dans le métaverse ?

Philippe Goossens : Le métaverse est une plate-forme numérique dans laquelle évoluent et interagissent des avatars. Il existe un métaverse commercial, un métaverse de jeu- peut-être qu’un jour l’un d’eux prendra l’ascendant et réunira toutes ces activités. Il y a déjà eu des manifestations dans le métaverse. Vous pouvez acheter des terrains, créer des immeubles. Il y a déjà des entreprises qui ont des terrains, des gens qui achètent de l’immobilier, d’autres qui exposent de l’art, qui vendent des produits, qui vont à des concerts. Cela concerne encore peu de gens. Personnellement, je n’y suis pas. Mais on peut imaginer que cela va se développer. Sur le plan juridique, cela pose déjà beaucoup de questions. Quel droit va-t-on appliquer dans le métaverse ? Le développement de l’immobilier dans le métaverse est intéressant à observer pour un juriste. En France l’achat d’un immeuble doit être acté par un officier public. Or quand vous achetez un terrain dans le métaverse, vous ne passez pas devant un notaire… Ce que vous achetez dans le métaverse, est-ce vraiment de l’immobilier ? Juridiquement, non. Vous achetez des lignes de codes. Dès qu’on parle du métaverse, il y a une forme de déformation car on essaye d’appliquer des notions de nos vies réelles dans un monde qui ne l’est pas.

Actu-Juridique : Quel droit s’applique aujourd’hui dans le métaverse ?

Philippe Goossens : Il n’y a pas de Code du métaverse ! Aujourd’hui, le métaverse est une plate-forme d’e-commerce très sophistiquée. La sécurisation des données, le droit de la consommation et l’organisation du travail sont les principales problématiques du métaverse. Des règles de droit qui existent déjà y sont appliquées. Si vous achetez quelque chose dans le métaverse c’est du droit, si vous concluez un contrat c’est du droit… Le droit de l’e-commerce, le droit du travail, le droit de la consommation répondent à pas mal de questions.

On ne peut pas faire n’importe quoi dans le métaverse. Il y a par exemple un droit des marques. Si je crée une boutique et que j’écris Coca-Cola en gros dessus, Coca-Cola va m’attaquer. Des questions restent néanmoins en suspens. Si je meurs et que mon avatar a des bitcoins, qui va en hériter ? Aujourd’hui, quand vous jouez à un jeu vidéo et que vous tuez cinquante personnes, ce n’est pas vous qui les avez tuées. Dans le métaverse, c’est vous qui agissez. Tuer quelqu’un dans le métaverse deviendra-t-il un crime ? Cela sera-t-il possible ? Le logiciel le permettra-t-il ? Les administrateurs pourront-ils exclure du métaverse quelqu’un qui se comporte mal ?

Actu-Juridique : Quelles autres situations peuvent être déconcertantes sur le plan juridique ?

Philippe Goossens : Le métaverse pose des questions amusantes en droit des contrats. Quel est le lieu de signature du contrat ? Il n’y a pas de lieu du métaverse. Faut-il alors considérer que le contrat a été conclu à Paris, à New York, ou ailleurs ? Faut-il se référer au lieu du serveur, du siège social de la boîte ? Faut-il préciser que le contrat a été conclu dans le métaverse et renseigner un autre lieu ? Autre exemple : vous corrompez un avatar en lui offrant des bitcoins. Ou est commis l’acte de corruption ? Si le procureur de Paris vous poursuit, vous pourrez vous défendre en disant n’avoir jamais eu de contact avec cette personne à Paris. Pourra-t-il vous rétorquer que, pendant que vous conversiez dans le métaverse, vous étiez en vrai à Paris ? Je suis certain que la question sera un jour posée. En droit du travail, faudra-t-il additionner le temps de travail du salarié à celui de son avatar ? Faudra-t-il prendre des protections contre le harcèlement sexuel dans le métaverse ? Est-ce possible de harceler sexuellement un avatar ? Si un avatar a un comportement illicite dans le métaverse, la responsabilité de l’entreprise sera-t-elle engagée ?

Actu-Juridique : Peut-on imaginer que les avatars aient un jour une personnalité juridique ?

Philippe Goossens : Cette question en droit se pose dans de nombreux domaines. Est-ce qu’un animal devrait avoir une personnalité juridique ? S’il en avait une, il pourrait être défendu devant un tribunal s’il subissait de mauvais traitement… Pour le moment, les avatars n’ont pas de personnalité juridique. Mais cette question se pose de plus en plus. Est-ce qu’un avatar peut avoir une personnalité juridique différente de son utilisateur ? Cela pose un autre problème. Imaginez : je crée mon avatar et je donne mes codes à mon fils. Si l’avatar fait quelque chose d’illégal, qui est responsable ? Lui ? moi ? l’avatar ? Si l’avatar a une personnalité juridique, peut-il être condamné ? Doit-il payer des amendes ? Aura-t-il un patrimoine que l’on pourra saisir ? Si je meurs et que mon avatar survit. Comment fait-on en droit des successions ? Que devient son patrimoine ?

Actu-Juridique : Vous anticipez un développement du métaverse. Mais comment être certain qu’il va advenir ?

Philippe Goossens : Quand j’étais petit, le minitel paraissait incroyable. Avoir accès aux numéros de téléphone de toute la terre, aller chercher ses résultats du bac, c’était une performance. Personne n’aurait imaginé que 20 ans plus tard, nous pourrions nous parler en visioconférence comme nous le faisons en ce moment. Certes, niveau ambiance, mieux vaut aujourd’hui aller voir un concert à l’Olympia que dans le métaverse. Mais qu’en sera-t-il dans quelques années ? Peut-être que les concerts y seront de très bonne qualité, et peut être même que certains concerts n’existeront plus que dans le métaverse. Peut-être qu’en allant voir ce concert dans le métaverse, vous passerez devant les espaces publicitaires qui vous donneront envie d’acheter. Pourquoi aller dans un magasin chercher des chaussures si on peut le faire dans le métaverse ? Je ne dis pas que demain, tout le monde sera chez soi avec un casque et que le bord de mer l’été sera devenu désert, que les avatars iront à la plage tandis que les gens deviendront gros et mous calés dans leurs sièges derrière leurs écrans ! L’humain a besoin d’avoir des contacts. Peut-être que cela ne prendra pas, que les gens n’auront pas envie de mettre un casque pour aller avec un avatar à un concert. Mais peut-être que cela va marcher et que si on en reparle dans 20 ans, on nous dira que c’était idiot de ne pas y avoir cru.  Peut-être que vos enfants ou vos petits enfants trouveront que prendre l’avion pour aller quelque part, c’était le Moyen-Âge. Ils verront cela comme nous voyons nos ancêtres qui se déplaçaient en calèche…

Actu-Juridique : À quoi peut ressembler ce métaverse dans quelques années ?

Philippe Goossens : C’est un peu de la science-fiction. Il est possible que le métaverse devienne tellement réaliste qu’il vous donne l’impression d’être dans un autre monde en vrai. Dans quelques années, nous serons « possiblement » tous équipés de petites lunettes, qui nous permettront, en appuyant sur un bouton, de basculer dans un univers métaverse, avant de nous déconnecter et retourner dans la vie normale. En plus, dans ce métaverse, il y aura des traducteurs automatiques, les problèmes de langue ne se poseront plus. Un problème est que cela consomme énormément d’énergie de faire tourner les serveurs. Le métaverse de basse qualité que nous connaissons aujourd’hui génère déjà de très fortes dépenses d’énergie. Imaginez ce qu’il en serait avec des serveurs qui auront une puissance capable de vous faire croire que c’est la vraie vie, et auxquels le monde entier sera connecté. En plus des problèmes d’empreinte carbone, le métaverse pose la question de la modification de nos modes de vie. Quel serait l’intérêt d’habiter en ville dans un petit appartement, si vous pouvez vivre à la campagne et faire toutes vos activités dans le métaverse ? Cela peut conduire à un effondrement de la vie urbaine. Voyez déjà les changements de mode de vie induits par le télétravail, et imaginez un métaverse hyperdéveloppé… Imaginez en plus que vous couplez ça avec des détecteurs de santé et avec des capacités à avoir des médecins par métaverse. Il y aura un redéploiement sur le territoire. Ce n’est pas pour tout de suite. Le métaverse tel qu’il existe aujourd’hui, ce n’est pas cela. Mais il est certain que les technologies vont continuer d’évoluer, et permettre de créer dans le métaverse une prolongation de la vie réelle. Les serveurs existent et sont puissants, il y a un gain financier, et pas d’obstacles technologiques. Dans un tel contexte, je ne vois pas tellement de raison que le métaverse cesse de se développer.

Actu-Juridique : Le contact humain peut-il devenir accessoire ?

Philippe Goossens : Je pense que les humains ont besoin de rencontrer de vrais humains. Mais qu’en sera-t-il dans 50 ans ? Un homme du Moyen-Âge à qui on aurait dit qu’un petit appareil pouvait lui jouer toutes les musiques du monde aurait sans doute répondu qu’il préférait prendre son cheval pour qu’on lui joue de la musique en vrai. Les contacts sensoriels peuvent-ils être remplacés par une combinaison équipée de capteurs qui transmettrait à votre cerveau les mêmes informations que vos terminaisons nerveuses ? Si un système permet d’imiter la vue, le toucher, l’odorat, est-ce qu’on fera le distinguo entre ce monde et la vraie vie ? Cette frontière entre vous et votre avatar va devoir être définie sur le plan juridique. Est-ce que tout ce que fera votre avatar sera soumis au même droit que ce que vous, et si oui, quel droit s’appliquera et quel juge l’appliquera ? Y aura-t-il un juge dans le métaverse ? La question, en définitive, est de savoir qui contrôlera le métaverse.

Actu-Juridique : Le métaverse va-t-il engendrer un nouveau droit ?

Philippe Goossens : Certaines règles de droit sont difficilement applicables dans le métaverse mais peuvent évoluer pour être applicables dans le métaverse. Le droit est toujours un petit peu en retard mais il se rattrape toujours. Mais si le métaverse se développe, il va probablement se heurter de nouvelles problématiques. Il va certainement créer des situations qui vont soit nécessiter une interprétation de la règle existante – ce sera alors le rôle du juge -, soit nécessiter de nouvelles lois.

Cela a été pareil pour internet. Penser le droit du métaverse est vertigineux, mais ce vertige existe dans d’autres domaines. Le droit de l’espace, par exemple, pose la question tout aussi difficile de savoir à qui appartient l’espace… Il y aura des ajustements à faire pour ne pas qu’il y ait de trous dans le droit. En attendant, c’est assez drôle pour les juristes d’envisager les problèmes juridiques à venir.

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