Procès des attentats du 13 novembre : Salah Abdeslam, son silence, ses mots, sa vérité

Publié le 20/04/2022

Au procès des attentats du 13 novembre, le principal accusé Salah Abdeslam a accepté de parler. Ses mots ont parfois choqué, comme lorsqu’il a déclaré avoir renoncé à faire sauter sa ceinture dans un bar du 18e arrondissement par « humanité » ou encore quand il a demandé aux victimes de lui pardonner. Certains y ont vu une stratégie dictée par ses avocats, dont il n’aurait été que le « perroquet ». Me Julia Courvoisier, qui défend un couple rescapé du Bataclan, livre son sentiment sur ce moment fort du procès. 

Palais de justice de Paris
Palais de justice de Paris (Photo : @P. Cluzeau)

La cour d’assises de Paris a entamé, en début de semaine dernière, les derniers interrogatoires des accusés des attentats du 13 novembre 2015.

Le comportement de Salah Abdeslam a irrité de nombreuses parties civiles, ainsi que leurs avocats. Et à juste titre la plupart du temps.

Après avoir refusé de s’exprimer durant toute l’instruction du dossier, puis finalement accepté de répondre aux questions lors de ses deux premiers interrogatoires au procès, il a gardé le silence lors du 3ème. Sauf à répondre à l’une des avocates des parties civiles. Pourquoi elle ? Personne ne le sait. Surement sa douceur, sa précision dans les questions, sa connaissance du dossier. Il arrive que des liens, parfois très étonnants, se créent entre des accusés et des avocats de partie civile, c’est ainsi.

Il faut prendre ce qu’il y a à prendre. L’alchimie ne s’explique pas.

J’ai lu beaucoup d’incompréhension. J’ai entendu beaucoup de déception.

« C’est sa vérité »

Je me suis moi-même demandé s’il fallait continuer à lui poser des questions et, ce faisant,  lui accorder ce pouvoir particulier de nous satisfaire, ou de nous contrarier, en fonction de ses humeurs du jour.

Alors rebelote : allait-il ou non, parler ? Allait-il, ou non, accepter de nous répondre ?

Je ne vous cache pas que j’ai été surprise.

Pour son dernier interrogatoire, Salah Abdeslam a accepté de répondre aux questions. Fin du suspense qui nous a tenu en haleine pendant plusieurs jours.  Et je dirai même qu’il s’est montré bavard.

Il a, entre autres choses, indiqué avoir renoncé à se faire exploser dans un bar le soir du 13 novembre 2015, par « humanité ». Il aurait, en quelque sorte, eu des scrupules à donner la mort à tous ces jeunes, attablés dans le bar (dont il ne se souvient d’ailleurs plus du nom), en train de boire et de faire la fête.

A ce stade, je dois quand même vous préciser, chers lecteurs, que les expertises réalisées sur son gilet explosif retrouvé quelques jours plus tard sont formelles : son gilet était défectueux et ne pouvait pas exploser. C’est « sa vérité »  comme il l’a dit lui-même. Est-ce que c’est vrai ? Est-ce que c’est faux ? Nous ne le saurons jamais.

Quoiqu’il en soit, ses déclarations ont évidemment fait bondir de nombreuses parties civiles.

Des regrets ? Une pensée pour les victimes ? Une émotion ? Est-ce possible de sa part ?

Et certaines se sont même demandé si les paroles de l’accusé ne lui auraient pas été inspirées par ses deux avocats.

L’avocat peut-il dicter les déclarations de son client pour tenter d’obtenir la clémence de ses juges ?  L’avocat dirigerait-il, à ce point, la défense ?

« Croire que le client est le perroquet de son avocat c’est bien mal connaître la défense ! »

Je ne le crois pas. Je suis même persuadée que non.

Le seul guide de l’avocat est le serment qu’il prête lorsqu’il le devient : « dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ». Il peut et doit exercer sa défense en toute liberté dans le seul intérêt de son client. A deux exceptions près : l’avocat doit respecter son serment ET la loi pénale.

Et aucun des deux ne lui interdit de dire à son client ce qu’il doit dire.

Cela nous arrive, bien entendu, de conseiller à un client d’avoir une pensée pour les victimes, mais encore faut-il qu’il ait fait un travail sur lui-même au préalable pour que cette pensée soit sincère.

Je n’ai, pour ma part, jamais obligé ni contraint un client à s’excuser, à regretter, ou à prendre la parole en dernier pour dire quelque chose qu’il ne voulait pas dire. Croire que le client est le perroquet de son avocat c’est bien mal connaître la défense !

Salah Abdeslam est un cas d’école, si je peux me permettre. Régulièrement, des accusés gardent le silence, totalement, ou partiellement. Ils mentent, changent de version, précisent leurs déclarations. La particularité de cet accusé-là est l’ampleur du dossier dans lequel il est mis en examen et actuellement jugé. Et la durée du silence dans lequel il s’est muré : un peu plus de 6 ans.

Il en faut de la force mentale pour se taire aussi longtemps. Il en faut de la force mentale pour refuser toute discussion, toute explication alors même qu’il risque la perpétuité !

Lorsque l’on est avocat, on sait que le silence de notre client est un droit. Mais qu’il lui est souvent préjudiciable. Je crains en effet que celui que je défends et qui garde le silence ne soit pas compris, ne soit pas entendu et donc, soit mal jugé. Et surtout, qu’il ait des regrets une fois son procès passé : regrets de n’avoir finalement pas dit qui il était, regrets de n’avoir finalement pas parlé aux victimes.

Celui qui garde le silence doit alors être convaincu qu’il doit en sortir.

Parce que c’est mieux pour lui, pour la suite de sa vie, mais aussi pour la vérité judiciaire et pour la société dans laquelle il va, après sa condamnation, continuer à évoluer.

On croit souvent, à tort d’ailleurs, que l’avocat ne pense qu’à lui et qu’il est prêt à tout pour faire acquitter son client coupable. C’est parfaitement faux. L’avocat, dans ce cas-là tout particulièrement, doit pouvoir nouer une relation de confiance et de proximité avec son client afin de l’amener à se dévoiler tout en sachant qu’il sera condamné.

Sortir du silence, une question de confiance

Cette confiance, cette alchimie dans la défense, ne se décident pas.

Salah Abdeslam a eu plusieurs avocats et aucun n’a réussi à le faire sortir de son silence.

Sauf Me Ronen et Me Vettes.

Nous avons, pendant près de 6 ans, regretté son silence assourdissant.

Nous pouvons aujourd’hui regretter et critiquer le contenu de ses propos.

Mais ce qui est certain c’est que ses deux avocats ont fait ce qu’ils devaient faire : obtenir une participation de leur client à ce procès. C’est bien entendu son procès, mais c’est aussi le nôtre.

Nous voulions qu’il s’exprime. Il le fait.

Et ses avocats y sont évidemment pour quelque chose. Je tenais à le souligner.

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