Avocats et magistrats unis contre la réforme de la justice

Publié le 28/03/2018

Menée à un train d’enfer, la réforme de la justice devrait être présentée en conseil des ministres le 18 avril prochain. La réforme porte sur la procédure civile, la procédure pénale, les peines et la carte judiciaire. Révélé le 9 mars dernier, le contenu des textes a déclenché une bronca chez les magistrats et les avocats. Explications.

Lancée en début de quinquennat, la réforme de la justice aurait pu s’inscrire dans un temps long mais le gouvernement a voulu aller vite. C’est ainsi que la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a commandé 5 rapports le 6 octobre dernier portant respectivement sur la procédure civile, la procédure pénale, le numérique, la carte judiciaire et l’effectivité des peines. Remis le 15 janvier, ces travaux ont servi de base à la Chancellerie pour élaborer un projet de loi organique et un projet de loi de programmation qui ont été transmis aux professionnels le 9 mars dernier. On leur a précisé alors que les deux textes seraient déposés sur le bureau du Conseil d’État dès le vendredi suivant et présenté en conseil des ministres le 18 avril. De fait, les professionnels ont d’abord dénoncé la rapidité des chantiers initiaux, à peine trois mois et demi. Puis, quand ils ont appris que la consultation sur les projets était réduite à une semaine, la colère a éclaté. En réalité, la Chancellerie les a assurés qu’elle continuerait de consulter durant le temps d’examen pour avis du texte par les sages du Palais Royal, mais le mal était fait. Et ce ne sont pas les propos du Premier ministre Édouard Philippe, présentant la réforme lors d’un déplacement à la cour d’appel de Reims qui ont suffi à apaiser la colère. Pourtant, celui-ci a indiqué lors de son allocution que la justice était au cœur des priorités du quinquennat. Par ailleurs, il a annoncé une hausse des crédits de « plus de un milliard » sur cinq ans et la création de 6 500 emplois pour combler les vacances de poste en juridiction et dans les établissements pénitentiaires ainsi que pour accompagner les réformes. Aux critiques concernant la rapidité excessive des opérations, il a répondu : « La situation requiert une action urgente, et nous avons voulu agir rapidement. Mais nous avons aussi voulu prendre le temps de concerter. Parce que les vraies réformes, les bonnes réformes, doivent partir des réflexions, des difficultés, des défis que rencontrent les professionnels sur le terrain ». Et le Premier ministre de se justifier. « Les référents des 5 chantiers ouverts début octobre ont consulté tous les rapports, consulté aussi largement les organisations syndicales, les ordres professionnels, les représentants de la société, ainsi que le Défenseur des droits et la Contrôleure des prisons ».

Question de point de vue… Les professionnels eux ont le sentiment qu’ils n’ont pas été consultés, en tout cas pas comme il aurait fallu et en plus qu’ils n’ont pas été entendus sur certains sujets. Cette rapidité leur a surtout donné le sentiment que tout était joué d’avance. Certains n’ont pas hésité à affirmer que les textes étaient déjà prêts et que les chantiers n’étaient que des simulacres. Ce à quoi la Chancellerie a objecté, non sans raison, que depuis des années les solutions étaient connues et qu’il n’y avait pas lieu de passer des mois à refaire des rapports sur les mêmes questions. Disons qu’à tout le moins, la méthode employée a péché par excès de brusquerie.

La carte de tous les dangers

Si le climat est aussi tendu entre la Chancellerie et les professionnels de la justice, c’est à cause du chantier particulièrement sensible de la carte des cours d’appel. Dès son annonce, avocats et magistrats ont immédiatement craint de voir disparaître leur juridiction. Et ce n’est pas faute pour la ministre d’avoir martelé qu’aucun lieu de justice ne serait fermé. Ceux qui la croyaient n’en redoutaient pas moins que l’on maintienne des juridictions tout en les vidant de leur substance et en les condamnant ainsi à une mort lente. Quand les professionnels de la justice ont reçu les projets le 9 mars, ils ont du se rendre à l’évidence : aucune fermeture n’était annoncée ! Mais l’inquiétude s’est immédiatement reportée sur d’autres sujets connexes. Par exemple le fait que les projets de loi renvoient la réforme de la carte judiciaire à des décrets ou encore l’annonce de la fusion des tribunaux d’instance et des TGI qui soulève les mêmes risques que celle des cours d’appel, à savoir celui de vider certains anciens tribunaux de leur substance en les transformant en de simples antennes de tribunaux plus importants.

Juge unique à tous les étages

Au-delà du sujet ultra-sensible de la carte judiciaire, les autres volets de la réforme suscitent également des critiques. Côté procédure pénale, l’objectif affiché de simplifier la tâche des enquêteurs s’opère parfois au détriment des garanties offertes aux personnes poursuivies. C’est ainsi que le projet prévoyait la fin de la présence obligatoire de l’avocat dans la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Elle aurait été rétablie in extremis le 16 mars par la Chancellerie avant l’envoi du texte au Conseil d’État sous la pression des avocats. Mais d’autres dispositions tout aussi éruptives étaient maintenues mi-mars. À commencer par la généralisation de la visioconférence, cette bête noire des avocats qui lui reprochent de déshumaniser la justice. Le projet prévoit qu’elle pourra être utilisée lors de l’interrogatoire de première comparution et à l’occasion d’une prolongation de détention provisoire, même si la personne s’y oppose. Autre mesure éruptive, l’expérimentation de tribunaux criminels départementaux chargés de juger les crimes encourant une peine de 20 ans de prison. Ils ne sont pas censés remplacer les cours d’assises qui demeurent compétentes pour les crimes encourant 30 ans de réclusion et pour l’appel des décisions des tribunaux criminels. Il n’en fallait pas plus cependant pour que les avocats soient vent debout contre une réforme qui touche à la seule justice qui fonctionne hors des contraintes gestionnaires et prend le temps d’examiner une affaire pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines. La création des tribunaux criminels a au contraire été saluée par les magistrats et pour cause, ce sont eux qui l’ont demandée en invoquant la difficulté à organiser les sessions d’assises faute de magistrats en nombre suffisant. Ils estiment également que cela mettra fin aux requalifications forcées qui permettent aujourd’hui de correctionnaliser les affaires criminelles que l’on préfère soumettre aux tribunaux correctionnels.

Destruction massive du service public de la justice ?

En matière de procédure civile, c’est essentiellement le transfert aux notaires des ventes aux enchères qui a révolté les avocats, mais aussi la conciliation obligatoire ou encore la réforme des tutelles que la profession accuse la Chancellerie d’avoir réalisée sans la consulter. Côté magistrats, la colère est encore plus forte. Dans un communiqué du 15 mars dernier, l’Union syndicale des magistrats a dénoncé pêle-mêle « la suppression des 307 tribunaux d’instance », « le mépris affiché vis-à-vis des 22 000 fonctionnaires des juridictions », la régression des droits de la défense et des libertés publiques en matière pénale, ou encore ce que le syndicat appelle la « privatisation de la justice civile », autrement dit la réduction du rôle du juge et de la place de l’audience. L’USM dénonce également le fait que « le gouvernement sollicite une large habilitation à légiférer par ordonnance, donc sans débat parlementaire, comme cela semble devenir l’habitude, et sans que les objectifs exacts soient définis ». Plus violent, le Syndicat de la magistrature écrit dans une lettre au garde des Sceaux du 22 mars dernier : « Alors que le service public de la justice est asphyxié, que les fonctionnaires de greffe et les magistrats s’exténuent à maintenir à flot une institution engloutie par les flux, le ministère de la Justice présente des réformes dites « Chantiers de la justice » qui, loin de rapprocher la justice des citoyens, annoncent en réalité la destruction massive du service public de la justice ».

Résultat ? Le Conseil national des barreaux a voté en assemblée générale le 17 mars dernier un appel à une journée justice morte le 21 mars dernier. Le Syndicat de la magistrature a déposé un préavis de grève pour le 22 mars dernier, jour de la mobilisation en faveur du service public. Et les principaux syndicats de magistrats et d’avocats ont appelé par ailleurs à une mobilisation le 31 mars prochain. Ils entendent protester contre des réformes menées au pas de charge et sans consultation suffisante, obtenir des garanties sur la réforme de la carte judiciaire, et dénoncer des visées exclusivement gestionnaires des textes proposés par la Chancellerie. Une logique gestionnaire hélas pas nouvelle mais qui en l’espèce, sans doute en raison de l’importance du chantier, déclenche une révolte d’une ampleur inédite.

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