La double exigence posée par la CJUE sur le tarif horaire de l’avocat

Publié le 17/01/2023

Par un arrêt rendu le 12 janvier 2023, D.V. contre M.A., affaire C-395/21 n° 21-10.739, la quatrième chambre de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), sur les conclusions présentées le 22 septembre 2022 par le premier avocat général Maciej Szpunar, a rendu une décision très importante concernant le principe du tarif horaire appliqué par un avocat lituanien dans sa relation avec un client. Les explications de Me Patrick Lingibé. 

La double exigence posée par la CJUE sur le tarif horaire de l'avocat
Photo : ©AdobeSTock/Lusyaya

A., client, a conclu cinq contrats de prestation de services juridiques à titre onéreux avec D. V., avocat, à savoir deux contrats dans des affaires civiles portant, respectivement, sur la copropriété de biens ainsi que sur la résidence d’enfants mineurs, les modalités de communication et la fixation de pension alimentaire, deux contrats portant sur la représentation de M. A. devant le commissariat de police et le parquet du district de Kaunas (Lituanie) et un contrat ayant pour objet la défense des intérêts de M. A. dans le cadre d’une procédure de divorce. Aux termes de l’article 1er de chacun de ces contrats, l’avocat s’engageait à fournir des consultations juridiques oralement et/ou par écrit, à préparer des projets de documents juridiques, à réaliser des études juridiques des documents et à représenter le client devant diverses entités, en réalisant les actes s’y rapportant. Dans chacun de ces cinq contrats, les honoraires étaient fixés à un montant de 100 euros « au titre de chaque heure de consultation ou de prestation de services juridiques fournie au client ». Les contrats stipulaient qu’ « une partie des honoraires indiqués […] est payable de suite, sur présentation par l’avocat d’une facture de services juridiques, compte tenu des heures de consultation ou de prestation de services juridiques effectuées ». En outre, M. A. a versé des avances sur honoraires pour un montant total de 5 600 euros. L’avocat D. V. indiquait avoir fourni des services juridiques à M. A. et émis en conséquence des factures pour l’intégralité des services effectués. N’ayant pas été payé de l’intégralité des honoraires réclamés, D. V. a saisi le Kauno apylinkės teismas (tribunal de district de Kaunas, Lituanie) d’un recours tendant à condamner M. A. au paiement d’un montant de 9 900 euros au titre des prestations juridiques réalisées et d’un montant de 194,30 euros au titre des frais encourus dans le cadre de l’exécution des contrats, majorés d’intérêts annuels s’élevant à 5 % des sommes dues, calculés à partir de la date de l’introduction du recours et jusqu’à l’exécution du jugement.

Par décision du 5 mars 2020, cette juridiction a partiellement fait droit à la demande de D.V. En effet, elle a considéré que, en vertu des contrats conclus, des services juridiques avaient été fournis pour un montant total de 12 900 euros. Toutefois, elle a jugé que les clauses relatives au prix de l’ensemble des cinq contrats étaient abusives et a réduit de moitié les honoraires réclamés, les fixant à 6 450 euros. Partant, le Kauno apylinkės teismas (tribunal de district de Kaunas) a donc condamné M. A. au paiement d’un montant de 1 044,33 euros, en tenant compte de la somme qui avait déjà été réglée, majoré des intérêts annuels au taux de 5 %, calculés à partir de l’introduction du recours et jusqu’à l’exécution du jugement, et d’un montant de 12 euros au titre des dépens. D. V. a été condamné à verser à M. A. 360 euros au titre des dépens. L’appel interjeté par D. V. de cette décision a été rejeté par ordonnance du 15 juin 2020 du Kauno apygardos teismas (tribunal régional de Kaunas, Lituanie). D. V. a donc formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance devant le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie), la juridiction de renvoi.

Cette juridiction a décidé de saisir la Cour de justice de l’Union européenne sur le fondement de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, lequel permet aux juridictions d’un État membre de saisir ladite cour d’une question préjudicielle dans le cadre d’un litige et de l’interroger ainsi sur l’interprétation du droit communautaire à appliquer. Il revient cependant au seul juge national de juger l’affaire qui lui est soumise conformément à la décision rendue par la juridiction communautaire.

Dans sa question préjudicielle, la Cour suprême lituanienne s’interrogeait pour l’essentiel sur deux problèmes : d’une part, celle concernant l’exigence de transparence des clauses portant sur l’objet principal des contrats de prestation de services juridiques et d’autre part, celle ayant trait aux effets de la constatation du caractère abusif d’une clause fixant le prix de ces services.

Les réponses apportées par la Cour sont très intéressantes à analyser. Nous les aborderons après avoir rappelé préalablement le cadre juridique applicable dans la relation avocat-client.

I – Le cadre juridique communautaire avocat-client : une protection avant tout du consommateur de droit.

L’avocat offre à une personne une prestation intellectuelle de nature juridique relevant soit d’une activité de pur conseil, soit d’une activité de représentation et/ou d’assistance devant une juridiction. Cette relation relève du code de consommation : le client de l’avocat est un consommateur d’une prestation de droit. Cela induit que le client justiciable doit disposer d’une protection efficace de ses droits dans sa relation avec l’avocat qui est présentement un professionnel au sens du droit consumériste.

Au niveau du droit communautaire, le Conseil a pris une directive 93/13/CEE du 5 avril 1993, complétée par la directive 2019/2161/UE du 27 novembre 2019 dont les dispositions sont clairement rédigées dans un objectif de protection du client-consommateur dans sa relation avec un professionnel.

En premier lieu, l’article 3, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. ».

En deuxième lieu, l’article 4 de cette directive énonce :

« 1. Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.

 2. L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. ».

En troisième lieu, son article 5 précise :

« Dans le cas des contrats dont toutes ou certaines clauses proposées au consommateur sont consignées par écrit, ces clauses doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible. […] ».

En quatrième lieu, son article 6, paragraphe 1, dispose :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. ».

En cinquième lieu, son article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 prévoit :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

Enfin, en sixième lieu, son article 8 est libellé dans les termes suivants :

« Les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine régi par la présente directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité [FUE], pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur. ».

Il se dégage clairement de l’ensemble de ces dispositions de droit communautaire un dispositif très protecteur du client-consommateur dans sa relation avec un professionnel, telle celle d’un client avec son avocat.

De son côté, le droit lituanien dont il est question ici, fait référence à plusieurs dispositions dans les relations entre l’avocat et son client.

En premier lieu, l’article 6.228 du Code civil lituanien transpose dans son droit national la directive 93/13 dans les termes suivants :

« […] 2. Sont déclarées abusives les clauses des contrats de consommation, qui n’ont pas été individuellement discutées par les parties et par lesquelles l’équilibre des droits et des obligations des parties a été en fait mis en cause au détriment du consommateur en raison de la violation de l’exigence de bonne foi. […]

 6. Toute clause écrite d’un contrat de consommation doit être rédigée de manière claire et compréhensible. Les clauses contraires à cette exigence sont considérées comme abusives.

 7. Les clauses décrivant l’objet du contrat de consommation ainsi que celles liées à la conformité d’un bien vendu ou d’un service fourni et son prix ne doivent pas être appréciées à l’égard du caractère abusif, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

 8. Lorsque la juridiction déclare une clause (des clauses) contractuelle(s) abusive (abusives), cette clause (ces clauses) est (sont) nulle(s) à compter de la conclusion du contrat, mais les clauses restantes du contrat demeurent obligatoires pour les parties, s’il est possible de poursuivre l’exécution du contrat après l’annulation des clauses abusives. ».

En deuxième lieu, l’article 50 de la loi lituanienne no IX-2066, relative à la profession d’avocat intitulé « Rémunération des services juridiques fournis par un avocat », dispose :

« 1. Les clients versent à l’avocat les honoraires convenus par contrat au titre des services juridiques fournis en vertu du contrat. […]

 3. Pour établir le montant de la rémunération de l’avocat au titre des services juridiques, il convient de prendre en compte la complexité de l’affaire, les qualifications et l’expérience de l’avocat, la situation financière du client et les autres circonstances importantes. ».

En troisième lieu, un arrêté du 2 avril 2004 du ministre de la Justice de la République de Lituanie a établi des recommandations relatives au montant maximal pour la prestation de services juridiques assurée par un avocat ou un avocat stagiaire dans les affaires civiles, ces recommandations ayant été approuvées par l’Ordre des barreaux lituaniens le 26 mars 2004 et constituant ainsi le fondement permettant d’appliquer les règles du Code de procédure civile réglementant la fixation des dépens.

Au niveau de notre droit français, trois sources sont applicables et sont en lien directement avec notre sujet présentement traité.

En premier lieu, nous avons la source législative avec l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques modifié par l’article 51 V de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques :

« [ …] Les honoraires de postulation, de consultation, d’assistance, de conseil, de rédaction d’actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client.

 […] Sauf en cas d’urgence ou de force majeure ou lorsqu’il intervient au titre de l’aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, l’avocat conclut par écrit avec son client une convention d’honoraires, qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés. Les honoraires tiennent compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci. […]. »

En deuxième lieu, nous trouvons la source réglementaire avec l’article 10 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat modifié par l’article 2 du décret n° 2017-1226 du 2 août 2017 portant diverses dispositions relatives à la profession d’avocat :

« L’avocat informe son client, dès sa saisine, des modalités de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles et de l’ensemble des frais, débours et émoluments qu’il pourrait exposer. L’ensemble de ces informations figurent dans la convention d’honoraires conclue par l’avocat et son client en application de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée. Au cours de sa mission, l’avocat informe régulièrement son client de l’évolution du montant de ces honoraires, frais, débours et émoluments. Des honoraires forfaitaires peuvent être convenus. L’avocat peut recevoir d’un client des honoraires de manière périodique, y compris sous forme forfaitaire. […].

Enfin, nous avons la source normative professionnelle avec l’article 11 du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat français édictée par le Conseil national des barreaux intitulé Honoraires – émoluments – débours – mode de paiement des honoraires, dont trois sous-articles sont reproduits car en lien avec le présent commentaire d’arrêt :

« Article 11.1 Information du client :

L’avocat informe son client, dès sa saisine, des modalités de détermination des honoraires et l’informe régulièrement de l’évolution de leur montant. L’avocat informe également son client de l’ensemble des frais, débours et émoluments qu’il pourrait exposer. »

 « Article 11.2 Convention d’honoraires :

Sauf en cas d’urgence ou de force majeure ou lorsqu’il intervient au titre de l’aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, l’avocat conclut par écrit avec son client une convention d’honoraires, qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés.

 Détermination des honoraires

Les honoraires sont fixés selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci. L’avocat chargé d’un dossier peut demander des honoraires à son client même si ce dossier lui est retiré avant sa conclusion, dans la mesure du travail accompli.

 Éléments de la rémunération.

La rémunération de l’avocat est fonction, notamment, de chacun des éléments suivants conformément aux usages :

– le temps consacré à l’affaire,

– le travail de recherche,

– la nature et la difficulté de l’affaire,

– l’importance des intérêts en cause,

– l’incidence des frais et charges du cabinet auquel il appartient,

– sa notoriété, ses titres, son ancienneté, son expérience et la spécialisation dont il est titulaire, – les avantages et le résultat obtenus au profit du client par son travail, ainsi que le service rendu à celui-ci,

– la situation de fortune du client. »

 Il convient de rappeler également qu’au-delà des textes français sur les honoraires, les dispositions de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats et du régime général de la preuve des obligations ont vocation à s’appliquer également. Ce texte a intégré un contrôle du déséquilibre significatif à travers les clauses abusives dans le droit commun des contrats avec le nouvel article 1171 du Code civil : « Dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation. ». L’article 212-1 du Code de la consommation, modifié également par cette même ordonnance, a prévu un dispositif de protection : « Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Sans préjudice des règles d’interprétation prévues aux articles 1188, 1189, 1191 et 1192 du Code civil, le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les clauses du contrat. (…) L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. » Cette protection législative a été complétée par les quatre articles R. 212-1 à R. 212-5 du Code de la consommation détaillant la typologie des clauses abusives.

II – Les exigences posées par le juge communautaire : clarté et compréhensivité du tarif horaire appliqué par l’avocat.

 Dans son arrêt du 12 janvier 2023, le juge communautaire répond à plusieurs questions importantes pour dégager les solutions à appliquer par le juge lituanien pour résoudre le litige soumis. Les réponses apportées ont vocation à s’appliquer à toutes les conventions d’honoraires conclues entre les avocats européens et leurs clients.

La première question était préalablement de savoir si l’article 4, paragraphe 2 de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que doit relever de l’ « objet principal du contrat » « une clause d’un contrat de prestation de services juridiques conclu entre un avocat et un consommateur, n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, qui fixe le prix des services fournis selon le principe du tarif horaire. » (paragraphe 29).

La Cour donne une interprétation très extensive des termes de la directive concernée dans un souci d’assurer une protection optimale du consommateur de droit, posant comme principe que toute clause essentielle relève par définition de l’objet principal de la convention d’honoraires signée avec l’avocat : « […], les termes « objet principal du contrat »,[…] doivent normalement trouver, dans toute l’Union européenne, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de cette disposition et l’objectif poursuivi par la réglementation en cause […]. » (paragraphe 30). « […], la Cour a jugé que ces clauses doivent s’entendre comme étant celles qui fixent les prestations essentielles de ce contrat et qui, comme elles, caractérisent celui-ci. » (paragraphe 31). « En l’occurrence, la clause relative au prix porte sur la rémunération des services juridiques, établie selon un tarif horaire. Une telle clause, qui détermine l’obligation du mandant de payer les honoraires de l’avocat et indique le tarif de ceux-ci, fait partie des clauses qui définissent l’essence même du rapport contractuel, ce rapport étant précisément caractérisé par la fourniture rémunérée de services juridiques. » (paragraphe 32).

La Cour apporte cependant une précision très importante en précisant que peu lui importe que la clause tarifaire ait été négocié séparément du contrat : « […] En effet, lorsqu’une clause contractuelle fait partie de celles qui définissent l’essence même du rapport contractuel, il en va ainsi aussi bien dans l’hypothèse où cette clause a fait l’objet d’une négociation individuelle que dans celle où une telle négociation n’a pas eu lieu. » (paragraphe 33). Au terme de son analyse que nous approuvons, la Cour répond à la première question en considérant que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 s’applique à « une clause d’un contrat de prestation de services juridiques conclu entre un avocat et un consommateur qui fixe le prix des services fournis selon le principe du tarif horaire. » (paragraphe 34).

La deuxième question a trait aux deuxièmes et troisièmes questions aux termes desquelles la juridiction lituanienne demandait notamment si les conditions de clarté et de compréhensivité indiquées par l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/devaient s’appliquer à « une clause d’un contrat de prestation de services juridiques conclu entre un avocat et un consommateur qui fixe le prix de ces services selon le principe du tarif horaire, sans comporter d’autres précisions ou informations que le taux horaire pratiqué. » (paragraphe 35).

La Cour répond de manière très claire en apportant des éclaircissements à trois niveaux.

Le premier niveau est l’exigence d’une transparence des clauses de la convention d’honoraires. Pour la Cour la portée de l’exigence de transparence des clauses contractuelles, telle qu’elle résulte de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, « […], figurant également à l’article 5 de cette directive, ne saurait être réduite au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical de ces clauses, mais que, au contraire, le système de protection mis en œuvre par ladite directive reposant sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne, notamment, le niveau d’information, cette exigence de rédaction claire et compréhensible des clauses contractuelles et, partant, de transparence, posée par la même directive, doit être entendue de manière extensive […]. » (paragraphe 36).

Le deuxième niveau est l’exigence de clarté et de compréhensivité : « L’exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible doit ainsi s’entendre comme imposant que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause concernéeainsi que, le cas échéant, la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d’autres clauses, de sorte que ce consommateur soit mis en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui […] ». (paragraphe 37).

Le troisième niveau a trait au contrôle de cette double exigence de clarté et de compréhensivité qui relève du juge national in fine : « […] l’examen du point de savoir si une clause telle que celle en cause dans l’affaire au principal est « claire et compréhensible », au sens de la directive 93/13, doit être effectué par le juge national au regard de l’ensemble des éléments de fait pertinents. Plus particulièrement, il incombe à ce juge de vérifier, en tenant compte des circonstances entourant la conclusion du contrat, si a été communiqué au consommateur l’ensemble des éléments susceptibles d’avoir une incidence sur la portée de son engagement, lui permettant d’évaluer les conséquences financières de celui-ci […]. »(paragraphe 38).

Une question a été posée également par la Cour suprême lituanienne, laquelle concerne les modalités de détermination de l’honoraire dû à l’avocat en l’absence de clause satisfaisante fixant un taux horaire.

Nous devons saluer le pragmatisme du juge communautaire, lequel a intégré la difficulté d’évaluation pouvant se poser à tout avocat pour déterminer le quantum précis de ses honoraires fondés sur le seul tarif horaire : « […], s’il ne peut pas être exigé d’un professionnel qu’il informe le consommateur sur les conséquences financières finales de son engagement, qui dépendent d’évènements futurs, imprévisibles et indépendants de la volonté de ce professionnel, il n’en reste pas moins que les informations qu’il est tenu de communiquer avant la conclusion du contrat doivent permettre au consommateur de prendre sa décision avec prudence et en toute connaissance, d’une part, de la possibilité que de tels évènements surviennent et, d’autre part, des conséquences qu’ils sont susceptibles d’entraîner concernant la durée de la prestation de services juridiques concernée.» (paragraphe 43).

La Cour rappelle le caractère dirimant de ces informations et mais livre cependant des éléments pour satisfaire à cette double exigence de clarté et de compréhensivité :

« Ces informations, qui peuvent varier en fonction, d’une part, de l’objet et de la nature des prestations prévues dans le contrat de services juridiques et, d’autre part, des règles professionnelles et déontologiques applicables, doivent comporter des indications permettant au consommateur d’apprécier le coût total approximatif de ces services. Tels seraient une estimation du nombre prévisible ou minimal d’heures nécessaires pour fournir un certain service ou un engagement d’envoyer, à intervalles raisonnables, des factures ou des rapports périodiques indiquant le nombre d’heures de travail accomplies. […]. » (paragraphe 43).

La quatrième question portait sur la sanction d’une clause d’un contrat de prestation de services juridiques conclu entre un avocat et un client fixant le principe du tarif horaire « doit être réputée abusive en raison du seul fait qu’elle ne répond pas à l’exigence de transparence prévue à l’article 4, paragraphe 2, de cette directive.»

La Cour répond de manière nuancée, renvoyant cette appréciation au droit de chaque État et à l’appréciation qui en sera faite par le juge national : « Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la quatrième question que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’une clause d’un contrat de prestation de services juridiques conclu entre un avocat et un consommateur, fixant, selon le principe du tarif horaire, le prix de ces services et relevant, dès lors, de l’objet principal de ce contrat, ne doit pas être réputée abusive en raison du seul fait qu’elle ne répond pas à l’exigence de transparence prévue à l’article 4, paragraphe 2, de cette directive, sauf si l’État membre dont le droit national s’applique au contrat en cause a, conformément à l’article 8 de ladite directive, expressément prévu que la qualification de « clause abusive » découle de ce seul fait. » (paragraphe 52).

S’agissant de l’appréciation d’une clause abusive, il convient de préciser que saisi d’une question préjudicielle posée par la juridiction hongroise Budaörsi Varosi Birosag le 22 mai 2008, la Cour de justice de l’Union européenne a, par arrêt du 4 juin 2009, dit que « 2) Le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. Lorsqu’il considère une telle clause comme abusive, il ne l’applique pas, sauf si le consommateur s’y oppose. Cette obligation incombe au juge national également lors de vérification de sa propre compétence territoriale.  2) Il appartient au juge national de déterminer si une clause contractuelle telle que celle faisant l’objet du litige au principal réunit les critères requis pour être qualifiée d’abusive au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13. (…) » (CJUE 15 janv. 2015, Birute Siba c/Arunas Devenas, aff. C-537/13).

Enfin les cinquième et sixième et dernières questions auxquelles répond de la Cour portaient sur les conséquences inhérentes à la suppression d’une clause déclarée abusive fixant le prix des services selon le principe du tarif horaire et que ces services ont été exécutés.

La Cour relativise cette suppression et met en avant tout la protection du consommateur de droit qui est à la charge du juge national : « Lorsqu’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ne peut subsister après la suppression d’une clause abusive, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne s’oppose pas à ce que le juge national, en application de principes du droit des contrats, supprime la clause abusive en lui substituant une disposition de droit national à caractère supplétif dans des situations dans lesquelles l’invalidation de la clause abusive obligerait le juge à annuler le contrat dans son ensemble, exposant par là le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables, de sorte que ce dernier en serait pénalisé […]. » (paragraphe 56).

Pour la Cour, l’invalidation s’impose sauf si la juridiction nationale estime que cette solution n’offre pas la meilleure protection du consommateur lésé : « C’est seulement dans l’hypothèse où l’invalidation des contrats dans leur ensemble exposerait le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables, de telle sorte que ce dernier en serait pénalisé, que la juridiction de renvoi dispose de la possibilité exceptionnelle de substituer à une clause abusive annulée une disposition de droit national à caractère supplétif ou applicable en cas d’accord des parties au contrat en cause. » (paragraphe 60). La Cour apporte une réponse très claire dans le dernier paragraphe de motivation de son arrêt : « […] lorsqu’un contrat de prestation de services juridiques conclu entre un avocat et un consommateur ne peut subsister après la suppression d’une clause déclarée abusive qui fixe le prix des services selon le principe du tarif horaire et que ces services ont été fournis, ils ne s’opposent pas à ce que le juge national rétablisse la situation dans laquelle se serait trouvé le consommateur en l’absence de cette clause, même si cela conduit à ce que le professionnel ne perçoive aucune rémunération pour ses services. Dans l’hypothèse où l’invalidation du contrat dans son ensemble exposerait le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, ces dispositions ne s’opposent pas à ce que le juge national remédie à la nullité de ladite clause en lui substituant une disposition de droit national à caractère supplétif ou applicable en cas d’accord des parties audit contrat. En revanche, ces dispositions s’opposent à ce que le juge national substitue à la clause abusive annulée une estimation judiciaire du niveau de la rémunération due pour lesdits services. »

Cette décision s’inscrit celle que la Cour a rendue le 22 septembre 2022, en répondant à une question préjudicielle posée par le tribunal de première instance n° 10 bis de Séville, Espagne, concernant les clauses abusives qui peuvent être contenues dans les conventions d’honoraires conclues entre les avocats et leurs clients. Elle réaffirme à cette occasion la place et le rôle du juge lato sensu dans le contrôle de la relation contractuelle nouée entre l’avocat et son client (CJUE, 22 septembre 2022, Vicente c/ Delia, affaire C-335/21).

Il convient de rappeler sur ce point que la Cour sanctionne en l’espèce la clause litigieuse parce que principalement parce qu’elle se limitait uniquement à indiquer les honoraires à percevoir par l’avocat s’élèvent à un montant de 100 euros pour chaque heure de services juridiques fournis, sans énoncer les éléments explicitant le calcul des sommes demandées. Or pour elle, « Un tel mécanisme de fixation du prix ne permet pas, en l’absence de toute autre information apportée par le professionnel, à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, d’évaluer les conséquences financières qui découlent de cette clause, à savoir le montant total à payer pour ces services. » (paragraphe 40).

Cet arrêt est l’occasion de rappeler aux avocats la nécessité de vérifier les clauses contenues dans les conventions d’honoraires qu’ils proposent à leurs clients. Il est impératif sur ce point de veiller à ce que les clauses de calcul de la rémunération de l’avocat soient claires et compréhensives.

Cette décision intéresse également les juges de la contestation de l’honoraire que sont les bâtonniers en première instance et les premiers présidents en appel. En effet, comme les invite la Cour de justice de l’Union européenne, il leur appartient, lors de l’examen des contentieux qui leur sont soumis, d’intégrer dans leur grille de jugement les exigences de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 modifiée ainsi que le cas échéant les dispositions protectrices issues de notre droit interne, tel l’article L. 212-1 du Code de la consommation.

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