La révolution technologique du Bitcoin et des ICO : un casse-tête pour les commissaires aux comptes

Publié le 31/01/2018

Depuis sa création, le Bitcoin rencontre un succès international. En France, ce nouveau système technologique de « blockchain » attire entreprises et investisseurs. Pour les professionnels du chiffre, il est inévitable de commencer à comprendre et maîtriser ses enjeux et ses risques. Éclairage avec Serge Yablonsky, coprésident du groupe de travail « Audit informatique » de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris.

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En décembre 2017, le cours du Bitcoin est passé au-dessus des 15 000 euros alors qu’il en valait à peine dix centimes lors de son premier échange en 2010. Depuis, d’autres cryptomonnaies (ou monnaies virtuelles) ont été lancées, l’utilisation de la technologie des blockchains inspire de nombreux acteurs économiques et les levées de fonds grâce aux ICO (Initial Coin Offerings) atteignent des sommes impensables. En mai 2017, le navigateur web, Brave, créé par le cofondateur de Mozilla, Brendan Eich, a levé 35 millions de dollars en seulement 30 secondes, grâce à son ICO. De quoi donner envie aux entreprises et investisseurs français de se lancer aussi dans l’aventure malgré un manque de recul et de nombreux avertissements des autorités financières.

Pour la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris (CRCC), il est temps d’analyser et de comprendre ces évolutions. Une conférence a été donnée auprès des professionnels du chiffre avec l’intervention d’Alexandre Stachtchenko, cofondateur de Blockchain Partner France et Fabrice Heuvrard, expert-comptable et commissaire aux comptes. « Pendant la matinale, nous avons montré les difficultés et soulevé des questions plutôt qu’apporter des réponses, car le sujet n’est pas facile », explique Serge Yablonsky, coprésident du groupe de travail « Audit informatique » de la CRCC.

La technologie de la blockchain

Selon la définition officielle, la blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle. Elle constitue une base de données, accessible à tous ses utilisateurs. « Pour la première fois, nous disposons d’un système informatique qui permet le transfert de valeurs sans passer par un intermédiaire », explique Alexandre Stachtchenko. C’est avec la première blockchain que le Bitcoin est créé, devenant ainsi la cryptomonnaie (ou monnaie virtuelle) de référence. Depuis sa création, d’autres cryptomonnaies continuent d’apparaître sur le réseau, attirant investisseurs et traders. Plus les personnes adhèrent au système, plus celui-ci prend de la valeur.

Par son fonctionnement de résilience, le système de la blockchain est considéré comme inviolable. Si certains utilisateurs s’en vont ou se font pirater, cela n’affecte pas la chaîne. De plus, chaque transaction effectuée est inscrite dans les registres, elle ne peut pas disparaître et reste visible par tout le monde. Pour les entreprises, l’idée est intéressante, car cela leur permettrait d’avoir accès à un registre sécurisé de traçabilité de leurs transactions économiques. Pour les commissaires aux comptes, l’intangibilité des données stockées sur une blockchain est ainsi une garantie majeure pour les données auditées.

ICO (Initial Coin Offerings)

L’autre avantage de la blockchain est la possibilité de lever des fonds très rapidement. Une ICO propose l’émission de jetons (ou tokens en anglais) en échange de cryptomonnaie pour la création d’un projet. L’organisme à l’origine de l’ICO définit la valeur du jeton dans ce qu’on appelle les « white papers ». Les jetons peuvent prendre la forme de droits de vote ou de gouvernance et/ou celle d’un service offert par l’organisme émetteur. L’intérêt pour les acheteurs est que le projet rencontre un grand succès et que leurs jetons prennent de la valeur pour les revendre, ce qui entraîne des investissements spéculatifs très risqués.

Des rapports déséquilibrés

Du fait de l’absence de réglementation, de documentation précise ou de potentielles fraudes, les rapports des commissaires aux comptes s’en retrouvent compromis. « Nous avons des obligations en matière de fraude et de blanchiment, on doit les rechercher et les identifier. Mais comment les repérer ? Toutes les cryptomonnaies n’ont pas une traçabilité correcte, voire suffisante », s’inquiète Serge Yablonsky.

L’année dernière, la société Paymium qui a une plate-forme d’achat de bitcoins a reçu un refus de certifié par un commissaire aux comptes. Il n’y avait pas de traçabilité ni de relevé sur les jetons qui avaient été émis au niveau de l’ICO. « On ne sait pas s’il s’agissait d’un produit, d’un service… et il existe des cas où c’est vraiment du vent et cela fait l’objet de quelques scandales ! », précise l’expert. Pour les commissaires aux comptes, le problème est celui de l’évaluation comptable de ces événements et sa fiscalisation. Quel est le genre de l’actif ? Faut-il enregistrer un passif ? De plus, les transactions s’effectuant en cryptomonnaie, cela peut perturber la valeur des bilans. D’après Serge Yablonsky, « si on le met au cours du 31 décembre qui est très élevé, la valeur peut complètement se dégonfler quelques semaines après… ce sont des monnaies très volatiles ».

Collaboration avec l’AMF

En l’absence de réglementation spécifique régissant l’ensemble des nouvelles levées de fonds s’appuyant sur les cryptomonnaies et la technologie blockchain, l’Autorité des marchés financiers (AMF) s’est également emparée du sujet. « La Compagnie voudrait bien participer à une réflexion avec l’AMF », affirme le professionnel du chiffre. En effet, celle-ci souhaite recueillir l’avis des parties prenantes et lancer un programme d’accompagnement et d’analyse de ces opérations, baptisé Unicorn.

À l’international, les différentes autorités alertent sur les risques que les ICO présentent pour les investisseurs. Elles peuvent comporter des inexactitudes ou des omissions significatives, comme d’indiquer quelles sont les personnes juridiquement responsables de l’offre et quelle serait la juridiction compétente en cas de litige. Pour l’AMF, l’objectif serait alors de « donner aux ICO un cadre d’ici à la fin de l’année, avec le souci de protéger les investisseurs sans imposer trop de contraintes, pour favoriser l’innovation ».