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Le 119e Congrès des notaires de France mobilisé pour créer la ville sur la ville

Publié le 21/04/2023
Urbanisation, cités
mast3r/AdobeStock

Pendant trois jours, Deauville accueillera le 119e Congrès des notaires de France, dont le thème cette année sera consacré au logement. Comment le produire, comment l’acquérir, comment le garder ? Ces questions seront au cœur du Congrès. Le premier jour, des universitaires reconnus animeront des formations, les deux autres jours seront dédiés à des débats devant l’ensemble des congressistes. Une centaine d’organisations partenaires du notariat seront réunies dans un espace de 2 400 m2. Les principales pistes de réflexion des trois commissions de ce Congrès ont été présentées aux journalistes le 11 avril dernier. Point d’étape.

Le président du 119e Congrès des notaires de France, Yves Delecraz, ouvre la conférence de presse de présentation du Congrès avec entrain. Il a réussi, explique-t-il, une petite performance. Au mois de septembre, les 4 500 participants se réuniront à Deauville, sur la côte normande.  « C’était un défi : il a fallu pousser les murs ! Ce que tous les congrès depuis 20 ans n’ont pas réussi, le 119e congrès l’a fait », souligne ce notaire lyonnais dans un sourire. Pendant trois jours, les notaires profiteront donc des charmes de la fameuse cité balnéaire. Mais, dans cette ville de bord de mer, les notaires se concentreront sur un sujet sérieux, douloureux pour nombre de Français : le logement. La ligne du Congrès est résumée en un slogan : « Le devoir de faire mieux, le droit pour faire autrement » !

En choisissant le thème du logement, les notaires s’emparent d’un thème actuel et concernant. « Le logement est important pour l’économie nationale comme pour le patrimoine des Français », pose Yves Delecraz. « Il occupe une place importante dans l’activité des notaires qui abordent ce sujet plusieurs fois par jour », souligne pour sa part Éric Cevaër, notaire à Cap d’Ail et rapporteur de ce 119e Congrès. Les deux notaires commencent par dresser un état des lieux chiffré du logement. Il existe à ce jour plus de 37 millions de logements en France, dont 80 % sont des résidences principales, 9 % des résidences secondaires et 8 % des logements vacants. Viennent s’y ajouter, en moyenne, 380 000 nouvelles constructions par an. Un million de transactions immobilières ont lieu chaque année. Le secteur du logement pris au sens large, de la conception à la location, compte 472 000 entreprises qui emploient 1 300 000 salariés. Le logement est aussi le sujet central de la vie des ménages. « C’est le seul actif patrimonial de la plupart des Français et il a une place très importante dans le budget des ménages. Pour bien des ménages, le logement est la première des dépenses. On estime à 45 % le taux d’effort d’un ménage qui doit emprunter pour financer son logement. Il y a un risque de décrochage. Le moindre faux pas dans la gestion des finances de la famille peut tourner à la catastrophe ».

Les chiffres du logement en France, ce sont aussi ceux des sans-logis, qui augmentent… En 2022, on dénombrait 330 000 personnes sans-logis, soit 30 000 de plus qu’en 2021 d’après les chiffres de la fondation Abbé Pierre. À ceux-ci s’ajoutent les mal-logés : des locataires en situation d’impayés, des copropriétaires qui n’arrivent plus à faire face aux charges, des habitants d’un immeuble tellement dégradé qu’ils doivent quitter les lieux en attendant une rénovation. Ces personnes seront au centre des préoccupations des congressistes. « Nous ne nous réunissons pas pour évoquer le prix des villas sur la côte normande », souligne Éric Cevaër. Le congrès entend chercher des solutions pour loger tout le monde. « Ce congrès est dans la continuité de nos congrès passés », poursuit Éric Cevaër. « En 2004, le congrès dédié au Code civil traitait de la protection du logement familial. L’accession au logement était le thème du congrès de Cannes en 2011 ».

Pour s’attaquer à ce sujet, le Congrès procédera en trois temps. La première commission réfléchit depuis des mois sur l’offre de logement, un sujet qui mêle droit de la construction, droit administratif et droit de l’environnement, avec le principe de zéro artificialisation nette des sols. La deuxième commission étudie l’accessibilité de cette offre, dans un contexte où la primo accession à la propriété marque le pas. Enfin, la troisième commission se penche sur la transmission et la conservation de ce logement à différentes étapes de la vie. Lors de la conférence de presse, chaque président de commission est venu présenter les grandes lignes de ses travaux.

La première commission s’intitule : « développer l’offre de logement », et son credo est « produire la ville de demain », explique son président Alexandre Leroux, notaire au Mans. Elle entend donner des pistes pour développer l’offre en respectant l’objectif de zéro artificialisation des sols. « C’est une nécessité environnementale, mais produire du logement sans construire, c’est la quadrature du cercle », précise le rapporteur Éric Cevaër. Pour le président de cette première commission, penser l’offre de logement est une « périlleuse mission ». « Elle nous a entraîné aux confins du droit public voire du droit constitutionnel, du droit de l’urbanisme du droit de la construction et du droit privé si cher à notre profession », énumère-t-il. La commission réfléchit à la « production, et non uniquement à la « construction » de logements ». Il insiste, car ce n’est pas qu’une question de vocabulaire « Produire, c’est une vision plus large et plus proche des aspirations contemporaines. La lutte contre l’artificialisation et la décarbonation invite à penser autrement que la seule construction de mètre carré ».

Les propositions des différentes commissions ne seront dévoilées qu’en fin de congrès, mais Alexandre Leroux en dévoile déjà quelques grandes lignes. Il faudrait, selon cette première commission, réaliser des ouvrages imbriquant logements libres, logements intermédiaires, logements sociaux, et équipements publics pour répondre aux besoins des futurs habitants. Renforcer les partenariat public-privé dès la conception des logements. « Les notaires peuvent aider à la rédaction des nouveaux partenariats ». Alexandre Leroux rappelle qu’alors que les maires sont craintifs face aux projets de construction, « difficiles à manier face aux nouveaux enjeux », les notaires peuvent accompagner le développement de villes nouvelles et aider à construire sans artificialiser les sols. « Il faut repenser la production juridique de la ville. Le Zan, objectif de zéro artificialisation nette des sols, appelle à lutter contre l’étalement urbain par une optimisation foncière. Le temps où les surélévations étaient un repoussoir juridique pour les praticiens doit être dépassé. Le législateur a levé les contraintes identifiées. À nous de les promouvoir auprès des collectivités ».

Outre ces constructions en hauteur, il existe d’autres pistes, d’après le président de cette première commission. Par exemple, la reconversion du tertiaire en logements. Une idée intéressante en Île-de-France, où 4,4 millions de mètres carrés de bureaux sont inoccupés, et plus d’un million de logements en vacance structurelle. Autre idée : imaginer des constructions réversibles, « un bâtiment pouvant avoir plusieurs usages successifs sans en changer la structure ni nécessiter de lourds travaux ». Sur ce vaste sujet de l’offre de logements, le rapport du congrès ambitionne d’être le premier ouvrage professionnel traitant de tous ces aspects, économiques fiscaux et juridiques, tant sur le plan du droit public que privé. « Jamais personne n’est entré autant dans le détail », assurent les organisateurs du congrès. « Les architectes nous montrent que cela est possible. À nous de trouver des outils pour créer la ville sur la ville ».

La deuxième commission se penche, elle, sur l’accès au logement. En France, 80 % des habitants rêvent de devenir propriétaires. « Nous avons refait le parcours résidentiel, depuis le logement locatif jusqu’à l’accession en pleine propriété », explique Xavier Lièvre, notaire à Paris. Il pointe l’existence de nombreux outils et dispositifs. « L’idée est donc de déverrouiller, pas de réinventer ». Parmi ces outils, le bail réel solidaire, qui permet de faire supporter aux ménages le coût du logement tandis que le coût du terrain est financé par un organisme foncier solidaire. Une technique en plein développement, selon les organisateurs du congrès. Mais il existe d’autres solutions pour sauter les obstacles. « Quand on a des difficultés d’accès, on peut acheter avec d’autres : il s’agit d’un partage vertical comme dans le bail réel solidaire, ou d’un partage horizontal dans le cas d’un achat à plusieurs », développe Xavier Lièvre. Les congressistes s’intéressent aussi aux nouvelles formes d’habitats. « 300 000 familles ont choisi des formes d’habitats non conventionnels. Cela va du camping-car à la yourte et à la maison semi-enterrée ». Cette deuxième commission se penche aussi sur les dispositifs d’aide pensés par l’État. En 2022, la France a dépensé 38 milliards d’aide au logement, et engrangé 90 milliards de recettes, via la taxe foncière notamment. « Ces aides sont-elles vertueuses ? », interroge Xavier Lièvre. « Elles posent souvent un problème. Quand vous aidez, vous solvabilisez l’acheteur et dans un marché en sous offre, cela crée de l’inflation. Avec le bail réel solidaire, vous aidez, mais la personne ne peut pas revendre son logement à un prix de marché libre. Cela crée un marché décoté par rapport au marché libre », estime-t-il. Outre les aides d’État, d’autres outils existent : « Des start-up permettent à des fonds d’investissement de s’intéresser au logement ». L’utilisation des logements vacants, si elle est une piste intéressante, ne peut en revanche suffire. « Ils sont majoritairement situés dans des zones moins tendues. Il faut inciter à les rénover et les remettre sur le marché, mais en zone tendue le pourcentage de logements vacants est faible », souligne Xavier Lièvre.

La troisième commission, dont le thème est : « pérenniser son logement », aborde « les questions très quotidiennes que se posent les Français », explique Agnès Maurin, notaire à Gignac. Elle posera les questions de savoir comment conserver, transmettre, et adapter son logement, au fil des époques et des épreuves de la vie : séparation, remise en couple, retraite, évolution des capacités financières, faillites. Quand le propriétaire du logement décède, le conjoint peut être sommé de quitter le logement, rappelle-t-elle. « Tous les notaires sont confrontés à la question d’un partenaire de vie survivant qui n’est pas propriétaire du logement conjugal », souligne Agnès Maurin. « Bien souvent, il est contraint de partir par les héritiers ». Si le législateur a déjà mis en place beaucoup d’outils, certains méritent d’être améliorés, d’autres inventés, précise encore Agnès Maurin. La question de la transmission du logement est au cœur des réflexions de cette commission.

Le drame d’une faillite peut également entraîner la perte du logement. Agnès Maurin note que les auto-entrepreneurs sont, de manière paradoxale, mieux protégés par la loi que les dirigeants de sociétés. « La loi du 14 février 2022 fait fi du principe de séparation des patrimoines et divise celui de l’entrepreneur individuel en 2, pour protéger la résidence principale. L’entrepreneur individuel est ainsi mieux protégé que le dirigeant de société ». Enfin, dans un contexte de société vieillissante, la commission s’intéresse tout particulièrement aux seniors. Ils concentrent l’essentiel du patrimoine immobilier, qui, alors que les retraites s’amenuisent, tend à devenir leur principal actif. Certaines personnes âgées, pourtant, se trouvent privées de leur logement alors qu’ils deviennent vulnérables. « La pauvreté augmente avec l’âge. Des outils existent pour permettre de conserver leur logement mais sont peu utilisés. Le prêt viager hypothécaire n’est plus proposé par aucune banque. les Français ont pourtant une préférence pour le maintien à domicile et les 3/4 des seniors sont propriétaires. Nous, notaires, voyons un nombre grandissant de successions où le département souhaite récupérer le montant de l’aide aux personnes âgées, ayant bénéficié au défunt dont le logement était le seul actif ».

Sur toutes ces questions de société, les notaires entendent apporter leur contribution, et, peut-être, faire évoluer la loi.« Depuis l’origine du congrès des notaires de France, plus de 100 textes législatifs sont directement issus de nos travaux. Je souhaite que le 119e apporte sa pierre à l’édifice en repensant le logement en réinterrogeant notre façon d’habiter sans jamais oublier ce qui y vivent », précise Yves Delecraz.

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