« Les jeunes avocats sont loin de rouler sur l’or ! »

Publié le 06/10/2017

Rentrée à l’UJA en 2009 alors qu’elle était élève avocate, Laëtitia Marchand est désormais présidente de cette association qui fêtera bientôt ses 95 ans. Une fonction qui s’inscrit dans un engagement associatif de longue date pour cette avocate exerçant en droit pénal et en droit du travail. L’avocate parle de la situation des jeunes avocats avec passion. Conversation à bâtons rompus sur l’exercice de la profession et les prochains chantiers de l’UJA.

Les Petites Affiches – Qu’est-ce que cela représente pour vous d’être présidente de l’UJA ?

Laëtitia Marchand – J’ai toujours eu une vie associative. Je suis rentrée à l’UJA en 2009, d’abord en tant que membre de la commission permanente, puis, j’ai intégré le bureau, qui est l’équipe de coordination de l’association, en 2014. J’ai d’abord occupé la fonction de trésorière, puis, j’ai été secrétaire générale et première vice-présidente de l’UJA de Paris. J’avais une vie associative avant d’intégrer l’UJA. Cela fait 20 ans que je suis secouriste dans une association reconnue d’utilité publique, où j’effectue des gardes au SAMU comme chez les pompiers de Paris. Cette expérience m’a démontré l’importance du travail collectif. Si tu n’es pas une équipe, tu ne peux pas faire grand-chose. Pour avancer et obtenir des résultats, il faut que tout le monde s’y mette.

LPA – Dans quel état d’esprit abordez-vous votre mandat ? Quelles seront vos priorités ?

L. M. – Il faut essayer de donner de vrais axes, en cohérence avec les raisons pour lesquelles on s’engage, mais il serait vain de promettre plein de choses. À l’UJA, notre mission première est la défense des intérêts des jeunes avocats. Cela veut dire défendre leurs intérêts dans l’exercice de la collaboration, s’assurer qu’ils aient accès à la formation, leur donner des armes pour s’installer s’ils le souhaitent. Nous allons continuer à travailler ces sujets, avec humanité et indépendance, qui sont au cœur de mon engagement.

LPA – Comment s’organise l’UJA ?

L. M. – Une commission permanente de 68 membres, qui nomme les six personnes du bureau, travaille toute l’année sur les sujets d’actualité. Cette assemblée est divisée en groupes de travail, les commissions, couvrant les différentes thématiques de l’activité d’avocat : nous avons ainsi une commission pénale qui travaille actuellement sur le projet de loi pour la sécurité intérieure et la prévention contre le terrorisme, une commission « travail » qui analyse les ordonnances en cours d’instauration… Actuellement, trois groupes de travail sont en train de se monter. Le premier va travailler sur la fiscalité – notamment celle de l’avocat –, le second va se consacrer à l’enfance, en réfléchissant aux problématiques pénales mais aussi à la situation des mineurs isolés, le troisième va se concentrer sur les conditions de vie de l’avocat. Nous souhaiterions également être plus présents au niveau international et allons organiser différents événements pour cela tout au long de l’année.

LPA – Quelles sont les difficultés que rencontrent aujourd’hui les jeunes avocats ?

L. M. – En dépit de l’image prestigieuse dont jouit notre profession, vivre de manière décente peut s’avérer compliqué pour un jeune avocat. Les jeunes avocats sont loin de rouler sur l’or ! Ils sont confrontés à des difficultés dans leur vie quotidienne, par exemple pour se loger. Quand vous êtes seul à chercher un appartement, cela peut s’avérer très compliqué. Cela m’est arrivé dernièrement : un propriétaire m’a tout bonnement raccroché au nez quand je lui ai dit que j’étais avocate. L’image de l’avocat reste encore celle d’un notable, cela est lié au fait que nous avons une fonction de représentation. En réalité, la profession est devenue assez précaire. Nous allons lancer une vaste étude sur les raisons de cette précarisation.

LPA – Parmi les raisons de cette précarisation, vous pointez les conditions d’embauche proposées aux jeunes avocats. En quoi consistent-elles ?

L. M. – Certains cabinets en profitent et se mettent à proposer des conditions d’embauche qui ne permettent pas aux jeunes avocats de développer leur activité. Ces derniers se voient proposer des contrats flous, avec des noms obscurs, qui n’ont plus rien à voir avec le contrat de collaboration. Par exemple, alors que le candidat se présente pour un contrat de collaboration, il va finalement se voir proposer un contrat de prestation et d’assistance juridique. Concrètement, ces avocats se retrouvent à travailler dans une société, n’ont pas de vrais bureaux, ne peuvent pas recevoir d’autres clients et développer une clientèle personnelle. D’autres se voient carrément proposer des stages alors qu’ils sont diplômés. Malheureusement, certains jeunes avocats acceptent ce type de propositions, car les cabinets leur font miroiter à terme un vrai contrat de collaboration. Ces pratiques scandaleuses restent fort heureusement marginales, mais elles continuent à se développer. Nous avons un service « SOS collaborateurs » pour traiter toutes ces questions et assister les jeunes, qui est très sollicité !

LPA – Quels types de situations vous sont relatés ?

L. M. – Le contrat de collaboration est un contrat censé reposer sur la confiance entre un avocat et un cabinet qui n’est pas un contrat de salarié. Il n’en a donc pas la protection et c’est à nous de nous battre pour que certaines règles élémentaires soient instituées et respectées. Les discriminations, notamment à l’égard des femmes enceintes, ne sont pas tolérables. Nombreuses sont les avocates à témoigner de la difficulté d’annoncer une grossesse à son employeur. Nous nous sommes d’ailleurs battus, à l’UJA, pour obtenir un congé maternité pour les collaboratrices puis un congé paternité.

LPA – Que préconise l’UJA en matière de collaboration ?

L. M. – L’UJA vote chaque année un tarif dit « tarif UJA » qui est le chiffre minimum de la rétrocession d’honoraire permettant à un jeune avocat de vivre. Ce tarif est le résultat d’un calcul prenant en compte les dépenses personnelles – telles que les factures EDF, le logement, internet – et les dépenses professionnelles – comme l’URSSAF, les provisions de charges, les provisions d’impôts. Nous avons fixé ce minimum à 3 820 € pour la première année de collaboration pour l’année 2016/2017. Ce chiffre, qui constitue selon nous une rétrocession minimum, est supérieur à celui défini par l’ordre. Il faut bien avoir en tête que cela ne correspond pas à un salaire : le collaborateur n’est pas salarié, et quand on enlève les divers frais professionnels de ce montant, il en reste à peine plus de la moitié. Pour vivre décemment en région parisienne, cela nous semble vraiment le minimum.

LPA – L’UJA s’est prononcé contre le projet de « collaboration qualifiante » l’année dernière. En quoi consistait-il ?

L. M. – Ce projet était porté par le CNB. Il s’agissait d’instaurer une période de stage qui allait faire coexister des avocats collaborateurs de plein exercice et des avocats stagiaires qui n’auraient notamment pas eu le droit d’avoir des clients personnels. Le caractère libéral est pourtant un point essentiel de notre profession. Nous nous réjouissons, à l’UJA, que ce projet en l’état ait été abandonné.

LPA – Y a-t-il d’autres facteurs qui expliquent les difficultés des jeunes avocats ?

L. M. – On entend souvent que les jeunes ont des difficultés car ils vivraient des commissions d’office. Pour ma part, il m’a toujours été expliqué qu’un cabinet ne se constitue pas sur l’aide juridictionnelle. C’est certainement vrai : je ne connais en tout cas personne qui se soit installé sur ces seuls dossiers. Je ne crois pas, néanmoins, que ce point soit la seule et unique raison des difficultés rencontrées. Il existe bien d’autres raisons à ces difficultés. Les jeunes avocats manquent de connaissances sur la gestion pratique de leur cabinet. Un bon avocat est à la fois un bon juriste et un bon gestionnaire, qui doit savoir penser trésorerie, stratégie et investissement, avoir une vision sur l’avenir de son cabinet et pas seulement vivre au jour le jour. C’est un problème de sortir de l’école sans avoir de telles connaissances pratiques.

LPA – Vous-même, comment avez-vous décidé de vous installer ?

L. M. – Mon rêve lorsque j’étais étudiante à l’EFB était d’intégrer un « gros » cabinet pour ne faire que du droit pénal des affaires ! Après 2 ans d’exercice, j’ai réalisé qu’il fallait que je m’installe. Je fais du droit pénal et du droit du travail. Ce sont des domaines qui peuvent sembler éloignés, mais il s’agit, dans les deux cas, de procédures orales qui impactent énormément la vie des gens. À mon sens, la collaboration a du sens pendant un temps, pour se former, mais il arrive que voler de ses propres ailes devienne un objectif à un moment, lorsque l’on réalise que l’on est capable, seul, de trouver des clients et de les garder. Cela dépend cependant de chacun : certains avocats vont être collaborateurs et s’y trouver bien sur la durée, aimer une telle forme d’exercice alors que pour d’autres, cette situation ne pourra perdurer et ils souhaiteront se développer seuls en toute liberté et indépendance.

LPA – La formation dispensée à l’EFB serait-elle à revoir ?

L. M. – La formation des élèves avocats est à mon sens trop théorique. Il y a des avancées, des modules sont peu à peu créés par l’école pour davantage sensibiliser les étudiants aux problématiques de l’entreprise. Il faudrait que cette tendance s’accentue encore. Lorsqu’on intègre l’école, on a déjà derrière soi un solide bagage juridique. C’est encore plus vrai avec le nouvel examen, qui exige des étudiants d’avoir une connaissance exhaustive des différentes matières. Une fois qu’on est entré, on devrait pouvoir se concentrer sur l’approche professionnelle.

LPA – Comment l’UJA aide-t-elle les jeunes avocats à penser leur installation ?

L. M. – Nous avons une commission « Carrières, installation et association » (CIA) pour assister tous les avocats qui veulent s’installer, seuls ou en association. Cette année, une nouvelle commission dont le titre provisoire est « la fusée » a été instituée. Elle va travailler avec la CIA. Notre idée est de mettre en place des réunions entre avocats et entrepreneurs. Nous allons discuter des attentes du client, de la manière dont nous pouvons exploiter les nouvelles technologies… Il faut s’adapter tout en gardant son indépendance. Notre profession exige de savoir dire non à certains clients, de garder nos principes déontologiques, de préserver notre secret professionnel.