Les notaires à l’étude du territoire

Publié le 08/03/2018

Pour le 114e Congrès des notaires, c’est la thématique du territoire qui a servi de fil rouge à la conduite des travaux. Organisé du 27 au 30 mai prochain à Cannes, l’évènement permettra aux quatre commissions de dévoiler leurs conclusions. Mais cela sera aussi le moyen pour les notaires d’engager un débat sur les enjeux d’avenir lié à l’agriculture, l’énergie ou la ville avec des personnalités de la société civile telles que Pierre Rabhi, Érik Orsenna ou encore Emmanuel Todd.

Véritable institution vieille de plus d’un siècle, le Congrès des notaires permet chaque année à la profession de produire une réflexion sur la société, ses mutations et les préoccupations de ceux qui la composent. C’est également l’occasion d’apporter une série de propositions au législateur afin que le cadre juridique puisse évoluer lorsque cela est nécessaire. Pour cette 114e édition, c’est un thème particulièrement transversal qui a été choisi : « Demain le territoire ». Il a servi de point de départ aux travaux des quatre commissions qui aborderont les sujets aussi différents que complémentaires que sont l’agriculture, l’énergie, la ville et le financement. « Le thème est essentiel », fait remarquer Emmanuel Clerget, notaire à La Charité-sur-Loire et président de ce congrès. « Il nous concerne tous en tant que citoyens, mais aussi en tant que professionnels, juristes, femmes et hommes de droit. Ce sont donc des réponses de professionnels que nous souhaitons apporter (…) à ces problématiques urgentes et universelles », détaille-t-il.

Le Congrès des notaires et son rapport final sont l’œuvre de professionnels bénévoles venus de toute la France, une démonstration de la volonté de la profession à œuvrer pour l’évolution du droit et à garder une place au cœur de la cité. Pour Emmanuel Clerget, c’est justement cette qualité de juriste de proximité qui donne au notaire sa place incontestable au sein du territoire, il n’hésite d’ailleurs pas à comparer son métier à celui d’un « médecin de famille du droit des particuliers ». De par cette position il est en mesure de faire remonter les problèmes que peuvent rencontrer les citoyens dans leur quotidien et identifier les outils qui pourraient leur faciliter la vie. Pour aborder les problématiques du territoire, les notaires ont envisagé les choses sous deux aspects comme l’explique Antoine Bouquemont, rapporteur général du Congrès «les questions techniques essentielles en premier lieu, puis la fonction symbolique du droit».

L’urgence environnementale en filigrane

À la lecture des premières conclusions, un fil conducteur semble avoir traversé les travaux des différentes commissions : celui de l’importance de la prise de conscience écologique. Hubert Bosse-Platière, professeur de droit à l’université de Bourgogne et rapporteur de synthèse pour ce 114e Congrès le confirme : « L’urgence environnementale nous oblige, par égoïsme collectif, à sortir d’une période marquée du sceau de l’individualisme. La terre est un bien précieux, une denrée rare, un bien commun, qu’il convient de chérir ». Ce n’est donc pas un hasard si la première commission s’intéresse à l’avenir de nos terres nourricières. Outre l’usage des terres et les moyens d’aboutir à une transition agroécologique, c’est aussi la régulation agricole et un système d’aides à bout de souffle qui ont été mis à l’épreuve durant les travaux. Et les notaires tirent clairement la sonnette d’alarme en constatant que l’agriculture française baisse dans tous les classements mondiaux pendant que ses acteurs souffrent d’un quotidien difficile et d’une image dégradée… Cela alors même que tous les ingrédients du succès sont pourtant présents (climatologie favorable, variété des territoires, savoir-faire agronomique). Pour agir contre cet état de fait, la commission devrait donc proposer une réforme du système d’aides et de régulation (jugé inadapté et anachronique), un « choc de simplification » des aides est évoqué afin d’en faciliter un usage raisonné. Guillaume Lorisson, président de la commission, met cependant en garde contre une dérégulation totale et souligne la nécessité de préserver une multiplicité de format et de modèles d’exploitations. « Tout ce paysage agricole doit être maintenu et encouragé », explique-t-il, car c’est justement cette diversité de produits et modèles économiques qui permettra de créer un territoire équilibré. La deuxième commission, consacrée à l’énergie, met elle aussi l’accent sur l’importance d’une réflexion écologique dans nos usages. En dressant un état des lieux des ressources, la nécessité du développement des énergies renouvelables s’impose, mais les notaires offrent également une mise au point inattendue sur les ressources que peuvent apporter les forêts. Antoine Gence, président de la commission, explique que la richesse en biomasse de nos forêts (qui représentent 28 % du territoire métropolitain) reste très largement inexploitée. La question du morcellement du territoire forestier est abordée (répartie entre l’État, des millions de propriétaires privées et les collectivités territoriales), ainsi que celle des aberrations législatives qui empêchent par exemple les agriculteurs bénéficiant d’un bail rural de fabriquer de l’énergie sur leurs terres. La commission « Demain l’énergie » remarque enfin l’absence préjudiciable d’une grande loi sur la transition énergétique à l’heure des prémices de l’autoconsommation. Pour les auteurs des travaux, la France accuse un retard sur les technologies innovantes. La commission Énergie souhaite donc dégager de grands principes pour proposer les outils juridiques à même d’accompagner et accélérer cette transition vers les énergies renouvelables.

Une ville verticale et le financement en clé de voûte

La commission « Demain la ville » de son côté, a conduit une réflexion autour de l’article L. 101-2 du Code de l’urbanisme qui a été nourrie par les retours des clients des notaires (architectes, urbanistes, élus, citoyens, etc.). Les défis du territoire urbain sont de taille : exploiter les ressources de manière optimale, partager la ville entre tous ses utilisateurs sans oublier la mixité sociale ou encore encadrer la végétalisation des immeubles et l’agriculture urbaine. Dans ses premières conclusions, la commission présidée par Christophe Sardot met notamment en avant les bénéfices de la verticalité : c’est-à-dire créer des immeubles qui favorisent la multiplicité des usages. Crèches, appartements, locaux commerciaux, toit végétalisé transformé en potager partagé ou exploitation énergétique… Les notaires proposent de jouer plus que jamais la multifonctionnalité. Autres solutions pour améliorer le quotidien des urbains : simplifier les choses en matière de baux et adapter la réglementation existante aux nouvelles pratiques telles que le coworking ou coliving.

Dédiée à apporter une réflexion plus globale, la commission consacrée au financement a été envisagée via une approche financière et fiscale là où les trois premières commissions abordaient les choses sous un angle civiliste. Le financement se retrouve à la croisée de tous les enjeux et l’objectif de cette dernière commission est de trouver les pistes pour une fiscalité cohérente et incitative. Chaque thématique précédemment évoquée par les autres commissions (agriculture et forêt, efficacité énergétique et territoire urbain) sera donc reprise pour y insérer des idées-clés. Alléger le poids du foncier dans l’entreprise agricole par exemple, créer des aides en matière de rénovation énergétique qui n’incitent plus à des actions ponctuelles, mais qui participent à une vision globale ou encore endiguer l’étalement urbain en modifiant la fiscalité et en incitant à céder les espaces constructibles dans les friches industrielles.

Tout au long des trois jours de ce Congrès, des personnalités emblématiques de la société civile viendront enrichir les présentations des différentes commissions. Pierre Rabhi, paysan, penseur et chantre d’une agriculture écologique raisonnée ouvrira ainsi la première commission consacrée à l’agriculture et à l’avenir de nos terres. Puis François Baroin, homme politique et président de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalités, participera à la commission « Demain la ville » et Agnès Verdier-Molinié, directrice de l’iFRAP (Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques), honorera de sa présence la commission financement.

Enfin, comme il est désormais de coutume, un débat clôturera le Congrès animé par Patrick Poivre d’Arvor et en présence de l’académicien Érik Orsenna, du prospectiviste Joël de Rosnay et de l’historien et essayiste Emmanuel Todd.