Réforme de la discipline des avocats : l’indépendance en péril ?
Faut-il faire entrer un magistrat dans les instances disciplinaires des avocats ? C’est en tout cas l’une des réformes contenues dans le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire présentée en conseil des Ministres par Eric Dupond-Moretti, le 14 avril dernier. L’idée ne convainc guère Georges Teboul, avocat au barreau de Paris, ancien membre du conseil de l’ordre.
Le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire qui vient d’être présenté en conseil des ministres comporte un chapitre consacré à la discipline des avocats qui tend à introduire l’échevinage dans les formations disciplinaires en renforçant la place du plaignant.
Rappelons qu’un rapport avait été établi par le Bâtonnier Yves Repiquet pour le Conseil de l’Ordre de Paris en septembre 2009. Il avait été envisagé que chaque formation disciplinaire du Conseil de l’Ordre de Paris ou chaque conseil de discipline comprenne un membre non avocat, personnalité extérieure nommée par le Président de la République et par les présidents des plus hautes institutions de notre pays. En outre et conformément à la recommandation de la commission Darrois, il était proposé qu’un avocat puisse siéger dans la formation de jugement en appel des décisions rendues par le conseil de discipline.
Le Conseil National des Barreaux a transmis au gouvernement en avril 2020, une proposition de réforme en soulignant que la présidence de la formation disciplinaire devait rester confiée à un avocat. Or, le projet actuel propose d’attribuer cette présidence à un magistrat.
Cette tribune n’a pas pour objet d’exposer en détail les conditions de cette réforme mais de réagir à la possibilité pour un magistrat de présider une formation disciplinaire destinée à juger des avocats.
Une fausse bonne idée ?
A notre humble avis, ce n’est pas une bonne idée.
En effet, plusieurs arguments s’y opposent :
En premier lieu, un magistrat n’est sans doute pas le mieux placé pour appliquer le code de déontologie des avocats et les dispositions élaborées par les avocats eux-mêmes pour faire leur discipline. Ce corpus assez copieux n’est pas enseigné aux magistrats qui n’ont donc pas de compétence particulière pour l’appliquer et ne connaissent pas le mode d’exercice quotidien des avocats, leurs contraintes et le contexte professionnel dans lequel ils exercent leur profession. Cela n’est certes pas une critique des juges car il serait sans doute aussi baroque qu’un avocat puisse juger un juge avec une fonction prééminente.
L’antagonisme s’est développé d’une manière telle entre de nombreux magistrats et avocats que ce nouveau texte pourrait être interprété comme une mise sous tutelle, certains avocats récalcitrants ou désireux de défendre les droits de la profession pouvant ainsi être mis au pas. De récentes affaires en sont l’illustration, sans qu’il soit utile de les détailler ici (NDLR : voir notamment à ce sujet l’affaire Nioré ).
Il est facile de comprendre qu’un magistrat répugnera à jouer un rôle mineur au sein d’une juridiction présidée par un avocat et composée par d’autres avocats ; ce débat a été aisément visible lors de la tentative de réforme des tribunaux de commerce sur l’introduction avortée d’un échevinage. Il est apparu clairement à cette époque que les magistrats ne souhaitaient pas autre chose que la présidence des chambres et formations du tribunal de commerce. Nous savons par ailleurs que les juges consulaires, dans les juridictions échevinées d’Alsace Moselle et Outre-Mer, ont le plus souvent un rôle mineur, la décision revenant essentiellement au président de la formation.
Prôner l’apaisement
Ne vaudrait-il pas mieux prôner l’apaisement en cette époque où le dialogue entre les magistrats et les avocats est devenu compliqué ? De nombreux magistrats formulent des griefs contre les avocats qui plaident trop longtemps, qui forment trop de recours, qui sont parfois jugés incompétents ou insuffisants ; les avocats ont parfois le sentiment d’être méprisés, peu ou mal entendus, voire déconsidérés.
Le propos n’est certes pas de dresser deux professions l’une contre l’autre, car elles ont au contraire un caractère éminemment complémentaire et elles auraient intérêt à examiner ensemble les conditions dans lesquelles, l’œuvre de justice peut être améliorée d’une manière plus harmonieuse.
Certes, il existera toujours une tension entre les avocats et les magistrats, l’avocat tentant de convaincre le juge, dans un contexte conflictuel, que son client est innocent ou que son client détient son bon droit. Le juge, qui devra choisir entre la position de l’une des parties et celle de l’Etat, sera sans doute souvent en désaccord avec la plaidoirie de l’avocat. Tout ceci est normal, mais cela ne doit déboucher ni sur un mépris, ni sur la colère, ni sur l’exclusion, de part et d’autre.
Au fond, tout ceci repose sur un soupçon : l’avocat qui juge aurait tendance à être complaisant à l’égard de l’avocat qu’il juge par une espèce de connivence entre pairs. L’avocat que je suis qui a siégé 11 ans en disciplinaire peut attester du contraire : nulle complaisance. L’avocat sait gérer le conflit d’intérêts, sait se déporter lorsque cela est nécessaire et il module sa décision à l’aune des faits signalés, dont il saura juger dès lors qu’il connait le contexte professionnel, le corpus des règles professionnelles élaborées au fil des années par sa profession. Il existe certainement des exceptions, des dysfonctionnements mais sans doute pas plus qu’ailleurs.
Il n’est pas certain que des magistrats soient moins cléments que les avocats qui jugent aujourd’hui leurs pairs. Le fait d’introduire en disciplinaire un professionnel d’une autre profession pourrait avoir un intérêt, mais il est sans doute difficile, dans le contexte actuel, de permettre à un magistrat professionnel de présider une formation disciplinaire destinée à juger les avocats.
Les magistrats sont des juges naturels lorsque la loi a été violée, que cette loi soit civile ou pénale et il est sain et normal qu’ils puissent décider et agir. L’avocat n’est donc pas irresponsable et s’il a commis un fait illégal, il est jugé par des juges professionnels. Tout cela existe.
En appel d’une décision rendue en matière disciplinaire, la décision rendue par les avocats est aussi jugée par des juges professionnels. Leur rôle est donc essentiel et prééminent, dès lors qu’ils ont le dernier mot.
La pédagogie des pairs
Cependant, la plus grande partie des décisions rendues en matière disciplinaire n’est pas déférée en appel et les avocats l’acceptent. C’est sans doute parce que la pédagogie de leurs pairs leur a permis d’admettre la décision rendue. Faut-il judiciariser davantage la juridiction disciplinaire ? N’irait-on pas à l’encontre du but recherché ?
Le fait d’être jugé par ses pairs apporte une considération, une écoute attentive et confraternelle dont les avocats doivent pouvoir bénéficier avec la compréhension attachée à celui qui connaît leur activité et qui la pratique encore.
En une époque où les juges professionnels sont déjà surchargés, convient-il de leur imposer ces tâches nouvelles, auxquelles ils sont sans doute mal ou peu préparés, leur formation n’intégrant aucune étude approfondie des règles déontologiques de l’avocat ? Ne conviendrait-il pas au contraire de promouvoir un enseignement commun de la déontologie qui serait le socle de nombreuses professions judiciaires, ce qui reste à faire et à parfaire ? Ne conviendrait-il pas plutôt de favoriser les dialogues indispensables entre les juges et les avocats, de multiplier les lieux de rencontre et d’échanges, plutôt que de les réunir sur la sanction d’un avocat ?
Certes, la messe est sans doute dite et un Garde des sceaux, ancien avocat, porte déjà ce projet. Est-il vraiment trop tard pour améliorer les droits du plaignant, les accompagner comme dans le cadre actuel par la saisine de la formation disciplinaire par le procureur général lorsque celle-ci est requise, ce qui peut paraître suffisant ?
Ne faisons pas du disciplinaire un lieu d’antagonisme entre deux professions qui doivent au contraire être rapprochées, se comprendre et mieux travailler ensemble. Ou alors, il faudrait admettre qu’un avocat préside une formation destinée à juger des juges professionnels et qu’un magistrat préside une formation destinée à juger des avocats … ce qui serait sans doute pousser un peu loin le paradoxe.
Laissons les avocats juger d’autres avocats en première instance, ce qui permettrait de continuer à assurer une indépendance entre les professions qui correspond à un mode d’exercice et à des statuts bien différents.
Référence : AJU192902