1er mai : Doit-on légiférer sous la pression de l’émotion et de certains syndicats d’employeurs ?

Publié le 30/04/2025 à 17h00

Le 25 avril, des sénateurs ont déposé une proposition de loi pour revenir sur la nature de jour férié chômé du 1er mai, sous la pression notamment des boulangers et des fleuristes. Me Michèle Bauer rappelle qu’ils n’ont pas l’interdiction d’ouvrir, mais simplement de faire travailler leurs employés. Surtout, elle s’inquiète d’un texte rédigé de manière imprécise et qui représente un nouveau recul des droits des salariés.  

1er mai : Doit-on légiférer sous la pression de l’émotion et de certains syndicats d’employeurs ?
Photo : ©AdobeStock/JackC

Depuis la fin du mois, certains syndicats d’employeurs s’agitent et considèrent qu’il faut arrêter d’emm**** les français et ceux qui veulent travailler le 1er mai. En effet, les boulangers se plaignent de ne pas pouvoir travailler 1er mai, ou plutôt de ne pas pouvoir faire travailler leurs salariés, car il n’a jamais été question d’interdire aux boulangers d’ouvrir leur boulangerie. Les employeurs, qui sont des entrepreneurs, peuvent travailler le 1er mai, et donc ouvrir leur boulangerie ou leur magasin de fleurs. Pour les salariés, qui travaillent sous un lien de subordination, le 1er mai est un jour férié selon l’article L 3133 – 1 du code du travail, c’est aussi un jour chômé.

Le jour chômé se définit comme un jour non travaillé. C’est le seul jour chômé férié du calendrier des 11 jours fériés de l’année.

Est-ce que ce texte empêche vraiment toutes les entreprises de faire travailler leurs salariés le 1er mai ?

Comme toute règle, celle-ci connait des exceptions.

Une dérogation légale est prévue à l’article L 3 133-6 du Code du travail au bénéfice des établissements et des services qui, en raison de la nature de leurs activités, ne peuvent pas interrompre le travail.

Quels sont les établissements concernés ?

On pense naturellement aux hôpitaux, aux cliniques, aux transports en commun, aux campings, aux hôtels, aux services de gardiennage, d’entretien, mais pas forcément aux boulangeries ou encore aux fleuristes.

Ce sont les juges du fond qui déterminent quelles activités sont susceptibles de bénéficier de cette dérogation.

Ainsi, la Cour de cassation a jugé en 2006 qu’un vidéoclub (pour les plus jeunes, il s’agit d’un magasin qui louait des cassettes vidéo de films, avant internet) ne pouvait pas ouvrir le 1er mai, la Cour estimant que ce vidéoclub n’avait pas suffisamment démontré que la nature de l’activité exercée ne lui permettait pas d’interrompre le travail le jour du 1er mai.

Le 25 juin 2013, la Cour de cassation a pu statuer sur l’ouverture d’une jardinerie le 1er mai ; elle employait près de 11 salariés ce jour-là pour, selon elle, vendre du muguet. La Chambre criminelle a considéré que la preuve de la nécessité de l’exercice d’une activité ininterrompue n’était pas rapportée.

Une question prioritaire de constitutionnalité a même été déposée, mais elle n’a pas été renvoyée au Conseil constitutionnel. La question posée était de savoir si les dispositions de l’article L3133-6 du Code du travail étaient suffisamment claires et précises et conformes à la sécurité juridique, aux principes à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

Pour la Chambre criminelle de la Cour de cassation, la question ne présentait pas un caractère sérieux dès lors qu’en instituant une dérogation au chômage du 1er mai, pour les établissements et services qui ne peuvent pas interrompre le travail, en raison de leur activité, l’article en question est rédigé de manière suffisamment claire et précise pour permettre son interprétation, qui entre dans l’office du juge pénal, sans risque d’arbitraire.

Que risque-t-on si on enfreint la règle ?

Faire travailler le 1er mai ses salariés alors que l’activité de l’entreprise ne justifie pas de pouvoir bénéficier d’une telle dérogation peut coûter cher puisqu’il est prévu à l’article R3135-3 et suivants du Code du travail des amendes de contraventions de la quatrième classe appliquées autant de fois qu’il y a de salariés indûment employés ou rémunérés.

Le 1er mai 2024, des boulangers vendéens ont été verbalisés au titre de cette infraction. Ils ont été relaxés par le tribunal de police de la Roche-sur-Yon le 25 avril 2025.

Cette relaxe a relancé le débat du travail le 1er mai et surtout le débat qui concerne finalement que certains entrepreneurs qui crient haut et fort : « ce n’est pas juste, on ne peut pas travailler le 1er mai ».

Que dit la proposition de loi du 25 avril ?

Ces cris de boulangers ou de fleuristes en colère ont ému des sénateurs, qui se sont emparés du sujet et ont déposé une proposition de loi le 25 avril visant à « permettre aux salariés de certains secteurs de travailler le 1er mai ».

Il aurait été plus exact d’intituler cette loi : « Permettre aux employeurs de certains secteurs de faire travailler leurs salariés le 1er mai ».

L’exposé des motifs précise : « le 1er mai 2024, plusieurs boulangers, respectueux de leur métier, soucieux de répondre aux attentes de leurs clients, ont été sanctionnés pour avoir fait travailler leurs salariés, en dépit d’une pratique tolérée de longue date. Cette situation qui s’est traduite par des amendes allant jusqu’à 1500 € par salarié, a légitimement suscité l’émoi de la profession de la population. »

La proposition de loi a donc été rédigée sous le coup de l’émotion suscitée par l’affaire des boulangers vendéens alors même que les juges du fond, à qui revient la charge d’apprécier la nature de l’activité qui ne peut être interrompue le 1er mai, a relaxé les boulangers vendéens ! En réalité, les syndicats d’employeurs voient ici l’occasion de remettre en cause le régime du 1er mai, dans un mois qui leur est très défavorable en raison des jours fériés et des ponts.

Au-delà de cette question, cette proposition de loi est inquiétante, car elle s’inscrit encore une fois dans une volonté de recul des droits des salariés. Par ailleurs, son unique article omet de préciser les modalités de mise en œuvre et notamment si les salariés seront contraints d’accepter ou si le système fonctionnera sur la base du volontariat, étant précisé dans ce-dernier cas qu’il sera sans doute difficile de refuser dans les petites structures.

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Les grands oubliés dans ce débat sont encore une fois les salariés, nul n’ayant songé à les interroger pour savoir s’ils souhaitaient travailler le 1er mai.

En Europe, seule l’Espagne et la Pologne ont fait de cette date un jour chômé comme la France. Ne perdons pas cette spécificité pour quelques boulangers qui se disent dans le pétrin dès lors qu’ils ne peuvent pas faire travailler leurs salariés un jour dans l’année. Que représente, un jour, un seul, sur 365 ?

 

 

 

 

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