Seine-Saint-Denis (93)

Grand Paris : chronologie et perspective d’une histoire du XXIe siècle

Publié le 02/02/2022

« Quelles sont les évolutions du Grand Paris ces deux dernières décennies ? », « quels sont les acteurs impliqués ? », « quelle est son organisation institutionnelle ? ». Dans une étude publiée récemment, l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur), l’Institut Paris Région (IPR), et le Forum métropolitain (dissous le 7 décembre 2021), dessinent les contours des problématiques et enjeux de la Métropole du Grand Paris ainsi que celle de son histoire récente. Léo Fauconnet, pour l’IPR, et Émilie Moreau, pour l’Apur, sont deux des auteurs de cette étude éclairante. Rencontre.

Actu-Juridique : Pourquoi avez-vous réalisé ce travail sur la construction du Grand Paris ?

Émilie Moreau : Nous avons réalisé cette étude en lien avec les élus du Forum métropolitain du Grand Paris, considérant collectivement le bien fondé d’un bilan sur les évolutions du Grand Paris, ces 20 dernières années. Cela nous a permis de partager, notamment avec les nouveaux élus du territoire, à la suite des différentes élections (municipales, départementales et régionales), tous les éléments clés de compréhension sur le Grand Paris, depuis 2000. Le document final est construit de manière pédagogique et illustrée pour que l’ensemble des acteurs de ce Grand Paris puissent s’approprier facilement les éléments essentiels qui le constituent et puissent donc participer, de ce fait, à la construction métropolitaine. Notre démarche s’inscrit au-delà de la problématique strictement institutionnelle et se penche notamment sur les projets à l’œuvre sur le territoire de la métropole.

Léo Fauconnet : Cette publication n’est, en aucun cas, une évaluation des politiques menées sur le Grand Paris ou une critique relative aux évolutions qui seraient à envisager. L’idée partagée avec le Forum métropolitain, aujourd’hui dissous, était d’aider chacun à se faire sa propre opinion sur la construction métropolitaine. Nous visions donc à réunir un maximum d’informations objectives dans ce seul but. Il s’agit d’un éclairage apolitique des enjeux passés, actuels, et par conséquent futurs, du Grand Paris destinés notamment aux décideurs politiques qui auront à étudier et à faire des choix sur ce sujet complexe de la construction métropolitaine.

AJ : Une partie de votre étude est dédiée à l’histoire de la Métropole avec une frise chronologique détaillée. Quels sont les principaux faits qui ont marqué jusqu’à présent l’évolution du Grand Paris ?

E.M. : Ils sont si nombreux que nous avons très vite constaté qu’il nous serait impossible d’élaborer une seule chronologie qui rassemblerait tous les grands jalons du Grand Paris des 20 dernières années, qu’ils soient politiques, décisionnels ou encore institutionnels. De très nombreux acteurs différents ont contribué à cette histoire récente. Nous avons établi quatre lignes chronologiques distinctes représentant des dynamiques liées à plusieurs niveaux: « coopérations bilatérales ou intercommunales », « dynamiques de coopération à l’échelle métropolitaine », « débats, décisions légales ou administratives » et enfin « actions de l’État ».

L.F. : Il nous est difficile, évidemment, parmi toutes les dates inscrites dans cette chronologie, d’en ressortir quelques-unes. Une construction si importante ne peut que s’inscrire dans le temps, sans réelle césure, avec des réflexions à long terme notamment sur le développement de la région parisienne, le lien entre Paris et la banlieue, ou encore les politiques de décentralisation. Cependant, il est vrai que le début des années 2000 marque un tournant avec l’élection de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris et la nomination de Pierre Mansat, adjoint chargé de la coopération avec les collectivités territoriales d’Île-de-France. En 2003, sont également signées les premières chartes de coopérations entre Paris et des collectivités de petite couronne. En 2007, l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République française a été importante pour le développement de la métropole puisque, quelques semaines après son élection, il a engagé le projet politiquement. Il s’agit, à l’époque, de la genèse du projet du Grand Paris Express (GPE), et de l’émergence d’idées pour davantage de coopérations entre les collectivités. Enfin, on peut citer l’acte III de la décentralisation voulu par le président Hollande, avec les lois Maptam et NOTRe, qui clarifient les compétences régionales, approfondissent la coopération intercommunale en Île-de-France et instituent l’échelon métropolitain, avec, à Paris, la création de la métropole du Grand Paris le 1er janvier 2016.

Depuis 5 ans, nous voyons beaucoup de projets d’aménagement mis en œuvre autour du réseau du Grand Paris Express, des initiatives de coopérations entre collectivités mais peut-être aussi une capacité de réflexion collective sur les évolutions nécessaires, afin de répondre aux enjeux de la métropolisation, qui tend à s’essouffler.

AJ : En résumé, les années 2000 ont permis d’impulser le projet du Grand Paris, et la décennie suivante, celle dont nous sortons, de mettre en place ses premières concrétisations ?

E.M. : Oui, et la généralisation de l’échelon intercommunal est, à cet égard, un élément essentiel de cette double-décennie. Avant les années 2010, l’Île-de-France était l’une des régions de France où la couverture intercommunale était la plus faible. Désormais, le territoire régional est entièrement couvert par des intercommunalités, certes à des niveaux inégaux de mise en œuvre. Ces dernières sont aujourd’hui au nombre de 62, en y ajoutant la ville de Paris et son statut particulier.

J’ajouterai que le lancement du réseau du Grand Paris Express a été décisif et la consultation internationale « le Grand Pari(s) de l’agglomération parisienne », lancée en 2007, a permis de mettre en placer un cadre de recherche reconnu internationalement avec une production riche et stimulante pour le développement de la métropole. Ces travaux se sont poursuivis jusqu’en 2017 au sein de l’Atelier International du Grand Paris qui a contribué à nourrir les réflexions et accompagner la construction métropolitaine.

L.F. : Les élus du Forum métropolitain ont témoigné eux-mêmes, dans le cadre de l’élaboration de cette étude, de l’évolution des priorités qu’ils ont été amenés à traiter. Dans les années 2000, leur mission, à travers leur coopération inédite dans sa forme, visait à trouver des réponses à tout un ensemble de dynamiques qui transformaient l’espace de l’agglomération parisienne. Cela visait la métropolisation et les conséquences que pouvaient avoir l’accélération des flux d’échanges sur l’exacerbation des inégalités, les difficultés de déplacement et la consommation des espaces. Cette coopération, notamment au sein du Forum, a conduit à la concrétisation de réponses, dans les années 2010. Or, aujourd’hui, avec la disparition du Forum et de cette structure de débat entre les différentes collectivités, certains élus ont l’impression d’un retour en arrière, et ont témoigné de leur incapacité, à présent, à se saisir des enjeux contemporains d’une métropole comme celle du Grand Paris. Cela peut sembler paradoxal tant le fait métropolitain n’est plus contesté aujourd’hui, contrairement à il y a 10 ou 20 ans.

AJ : Quels vont être, d’après vous, les enjeux pour le Grand Paris durant la décennie actuelle ?

L.F. : Au-delà des questions purement institutionnelles qui sont importantes et complexes, et qui restent un chantier en cours, cette publication évoque les différences constatées dans le traitement des enjeux métropolitains et les réponse apportées par les politiques publiques ; la forte attention portée à la mobilité, avec bien sûr le projet du réseau du Grand Paris Express mais aussi l’installation du pass navigo et la mobilisation autour des enjeux environnementaux qui se concrétise, par exemple, par la création de la zone à faibles émissions visant à améliorer la qualité de l’air ou encore par le développement de la pratique du vélo. La question du logement a également fait l’objet d’une attention particulière, avec l’objectif de construction de 70 000 logements par an dans la région, dont près de 40 000 pour la Métropole. Cet objectif a été respecté, ce qui n’était pas nécessairement gagné d’avance. Néanmoins, des difficultés subsistent, notamment quant à la coordination des politiques d’aménagement du territoire. Sur le logement, justement, le rééquilibrage du parc social n’a pas eu lieu. Plus généralement, il n’y a pas encore de vision métropolitaine qui soit appliquée alors que les enjeux sont importants pour éviter l’étalement urbain et respecter l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) prévu par la loi.

E.M. : La crise sanitaire a également joué un rôle sur les enjeux métropolitains. Les habitants expriment, aujourd’hui, une aspiration très forte pour davantage de proximité. Il paraît donc important de répondre à ce désir de local tout en articulant la régulation de toutes les problématiques évoquées au niveau métropolitain. Il y a, on le comprend bien, une tension qui s’installe entre ce besoin de « local » et le décisionnel « métropolitain ». Ce sont deux échelles essentielles et complémentaires qui doivent se rencontrer pour réussir à répondre aux attentes sociales.

L.F. : Dans notre publication, nous insistons également sur la question des finances locales. Leur organisation a été profondément modifiée depuis 10 ans avec la réforme de la taxe professionnelle, la suppression de la taxe d’habitation, et une tendance de la part de l’État à réduire les marges de manœuvre des collectivités. Cela pose des questions quant à la capacité des collectivités à porter des politiques publiques ou quant à la solidarité entre elles, selon leur niveau de richesse.

AJ : Les Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et la mise en service du réseau du Grand Paris Express seront-ils également des événements de nature à consolider la construction du Grand Paris ?

E.M. : Oui, très certainement, et notamment le réseau du Grand Paris Express. Il me semble que nous ne mesurons pas encore bien les effets que ce nouveau réseau aura sur la vie des habitants de la métropole. On sait l’importance que le métro parisien a eu dans le développement de la capitale. Or, à terme, le GPE doublera le réseau de métro. Les quatre nouvelles lignes desserviront notamment 53 quartiers de la politique de la ville (QPV) et contribueront à augmenter sensiblement le nombre d’emplois accessibles aux habitants de ces quartiers. Plus largement, le réseau du GPE et les Jeux olympiques auront des effets structurants sur le rééquilibrage régional. Ils bénéficieront en particulier aux territoires les plus pauvres qui seront dotés ainsi de nouveaux actifs : quartiers, transports, équipements, etc. Aussi, l’impact des Jeux olympiques, à la manière de la Coupe du monde de football de 1998 pour la Seine-Saint-Denis, se percevra au-delà de l’évènement en tant que tel mais au travers de son héritage.

L.F. : Il est effectivement important d’associer ces deux projets dans la construction métropolitaine. Comme le disait Émilie, ils permettront, d’une part, de mieux doter en équipements des territoires qui ne l’étaient peut-être pas assez jusqu’à présent, et d’autre part, de valoriser tous les lieux sur lesquels ils se réaliseront. Enfin, n’oublions pas la dimension identitaire de ces projets. Pour qu’il y ait des « Grands Parisiens », il faut qu’il y ait des événements ou des lieux de vie qui participent à faire émerger un sentiment d’appartenance chez les habitants. En cela les Jeux olympiques et le nouveau réseau rempliront leur rôle, il me semble. Ces projets permettront notamment de « casser » les frontières urbaines entre banlieue et capitale ; les lieux culturels et sportifs seront, par exemple, plus accessibles à chacun des habitants du Grand Paris.

La prochaine étape sera surement celle de l’exercice démocratique. À l’instar des autres élections, le fait de voter plus directement pour des représentants de la métropole, pourrait aider à se sentir citoyen de ce même territoire.

AJ : La dernière partie de votre étude est consacrée aux dynamiques du Grand Paris via la sélection de quelques chiffres-clés (démographiques, sociaux, économiques, etc.). Ainsi, à quoi ressemble aujourd’hui le Grand Paris ?

E.M. : En résumé, la métropole-capitale est à la fois jeune et familiale, extrêmement active et attractive, aussi bien pour les acteurs économiques que pour les habitants des autres régions, notamment les plus jeunes d’entre eux, mais elle est également confrontée à des enjeux très modernes et propres à ces grandes métropoles. Le Grand Paris doit faire face, comme nous le disions auparavant, aux problématiques liées à la qualité de vie, à l’environnement, à l’accès au logement et aux inégalités sociales et économiques. Celles-ci sont notamment assez prononcées au cœur de l’agglomération, et parfois même, ces dernières décennies, s’accélèrent entre certains territoires de l’est, plus pauvres, et de l’ouest, plus riches. Toutefois, le Grand Paris reste bien moins inégalitaire que d’autres métropoles internationales.

L.F. : Nous aurions tendance à vouloir résumer les fractures du Grand Paris entre l’est et l’ouest, ou entre les centres-villes et les périphéries. Or, avec Émilie, nous constatons grâce à l’ensemble des travaux que nous menons avec nos agences respectives, que ces représentations, ne résument pas elles seules l’ensemble des fractures du territoire, même si elles sont partiellement vraies. Il y a des inégalités importantes dans le cœur même de la métropole. La ville de Paris continue d’accueillir des populations extrêmement modestes. Il y a également des profondes différences entre des populations de cadres vivant dans des espaces périurbains et d’autres, socialement fragiles, habitant la proche banlieue, pourtant mieux desservie en transport. Ainsi, il est nécessaire de faire des constats contrastés, dans un Grand Paris dont le visage est protéiforme et qui possède sa propre dynamique de développement démographique et rayonne bien au-delà de ses frontières.

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