« Tout Sexplique » ou comment l’Essonne fait de la prévention
Depuis plus de vingt ans, l’initiative du bus « Tout Sexplique » se rend dans les établissements scolaires et les foyers d’accueil de l’Essonne pour mener des actions autour des questions de santé sexuelle. Une action de maraude a également été réhabilitée afin d’aller à la rencontre des publics en situation de prostitution sur tout le territoire.
Conseil départemental de l’Essonne
« On a les bonbons, les préservatifs ? Les brochures aussi ? On a pris les lingettes ? » Véronique Le Ralle fait une dernière vérification avant de tourner la clé de contact du camping-car. À bord du dispositif « Tout Sexplique, en route vers la santé sexuelle », la coordinatrice du Comité départemental de coordination des actions d’éducation à la santé et à la sexualité (CDCESS) est aux côtés de Séverine Perriau, infirmière et chargée de mission de la coordination des actions de prévention de l’association Diagonale IDF. Ensemble, elles vont sillonner les routes du département pour aller à la rencontre des personnes en situation de prostitution.
Au contact des publics vulnérables
Premier arrêt sur une bretelle de sortie de la N6, où deux jeunes femmes se remaquillent près du bord de la route. Elles viennent de Roumanie. Après un bref échange avec elles, le camion repart et Séverine Perriau sort le cahier de liaison : « Quand on peut discuter avec elles, on note ensuite ce qu’on s’est raconté. Elles parlent des enfants, de la famille, de leurs problèmes de santé, ou de papiers. » À l’arrêt suivant, c’est Géraldine, veste jaune sur sa mini-robe en jean, qui se dirige vers les deux femmes avec chaleur. Il arrive que celles-ci arrivent avec des boissons chaudes, un petit réconfort pour celles qui ont passé leur journée à l’extérieur… Mais pas cette fois, ce que ne manque pas de remarquer Géraldine, avec son accent sud-américain chantant : « Pas de thé, pas de café aujourd’hui ? Mais c’est pas possible ! », les taquine-t-elle sans pour autant refuser les préservatifs et un petit paquet de bonbons. À côté d’elle, sa collègue Veronica affiche une mine préoccupée : elle a des problèmes de logement et a peur de se retrouver à la rue. Séverine Perriau prend le temps de lui recommander certaines démarches et lui conseille de contacter à nouveau l’assistante sociale qui suit son dossier. L’idée est d’établir et de maintenir un lien régulier avec ces femmes en situation de prostitution afin de pouvoir leur apporter un soutien en cas de difficultés d’un point de vue administratif comme sanitaire : « On vient pour parler santé avec elles, pour prendre contact, pour leur indiquer les lieux ressources en santé, et si jamais elles souhaitent sortir de la prostitution, leur donner des indications pour le faire », explique Véronique Le Ralle.
L’Essonne mobilisée depuis plus de vingt ans sur la santé sexuelle
Ces maraudes se tiennent deux fois par mois, assurées par des infirmières, des éducatrices, ou encore une sexologue, généralement par groupe de trois personnes : « Diagonale IDF avait cessé d’y participer en 2016. Depuis un an, nous avons repris du service à la demande de Véronique », affirme Séverine Perriau. L’implication du département sur les enjeux de santé sexuelle ne date pas d’hier. L’origine du bus remonte à plus de vingt ans, et plus précisément à la loi du 4 juillet 2001 sur l’encadrement de l’IVG et de la contraception, loi qui supprimait l’entretien obligatoire des femmes souhaitant accéder à l’avortement. « Les conseillères conjugales et familiales se sont retrouvées avec un temps libéré, et le département de l’Essonne a décidé de l’employer pour mener des actions d’éducation à la sexualité », explique Véronique Le Ralle. Car cette même loi a inscrit l’éducation à la sexualité comme obligatoire à travers trois séances annuelles de la maternelle à la terminale. « Le Conseil général de l’Essonne a voulu mener des interventions auprès des collégiens de façon systématique et, parallèlement, le Planning familial avait un projet d’affréter un bus pour aller à la rencontre des jeunes dans les endroits un peu ruraux de l’Essonne. » Bien des années plus tard, les bus successifs ont finalement été remplacés par l’actuel camping-car, inauguré en 2017 et cofinancé par l’Agence régionale de santé.
Il permet donc de se rendre sur les différents lieux de prostitution connus du département. Repérable de loin, le camping-car « Tout Sexplique, en route vers la santé sexuelle » ne reste jamais longtemps au même endroit lors des maraudes. En cet après-midi d’automne particulièrement doux et ensoleillé, certains emplacements habituels sont déserts. Seule une chaise vide laisse suggérer une activité de prostitution à l’orée des parkings qui bordent la forêt de Sénart. À un nouvel arrêt près de la nationale, Séverine Perriau retrouve un petit groupe de femmes bulgares, avec qui elle prend le temps d’échanger sur leur situation administrative et de distribuer là encore quelques bonbons et des préservatifs. « Ici, c’est une prostitution de survie et de réseau », rappelle Véronique Le Ralle. Autrement dit, ces femmes n’ont pas d’autre choix pour subvenir à leurs besoins ou à ceux de leurs proches, et sont pour certaines sous la coupe de proxénètes.
Un espace mobile au service de l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle
Si l’espace de consultation du camping-car n’est pas utilisé lors des maraudes, il est idéal pour recevoir des petits groupes scolaires et faciliter l’écoute et les échanges autour d’une approche positive de la santé sexuelle : « On peut tenir à douze personnes dedans, note Véronique Le Ralle. Il y a un vidéo-projecteur, un tableau blanc avec une variété de supports en fonction du type d’interventions qu’on va y mener. » Égalité filles-garçons, stéréotypes de genre, mais aussi la question du consentement et le rapport à la pornographie sont autant de thématiques qui peuvent être abordées. L’espace peut enfin être aménagé pour accueillir des consultations gynécologiques et des actions de dépistage.
Pour Véronique Le Ralle, ces actions en milieu scolaire ont un impact très positif : « Après nos interventions, on assiste à une augmentation de l’affluence des jeunes dans les centres de santé sexuelle. On a aussi des jeunes lycéens qui reviennent deux ou trois ans après une intervention parce qu’ils se rappellent que le bus était venu dans leur collège. Enfin, on voit aussi que de plus en plus de professionnels souhaitent être formés à l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle. On dispense des formations qui sont pleines tout le temps. On a des enseignants de toutes origines, qui couvrent toutes les matières, au-delà des profs de SVT et d’EPS. »
Des enseignants mieux formés pour endiguer la désinformation qui circule autour des séances d’EVARS : « C’est arrivé que des parents s’érigent contre le fait que leurs enfants bénéficient d’interventions de prévention et d’information sur la santé sexuelle. » Une méfiance que Véronique Le Ralle affirme comprendre, et à laquelle s’ajoute le « besoin de savoir comment sont formés les gens qui vont intervenir, de quoi on va parler aux enfants » : « Je constate qu’il y a une vraie difficulté dans les relations avec les parents, on ne les informe pas sur ce qui se passe et comment ça se passe. Cette année, j’ai pris mon bâton de pèlerin pour aller les voir et discuter avec eux. Une fois qu’on a pris le temps d’échanger avec les parents, il n’y a aucun problème, mais personne n’a pris le temps de leur expliquer tout ça. Il manque un degré d’information et une considération, un soutien aux parents, qui n’ont qu’une envie, c’est que leurs enfants aillent bien. »
Après sa tournée entre Saint-Germain-lès-Corbeil et Tigery, le camping-car reprend la route direction Évry-Courcouronnes. Dans quelques semaines, il repartira en direction des établissements scolaires de l’Essonne pour de nouvelles actions auprès des adolescents.
Référence : AJU016m2