Devant la CNDA, deux frères rivaux et une fausse accusation de trafic de stup
Au Bangladesh, deux frères ont convoité le terrain de leur père. Le conflit né de l’héritage a dégénéré, et l’aîné dit avoir fui son pays après avoir été dénoncé comme délinquant à la police par son cadet. Du Bengladesh à Montreuil, aujourd’hui, il tente de défendre sa cause devant la CNDA.
En 2016, au Bangladesh, un homme est mort, laissant derrière lui deux fils de deux mères différentes. Avant de mourir, il avait partagé ses biens. L’aîné, dont la mère était décédée depuis longtemps, avait reçu le commerce d’engrais que son père avait tenu jusqu’à sa mort. Le second avait hérité d’une grande parcelle comportant la maison familiale.
Monsieur H., l’aîné, est le requérant. Il approche de la quarantaine mais son dos voûté et son crâne dégarni incliné vers ses pieds le font paraître plus vieux. Sa voix s’étrangle quand il raconte son enfance et la mort de sa mère alors qu’il n’était qu’un petit garçon. Son père s’était alors remarié. La nouvelle femme de son père, qui allait lui donner un demi-frère de dix ans son cadet, ne l’avait jamais accepté. « Pour elle, j’ai toujours été un boulet, une charge », explique-t-il, manifestement ému.
Monsieur H. a donc peu connu son père. Il a vécu la majeure partie de sa vie à Dhaka, où il avait une agence de pèlerinage, avec sa femme et son fils. Lorsque son père est tombé malade, il a rejoint le village paternel, et intégré la maison de sa belle-mère avec femme et enfant.
La présidente, Nadia Marik-Descoings, s’en étonne.
– « Vous viviez donc tous chez votre belle-mère ? »
Le requérant opine du chef. Bien sûr, explique-t-il, la vie quotidienne chez cette femme qu’il n’aime pas était tendue. « Mais je n’avais pas vécu longtemps avec mon père. Je voulais l’accompagner dans ses derniers moments ». Face à lui, les juges froncent les sourcils, sceptiques.
Monsieur H. était l’aîné, il a donc hérité du commerce de son père. Il l’a fait fructifier. En plus des engrais, il s’est mis à vendre de la nourriture pour volaille, a loué des bassins pour développer une activité de pisciculture. Chaque année, il y faisait grandir 20 000 têtards. Les affaires se portaient si bien qu’il aurait pu ouvrir un second commerce. La belle-mère et son fils, le demi-frère de Monsieur H., auraient pris ombrage de cette réussite. « Ils imaginaient que le commerce me rapportait beaucoup d’argent alors que ce n’était pas vrai ». En 2018, le demi-frère aurait saccagé le commerce de son aîné. Rongés par la jalousie, la belle-mère et son fils auraient ensuite fomenté un complot pour nuire à Monsieur H. Le demi-frère est membre de la Chhatra League, un puissant syndicat étudiant lié au parti au pouvoir. Il serait, aux dires du requérant, également plus ou moins garde du corps du maire du village, affilié au même parti. Le demi-frère aurait lancé contre son aîné une fausse accusation de trafic de stupéfiants. Jugé dans son pays, Monsieur H. aurait passé un an en prison, que son demi-frère aurait mis à profit pour s’approprier le commerce tant convoité. Pour autant, à la fin de la détention de Monsieur H., en 2019, la jalousie familiale n’avait pas faibli. Monsieur H. dit avoir été agressé au couteau par son demi-frère. Il aurait trouvé refuge chez les parents de son épouse. Pourtant, ce n’est que deux ans plus tard, en 2021, qu’il aurait quitté le pays.
Pour Me El Amine, le récit de son client est crédible. « Que le fils aîné ait hérité du commerce paraît cohérent. Cela correspond à ce qui se fait culturellement. Le requérant a produit un acte de propriété estampillé ». Surtout, le récit du complot fait par son client lui semble étayé. Plusieurs organismes internationaux ont établi que les fausses accusations, donnant lieu à des poursuites pénales, sont monnaie courante au Bangladesh. La CNDA elle-même l’a reconnu, dans un rapport publié au mois d’avril dernier. « Des rapports montrent que des maires peuvent exercer des pressions sur les conflits fonciers par l’intermédiaire d’hommes de main ». Si Monsieur H. rentrait, il risquerait d’être de nouveau agressé, assure son avocate. D’autant plus qu’entre-temps, la ligue Awami, le parti auquel est allié son demi-frère, a remporté une nette majorité au Parlement en janvier 2024. « Aujourd’hui, son demi-frère doit avoir encore plus de pouvoir », met en garde l’avocate.
Quelques semaines plus tard, la Cour a rendu sa décision. Estimant le récit de Monsieur H. peu personnel et difficilement crédible, elle a rejeté sa demande.
Référence : AJU015d7